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Relations tendues Mali-France / Dr. Amzat Boukari-Yabara, historien béninois : « Je ne pense pas que l’on puisse qualifier ce régime d’irresponsable »

Amzat Boukari-Yabara est un historien béninois spécialiste du continent africain qui s’inscrit dans le mouvement historique et politique du panafricanisme. Il est docteur en histoire et a publié « Mali » chez De Boeck Supérieur et vient de cosigner « L’empire qui ne veut pas mourir » au Seuil. Il a décrypté sur RFI au micro de Christophe Boisbouvier, les relations houleuses Mali-France. Entre Bamako et Paris, c’est maintenant la crise ouverte. Jeudi dernier, le ministre français des Affaires étrangères a qualifié le renvoi par le Mali des soldats danois de « mesure irresponsable prise par un régime illégitime ». Ce lundi, le gouvernement malien a riposté en expulsant l’ambassadeur de France à Bamako. Va-t-on vers la rupture des relations diplomatiques et militaires entre les deux pays?

RFI : Êtes-vous surpris par cette réaction très vive des autorités maliennes contre la France ?
Amzat Boukari-Yabara : Non, je ne suis pas surpris, puisqu’il y avait déjà eu un durcissement des sanctions de la Cédéao et le Mali avait déjà annoncé qu’il allait riposter vis-à-vis de la Cédéao. Paris s’est aligné sur les positions de la Cédéao et on a bien vu l’escalade arriver… Donc il est tout à fait normal, d’une certaine manière, que le pouvoir malien, aujourd’hui, riposte.

À l’origine de cette expulsion, il y a, au lendemain du renvoi des forces spéciales danoises par Bamako, les propos du ministre français des Affaires étrangères, disant que la junte malienne est illégitime et qu’elle prend des décisions irresponsables. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Illégitimité, c’est assez compliqué de le dire, dans la mesure où il y a quand même un fort soutien populaire à l’égard du régime malien actuel. Il y a également une capacité de ce régime à tenir des positions et à vouloir réviser, justement, ces différents partenariats… Et donc je ne pense pas que l’on puisse le qualifier d’irresponsable. Donc il me semble que les propos de Jean-Yves Le Drian sont probablement beaucoup trop exagérés et rentrent dans une forme d’ingérence vis-à-vis des autorités maliennes.

Depuis le deuxième putsch du mois de mai 2021, les relations ne cessent de se dégrader entre Bamako et Paris. À qui la faute ?

Je pense qu’il y a un problème de dialogue. Il y a eu des déclarations intempestives de la part de l’Élysée concernant notamment la force Barkhane.

Voulez-vous dire que la junte malienne n’a pas apprécié, au mois de juin dernier, d’apprendre la réduction des effectifs de Barkhane par la presse ?

Je pense qu’il y a des manières peut-être plus propres d’informer les autorités maliennes et j’ai l’impression que, du côté de Paris, on est sur du déjà acquis, alors qu’en réalité tout est à négocier, aujourd’hui.

L’arrivée de combattants russes sur le sol malien, est-ce une mesure de rétorsion de Bamako contre la décision de Paris de réduire Barkhane ?

Je pense qu’effectivement, c’est une forme de riposte, puisque la question de la présence française s’inscrit à la fois dans un cadre politique –et donc là, on a des sanctions diplomatiques–, mais également dans un cadre militaire. Et le flou entretenu par la France et ses partenaires européens ne peut qu’amener effectivement Bamako à se tourner vers d’autres acteurs, qui peuvent paraître plus surs, voir plus fiables, sous certains aspects.

Et d’où, aussi, la demande de Bamako de réviser son accord de défense avec Paris…

Oui, je pense que le Mali souhaite que les choses soient faites de la manière la plus propre, donc je ne crois pas, à l’heure actuelle, qu’il y ait une annonce de fermeture de l’ambassade. Je pense que Bamako renvoie la balle à Paris, en demandant à Paris de reprendre ses esprits et de faire un peu comme les Danois, qui ont été capables de rétropédaler et de revenir à des sentiments beaucoup plus diplomatiques. Les autorités françaises auraient tout intérêt à revenir à une forme de modération. Je pense que l’expulsion leur renvoie effectivement la balle et il s’agit de repenser le cadre politique et le cadre militaire à venir, en fonction des intérêts du Mali.

Est-ce que Bamako ne joue pas avec le feu et ne risque pas de voir les Français retirer la totalité de leur dispositif Barkhane ?

C’est toujours une possibilité. Il y a effectivement un jeu –je ne dirais pas un jeu de dupes–, mais des incitations très fortes de part et d’autre et on sent que ce bras de fer risque d’aboutir à une rupture. Je pense que, du côté malien, du point de vue de la population, il y a quand même une forte volonté de réviser ces accords, de passer à autre chose et de tourner la page.

Quitte à voir partir Barkhane…

Je pense que cela fait partie, effectivement, des options et des possibilités. Aujourd’hui, le dispositif de Barkhane a aussi quelque part montré ses limites. Et dès lors qu’elle n’est plus politiquement acceptée au Mali, cette présence militaire risque de renforcer les nombreuses campagnes opposées à la politique et à la présence française au Mali et plus généralement au Sahel.

Et est-ce que les forces armées maliennes et les combattants russes suffiront à repousser la menace jihadiste ?

Cela relève également de la capacité du Mali, peut-être, à mobiliser d’autres acteurs dans la sous-région. On peut parler notamment de l’Algérie, on peut parler de quelques autres puissances moyennes au niveau du continent africain, qui sont également en mesure de prêter main forte.

Source: RFI

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