La grande rencontre de clarification entre le président français et ses homologues du Sahel, initialement prévue ce dimanche 16 décembre, à Pau, en France, a été reportée au début de l’année prochaine.
L’initiative du report est partagée par Emmanuel Macron et Mahamadou Issoufou, rendue nécessaire par l’attaque jihadiste la plus meurtrière perpétrée, dans la soirée de mardi dernier, contre l’armée nigérienne, à Inates, à la frontière avec le Mali.
La lourdeur du bilan (plus de 7O soldats nigériens tués), la puissance des moyens déployés (utilisation d’armes lourdes) et la furia même de l’attaque démontrent, s’il en était encore besoin, la détermination des terroristes de conquérir et de s’installer dans une zone névralgique frontalière entre les trois principaux pays sahéliens, cibles de leurs visées.
Ce nouveau drame, le plus fort ayant frappé le trio (Burkina Faso, Mali, Niger) depuis le déclenchement des hostilités en 2013, vient ajouter du relief à l’emprise jihadiste sur le Sahel, d’autant plus exposé qu’il est démuni de véritables moyens de parade.
Il relègue du coup au rang de futilité la polémique suscitée par la »convocation » du président français. Ce dernier s’étant d’ailleurs promptement repris en envoyant aux différents Chefs d’Etat sahéliens une lettre d’invitation en bonne et due forme.
Si elle était sujette à caution dans sa forme initiale, la démarche d’Emmanuel Macron, dans son fond, reste d’une opportunité et d’une acuité indéniables, douloureusement mises en exergue par le dernier acte barbare des terroristes.
De quoi discuteront le Chef d’Etat français et ses hôtes, à Pau ?
L’on imagine bien le premier développer une longue tirade sur les nombreuses et virulentes manifestations anti- françaises, le langage outrancier, très désobligeant qui les sous-tend et le vise lui-même personnellement.
Emmanuel Macron ira-t-il, pour autant, jusqu’à exiger de ses pairs africains de s’impliquer pour faire arrêter ou à circonscrire le phénomène du French Bashing qui se propage actuellement à travers le continent et, singulièrement, au sein des pays du Sahel ? Leur »dictera-t-il », à l’occasion, les arguments à faire valoir pour redorer le blason français : engagement militaire important dans la lutte contre le terrorisme, sacrifice de soldats français, plaidoirie de la France pour le financement des activités du G5 Sahel… ?
Brandira-t-il la menace d’un retrait total ou partiel des troupes françaises du Sahel en réaction au »mauvais » procès intenté à la France ?
La succession des remontrances prévisibles de la France vis-à-vis de ses partenaires (obligés serait sans doute plus approprié), qui ont suscité la vive réaction de son président, jusqu’au fameux dérapage verbal, ne suffirait toutefois pas à l’exonérer de reproches.
Les présidents sahéliens auront avec cette rencontre l’irremplaçable occasion de faire remonter à leur hôte certains griefs, notamment relatifs à une certaine opacité dans la collaboration entre Barkhane et les armées sahéliennes, à l’inefficacité du renseignement militaire pour la direction des opérations, à l’incapacité notable à anticiper les intentions des terroristes, aux effets dévastateurs des Engins Explosifs Improvisés, entre autres.
Et, sans présumer de l’épaisseur du cahier des critiques à l’endroit de l’intervention militaire française et de doléances pour en améliorer la qualité et l’efficacité, l’on peut suggérer aux dirigeants sahéliens la tenue de concertations préalables, en vue d’une mise en cohésion des points de vue et des stratégies d’approche des problèmes, communs pour la plupart.
C’est la démarche préconisée par le président du Burkina Faso. Les autres seraient bien inspirés de l’adopter. Afin de tirer tous les bénéfices possibles de la rencontre.
Le président malien, en proie à de vives critiques de ses compatriotes depuis sa réélection controversée et contestée, aura une partition toute particulière à jouer à Pau.
Outre les doléances partagées avec ses voisins, Ibrahim Boubacar Keïta aura besoin de recouvrer tout le courage que l’on lui a connu dans les années’90 et de la sagacité qui lui reste encore pour dénouer le nœud kidalois, extirper la situation administrative des limbes dans lesquels l’ambiguïté française a plongé cette ville.
Les Maliens attendent d’IBK une communication limpide et intelligible sur Kidal mais surtout sur les tenants et aboutissants de l’engagement militaire français au Mali.
Les conseils avisés de son ministre de la Défense (dont on vante bien les qualités militaires), de son ministre de la Sécurité et de la protection civile, du chef d’état-major général des Armées et d’autres experts militaires (qui sont légion si l’on en juge par la pléthore d’officiers supérieurs) devraient largement lui faciliter la tâche.
Le président de la République enverra ainsi la bonne réplique à ceux qui voient en lui le maillon faible de cette confrontation entre dirigeants du Sahel et de la France, évoquant notamment sa francophilie avérée, liée à sa nationalité française.
Après avoir perdu beaucoup de son crédit dans des causes douteuses, IBK saura-t-il saisir cette chance pour retrouver un peu d’estime auprès des Maliens ? C’est tout le mal que l’on souhaite au Mali à la fin d’une année qui n’aura pas épargné les épreuves à notre pays.
koumate3@gmail.com
Source: l’Indépendant
Tags: Kidal