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Ras Ballaski : Le dernier des Mohicans du « Zion Place » de Lassa

Comme tout philosophe ou tout rasta inspiré par Jah Rastafari, il se sent incompris car en avance sur son évoque et même sur beaucoup d’adeptes du Mouvement. Mais, Moussa Doumbia dit Ras Ballaski est un homme de conviction à cheval sur les principes du mouvement rastafari. Et c’est un homme assez éprouvé par la vie et ses coups durs (trahisons…) ainsi que par un asthme que nous avons rencontré sur ses terres de «Zion Place» ou «Zion Land» ou tout simplement le sanctuaire du rastafarisme à Lassa, sur les hauteurs de la Commune IV du District de Bamako.

 

Les images sur les murs, les motos et les voitures stationnées un peu partout en disent long sur la passion sinon sur les passions du locataire. «J’ai le bricolage dans le sang. Acheter, réparer et vendre les motos et les voitures est presque la seule activité lucrative que j’ai su entreprendre.

Sinon, j’ai passé ma vie à former, à soutenir… les autres sans rien attendre en retour. Et dans la plupart des cas, je n’ai eu droit qu’à l’ingratitude, à la trahison et à la méchanceté», souligne le maître des lieux, Moussa Doumbia alias Ras Ballaski. Membre fondateur du Mourasma (Mouvement rastafari du Mali), il est aussi le fondateur de ce qu’il appelle «Zion Place» (ou Zion Land), un sanctuaire qui accueillait à Lassa (sur les hauteurs de la Commune IV de Bamako) une forte communauté de rasta des années 90 jusqu’à une date récente. Il faut rappeler que pour les rastas, Zion (Sion) représente la terre promise afin d’échapper à l’oppression du système de Babylone. Située en Éthiopie, mais également en Afrique de manière générale, il s’agit d’un lieu où il est possible de vivre d’unité, de paix et d’amour en toute liberté.

Il est donc le premier rasta à avoir fuit la ville pour se réfugier sur la colline de Lassa, sur les hauteurs sud de Bamako. «Quand j’ai opté pour cette vie, presque tous mes proches m’ont tourné le dos parce que pour eux les dreads symbolisaient la délinquance, la fainéantise…», se souvient-il le sourire aux lèvres. «Le rastafarisme n’est pas une religion.

C’est un chemin pour aller de l’avant. C’est un mode de vie qui exige beaucoup de sacrifices, de renoncements… C’est un mouvement centré sur le vécu», poursuit-il. On comprend alors cet ardent désire qui l’a poussé à fonder « Zion Place », un espace de plusieurs hectares, dominé par des rochers et une végétation luxuriante. Un domaine qu’il a acheté progressivement pour en faire un sanctuaire du mouvement rastafarisme tourné vers les arts, l’agriculture…

Le tremplin- Très vite, l’espace attire du beau monde et devient un passage obligé pour de nombreux artistes (Cheick Tidiane Seck, Barou Diallo, Aziz Wonder, Habib Koité, Tiken Jah Fakoly, Adama Traoré d’Acte Sept…) et aussi pour certains leaders de la classe politique actuelle qui venaient se ressourcer. «J’ai reçu ici Takana Zion (un reggaeman guinéen) alors qu’il avait à peine 15 ans. Je me suis occupé de sa formation artistique et spirituelle jusqu’à ce qu’il puisse voler de ses propres ailes. Et ils sont nombreux les jeunes artistes et artisans que j’ai aidés comme ça», raconte-t-il avec une satisfaction manifestée sans exubérance aucune.

«C’est sous mon toit, que Tiken est devenu un véritable rasta, c’est ici qu’il a dit pour la première fois Jah rastafari… Depuis le début des années 2000, j’ai accompagné et formé des centaines de jeunes à la musique et à l’art du bogolan», assure Ballaski. Comme visiteurs célèbres à «Zion Place», il y a eu Cedella Marley Booker, mère de la légende du reggae (Bob Marley), en 1996. Il y a aussi en 2002, notre consoeur Hélène Lee que les critiques présentent comme la «bible du reggae». Le lieu ne se désemplissait pas.
«Le coup d’état du 22 mars a marqué un coup d’arrêt à l’animation de cet espace.

