Détenu pendant près de quatre mois et libéré le 19 avril, l’activiste et journaliste Ras Bath estime avoir été la victime collatérale d’une affaire purement politique, fomentée par des rivaux de l’ancien Premier ministre.
Accusé en décembre de « complot contre le gouvernement » et placé sous mandat de dépôt jusqu’au 19 avril, jour où la Cour constitutionnelle a validé l’annulation des procédures prononcées en appel, Youssouf Mohamed Bathily, dit Ras Bath, aura passé près de quatre mois en détention.
Activiste et journaliste, il n’était pas le seul visé dans cette affaire mais aujourd’hui encore, il dément tout lien avec les autres personnalités mises en cause, de l’ancien Premier ministre Boubou Cissé à Sékou Traoré, ex-secrétaire général de la présidence, en passant par Mahamadou Koné, trésorier payeur général, ou Vital Robert Diop, directeur général de la société PMU-Mali.
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Son arrestation, Ras Bath la compare à « un enlèvement de la DGSE ». Il en est persuadé : il a été la victime collatérale d’un complot dont la cible initiale était Boubou Cissé, dont le principal tort était – aux yeux de ses rivaux – de nourrir des ambitions présidentielles. Entretien.
Jeune Afrique : Vous avez été accusé d’avoir fomenté un complot contre les autorités de la transition, aux côtés de personnalités du monde des affaires et de la sphère politique. Quels sont vos liens avec les autres personnes citées ?
Ras Bath : Je n’en ai absolument aucun. On m’a dit que mes émissions servaient de propagande à un projet dont Boubou Cissé serait le bénéficiaire. Mais je n’ai aucun lien avec Boubou Cissé, je ne l’ai même jamais rencontré. Il a été Premier ministre et ce n’est qu’à ce titre que je le connais, comme tous les Maliens.
Nous avons échangé une fois, par l’intermédiaire de l’ancien ministre des Domaines, Alioune Berthé, à la suite d’une émission que j’avais faite sur la dette intérieure. Boubou Cissé demandait un droit de réponse. C’est tout. Comment aurions-nous pu fomenter un complot sans jamais se rencontrer ?
ON A VOULU M’HUMILIER, M’ATTEINDRE DANS MA DIGNITÉ POUR ME CASSER PSYCHOLOGIQUEMENT
Vous avez dénoncé une affaire politique visant à entraver les ambitions de Boubou Cissé. Estimez-vous que l’annulation de la procédure vous donne raison ?
La vraie motivation de toute cette affaire est électorale, même si un magistrat a, à un moment donné, accepté de lui donner un vernis juridique. Sans cela, nous ne nous serions pas retrouvés devant une chambre d’accusation ou une chambre criminelle. Le premier juge saisi n’avait même pas la compétence territoriale pour traiter le dossier.
Et puis prenez le cas de Sékou Touré : le statut de secrétaire général de la présidence lui donnait rang de ministre. Selon l’article 613 du code pénal, en cas de délit ou de crime, les ministres et leurs complices présumés sont traduits devant la Haute cour de justice, laquelle obéit à des procédures qui passent par l’Assemblée nationale. Cela n’a pas été le cas, les procédures ont été bafouées.
Lors de votre arrestation, quels faits vous ont été reprochés par la DGSE ? Sur quelle base vous a-t-on interrogé ?
Je n’ai pas été entendu avant la fin du mois de février, alors que l’on m’a arrêté en décembre 2020. Si la DGSE avait véritablement suspecté un complot, nous aurions été entendus tout de suite afin d’évaluer l’ampleur de la menace et d’identifier de potentiels complices encore libres ! Lors de mon enlèvement par les membres de la DGSE, on ne m’a à aucun moment notifié les charges retenues contre moi.
Au lieu de cela, on a voulu m’humilier, m’atteindre dans ma dignité pour me casser psychologiquement. On m’a filmé pendant que l’on coupait mes dreadlocks. Mais sur instruction de qui ? J’ai l’intention de porter plainte pour atteinte à mon intégrité physique et aux signes culturels qui symbolisent ma philosophie.
ON A ESSAYÉ DE NOUS METTRE HORS D’ÉTAT DE NUIRE LE TEMPS DE LA TRANSITION, MAIS LE DOSSIER ÉTAIT VIDE
Vous parlez d’enlèvement plutôt que d’arrestation ?
C’est le terme juridique, puisque j’ai été privé de ma liberté par des autorités qui n’en avaient pas le pouvoir légal. C’est un enlèvement. On a essayé de nous mettre hors d’état de nuire le temps de la transition, mais le dossier était vide, le premier juge l’a dit lui même. Après nos arrestations, il a voulu « faire parler » nos téléphones, mais ils n’ont rien trouvé, pas un échange, pas même le numéro des autres personnes citées.
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Si on ne m’a pas dit pourquoi j’étais poursuivi, c’est parce que la DGSE n’avait aucune preuve. On s’est servi de mes émissions critiques envers les autorités de la transition pour faire croire que je complotais avec Boubou Cissé. La question qu’il faut se poser, c’est qui a intérêt à le voir écarté. Je pense que les responsabilités sont à chercher du côté des gens qui nourrissent eux-mêmes des ambitions, parmi ceux qui ont craint son influence ou qui ont eu peur des conséquences s’il arrivait au pouvoir. Je pense à d’anciens ministres, à des personnalités religieuses et à des membres de la transition.
Faut-il comprendre que vous avez un candidat pour la présidentielle de 2022 et que ce sera Boubou Cissé ?
Je n’ai jamais discuté avec lui d’un quelconque projet politique. Pour l’élection de 2022, le CDR [Collectif pour la défense de la République], dont je suis membre, fera comme en 2018 : nous nous réunirons en congrès avant de décider quoi que ce soit, pour définir notre vision pour le Mali. Nous élaborerons ensuite les critères qui nous permettrons de choisir un candidat. Mais je le redis : le CDR n’est affilié à aucun candidat.
Source : Jeune Afrique