C’est une nouvelle vague de purges sans précédent en Turquie : le gouvernement a démis de leurs fonctions pas moins de 350 policiers basés à Ankara. Une nouvelle retentissante qui s’ajoute aux annonces quotidiennes venant de Turquie depuis décembre, en réaction à l’enquête sur la corruption qui frappe l’élite conservatrice du pays.
La décision la plus spectaculaire ? L’éviction de plus de 80 hauts gradés de la police de la capitale, Ankara. Parmi ceux qui viennent de perdre leurs postes, on trouve les patrons des services en charge de la lutte contre les crimes financiers, le crime organisé et la piraterie informatique.
Les 350 fonctionnaires concernés par le décret du ministre de l’Intérieur vont être mutés à la circulation ou dans des commissariats de quartier. Ils seront remplacés par environ 250 autres policiers, venant pour l’essentiel d’autres secteurs qu’Ankara.
Ces sanctions viennent s’ajouter aux dizaines, voire aux centaines d’autres démissions ordonnées par le gouvernement. Parmi les victimes de cette opération : le préfet de police d’Istanbul et de nombreux autres responsables provinciaux. Plusieurs médias turcs évoquent un chiffre total proche de 600 policiers démis de leurs fonctions depuis la mi-décembre.
Voir un gouvernement décapiter de la sorte sa propre police est vraiment inhabituel. La raison principale de la fureur gouvernementale, celle qui est vraiment à la source de ces décisions radicales, c’est le conflit politique entre le parti du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, l’AKP (Parti pour la justice et le développement), et la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen, qui vit actuellement aux Etats-Unis.
Les deux formations revendiquent leur attachement à l’islam traditionnel. Elles s’efforcent de conquérir et de maintenir leur influence dans la partie conservatrice et religieuse de la population turque. Elles se disputent donc à peu près les mêmes couches sociales, ce qui en fait des rivales naturelles.
Elles ont pourtant longtemps fait cause commune pour s’imposer aux commandes de l’Etat turc, ce qui est devenu réalité en 2002 avec la victoire électorale de l’AKP. Toutefois, à l’automne 2013, le mouvement de Fethullah Gülen a définitivement rompu avec le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Les « gülenistes » n’ont pas supporté de le voir annoncer sa volonté de supprimer des écoles privées. On peut comprendre leur colère : les écoles privées assurent une large partie du financement de la confrérie.
Le gouvernement soupçonne les « gülenistes » d’avoir infiltré la police et la magistrature, d’avoir constitué carrément « un Etat dans l’Etat », et d’avoir activé leurs influences pour déclencher, le 17 décembre dernier, une vaste affaire de corruption qui touche les plus hauts échelons du gouvernement et déstabilise le Premier ministre lui-même.
En quelque sorte, il s’agirait donc d’une série de réponses du berger à la bergère : vous nous coupez le financement, nous frappons au cœur de votre système de corruption. Vous frappez au cœur du système, nous neutralisons votre influence au sein de la police, d’où les dernières purges. Un rififi interne à la mouvance islamiste turque…
Le gouvernement vit très mal la situation : plusieurs dizaines d’hommes d’affaires, de patrons, de hauts fonctionnaires et d’élus, dont les fils de deux ministres, ont été inculpés ou incarcérés dans le cadre du scandale de corruption. Celui-ci a déjà provoqué la démission de trois membres du gouvernement et précipité à Noël un large remaniement ministériel.
Pourtant, Recep Tayyip Erdogan ne semble pas vouloir se concentrer sur la question de savoir s’il y a bien eu fraude et corruption généralisée dans les rangs de son parti.
Il préfère parler d’un complot des « gülenistes » qui viseraient à l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle, prévue au mois d’août prochain. Il veut les punir en les privant de leurs leviers d’influence dans les milieux de la police et de la justice.
L’opinion publique turque, elle, paraît vraiment perplexe face à ce bras de fer. Manifestement, c’est l’étonnement et l’incompréhension qui prévalent. Beaucoup de Turcs ont l’impression de regarder une pièce de théâtre qu’ils ne comprennent guère, et dans laquelle ils ne jouent aucun rôle.