Nous recevions beaucoup de touristes qui venaient non seulement pour la beauté du paysage, mais certains aussi pour apprendre le bogolan, la musique ou la danse. Et brusquement tout s’est arrêté. La timide reprise a été vite hypothéquée par la pandémie du Covid-19», rappelle Ras Ballaski avec une nostalgie non feinte.
Aujourd’hui, malgré la beauté du lieu, il est tristement dessert. Pendant les trois heures que nous y sommes restés, nous n’avons été interrompus que par quelques visiteurs venus profiter de la fraîcheur, de la quiétude ; surtout par des bambins qui viennent profiter du balançoire et du toboggan.

Mais, à entendre notre interlocuteur, la crise malienne n’a fait qu’accentuer une situation créée par les divisions internes au Mouvement rastafari du Mali et qui a beaucoup contribué à la chute du sanctuaire, vidé de son monde et peu à peu laissé à l’abandon. Ainsi, pour la première fois, l’anniversaire de la mort de Bob Marley n’a pas été célébré le 11 mai dernier. «Lassa était censé être un sanctuaire rastafari.

Tant que tu ne viens pas à Lassa, tout ce que tu vas faire en ville, c’est un peu du populisme», nous explique Ras Ballaski avec un sentiment perceptible d’abandon et d’amertume dans la voix. Et de poursuivre, «la vie à Lassa est difficile car avoir par exemple de l’eau et de l’électricité est toujours un problème. C’est l’Afrique comme elle était avant, la vraie. Nous avons donc voulu mettre la lumière sur ça. C’est la raison pour laquelle nous sommes toujours sur cette colline. Nous sommes là au nom du Jah rastafari».

Talentueux footballeur- Technicien des BTP, plombier/électricien (électricité froid), Ras Ballasky se définit comme «un pur produit du Système D (débrouillardise) du marché Dibida» au cœur de notre capitale. Né d’un père officier de police et d’une mère au foyer, il a passé une enfance heureuse avant de se faire connaître comme un turbulent adolescent et un jeune adulé pour ses talents de footballeur et de rassembleur. «C’est un leader né très connu à Lafiabougou (notamment) et Djicoroni-Para parce qu’il était presque au centre de toutes les manifestations sportives et culturelles», témoigne Manu Chao, l’un de ses amis croisés a «Zion». Footballeur polyvalent, car très athlétique, il a été un pilier de Liverpool du quartier dans les années 70. à l’époque, il était déjà surnommé Peter Tosh.

Auteur compositeur, arrangeur, interprète et instrumentiste, certains de ses élèves le décrivent comme professeur du Nyabinghi (à l’origine, un culte et une société secrète africaine, recourant à des danses à des percussions rituelles et qui a inspiré le mouvement rastafari en Jamaïque) et de Roots Rock Reggae. Il est en tout cas très connu avec le Sound System. Membre fondateur du Mouvement rastafari du Mali (MOURASMA), Balla a décidé en 2000 de se réfugier à Lassa pour s’éloigner des bruits et des clameurs de la capitale. Alors, Lassa n’était presque qu’un hameau avec une nature luxuriante propice à la méditation… Toutes les conditions y étaient réunies pour la vie saine et naturelle si chère aux Rastas.

C’est en ce moment qu’il choisit le bogolan (teinture artisanale) comme outil d’expression artistique et politique. Il développe ses propres techniques et supports, crée ses étoffes à partir du coton en s’appuyant sur des tisserands. Très tôt, sa réputation franchit Lassa et il est très sollicité par des services de coopération (Suisse, France, Allemagne…) pour des foires, des ateliers… Ces créations font la pluie et le beau temps des défilés de mode organisés à Lassa, à l’Institut français du Mali (alors Centre culturel français de Bamako) ainsi qu’un peu partout en Afrique et en Europe. Ses habits (robes, jupes, vestes…), ses accessoires de mode et ses œuvres de décoration intérieure s’arrachent… pour leur qualité exceptionnelle et leur authenticité.

«J’ai donné le meilleur de moi-même pour rehausser l’image de mon pays. J’ai forcé des portes par mon talent et mon engagement. Et j’étais sollicité à l’extérieur pour représenter mon pays. Mais, au lieu de m’aider, de m’épauler, on a plutôt tout fait pour me briser, pour m’exploiter», nous dit l’artiste engagé, la silhouette modelée par la pratique du sport. Même affecté par un asthme rebelle, il continue à pratiquer la marche. «Cela me permet de dégager les poumons et d’aérer l’esprit», nous explique-t-il. Et aussi de méditer sur les enseignements des coups assenés par la vie, de survivre aux coups fourrés et aux trahisons.

«J’ai été écarté des projets qui m’étaient destinés pour ensuite essayer de m’utiliser comme sous-traitant. Mon nom a été rayé des invitations pour des foires ou d’autres manifestations à l’extérieur pour me remplacer par des gens qui n’ont aucune envergure et quitte à y ternir l’image du pays», nous raconte-il avec beaucoup d’amertume dans la voix. Et de poursuivre, «comme je ne me laissais pas faire et je ne suis jamais dans les sales coups et dans les petits arrangements pouvant toucher mon honneur, ma dignité ou porter atteinte à l’image du Mali, je suis devenu rapidement un ennemi à neutraliser, un obstacle aux intérêts égoïstes…»

Mais ceux qui étaient dans cette logique ignoraient sans doute qu’ils perdaient leur temps parce Ras Ballaski à d’autres motivations que l’argent ou la vie de star. «Le bogolan, aussi bien que la musique, je le pratique par passion, par amour et non pour un quelconque intérêt financier», précise-t-il avec une déception qu’il ne cherche pas à dissimiler. Et c’est le même sentiment qu’on sent en lui lorsqu’il vous présente ses catalogues et ses créations encore jalousement bien conservées.

Frustration- Et quand on voit l’originalité des créations et la qualité des étoffes et autres supports utilisés par cet artistique atypique, on ne peut que comprendre sa déception, la frustration et la colère qu’il n’a même pas tenté de dissimiler durant notre long entretien. C’est cela aussi un trait caractéristique de Ballaski, un homme de principe avec un caractère bien trempé : la franchise et la sincérité ; la loyauté et la fidélité à ses relations (sociales et professionnelles), à ses convictions et aux valeurs auxquelles il croit. En dehors de se battre pour la reconnaissance mondiale du bogolan, Ras Ballaski a été aussi entre 2006 et 2010 un acteur très engagé en faveur du commerce équitable, pour la promotion du coton bio aux côtés de certaines organisations comme Helvetas de la Suisse.

Aujourd’hui marié à une Française qui lui a donné 3 magnifiques enfants, Ras Ballasky ne regrette aucunement son engagement que ses créations artistiques reflètent. «Ma passion pour le bogolan m’a ouvert beaucoup de portes et m’a permis de rencontrer de nombreuses personnalités comme le regretté ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan ; Jacques Chirac (paix à son âme), Abdou Diouf, Alphady…», savoure-t-il. Il est aussi fier d’avoir pu transmettre sa passion de l’art et son savoir-faire à de nombreux jeunes de différents horizons.

«J’ai pu former au bogolan ou à la musique plus de 200 jeunes maliens. Sans compter ceux qui venaient d’autres pays (Sénégal, Guinée Conakry, Burkina Faso, France…) pour séjourner ici dans le cadre de leur apprentissage. J’ai ainsi pu contribuer à la réinsertion socioéconomique de tous ces jeunes». Et c’est avec fierté qu’il parle aussi du talent précoce que ses filles laissent éclater sur les tissus et les toiles. «Elles promettent parce qu’elles progressent au file des ans», dit-il avec une fierté légitime.

En fait, c’est par patriotisme et surtout pour préserver son sanctuaire sacré du rastafarisme que ce talentueux artiste vit presque en solitaire au Mali alors qu’il a la nationalité française depuis 2000. Mais, avec l’âge et un état de santé plus que instable, il n’écarte plus l’hypothèse de rejoindre son épouse et ses enfants en France. Une éventualité qu’il envisage néanmoins avec amertume et mélancolie. Et cela d’autant plus que malgré les coups durs de la vie, «je suis très heureux ici», nous confie-t-il. «Je jouis ici de la liberté physique, mentale et spirituelle», explique-t-il. C’est cela le bonheur selon Jah Ballaski, le vieux sage de «Zion Place» ou «Zion Land» de Lassa, le sanctuaire sacré du rastafarisme au Mali.

Source : L’ESSOR

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