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Ramadan : petit guide du jeuneur gêné

« Comment on va jeûner si on n’a rien à manger ? » : à celui qui prie d’autres divinités qu’Allah, cette phrase entendue récemment dans une rue africaine apparaît comme un paradoxe, voire un oxymore.

 

Pourtant, si les dictionnaires attribuent au verbe « jeûner » la définition « se priver de nourriture », chacun sait que le neuvième mois du calendrier hégirien est tout autant synonyme de privation diurne que de surconsommation nocturne. Il n’est pas non plus inédit que ramadan rime avec quadrature du cercle familial. Mais quid des effets spécifiques de l’épidémie de Covid-19 ? En cette année 2020, la gageure fervente est triple : sociale, financière et sanitaire…

Sur le plan social, le pilier de l’islam auquel se consacrent désormais les fervents musulmans est traditionnellement synonyme de convivialité, de partage amical et de charité, toutes choses largement compromises par les principes de distanciation sociale prônés par les experts de la pandémie.

« Visioruptures » de jeûne

Les croyants n’ont pas attendu les clins d’œil récents de la lune pour constater l’annulation de pèlerinages primordiaux, la fermeture de certaines mosquées et la réduction progressive du nombre de personnes autorisées à se rassembler. Entre couvre-feu et confinement –selon les pays–, la sainte période pourrait donc rimer avec introspection en cercle familial restreint, isolement éventuellement brisé par des « visioruptures » de jeûne, pour les plus connectés.
Sur le plan du porte-monnaie, le musulman lambda craint de transpirer doublement. Avec la fermeture, même relative, de certaines frontières –pour des raisons de circulation du Covid–19 certaines marchandises circulent au compte-goutte. Dans les zones largement dépendantes des importations légales ou illégales, une majoration « événementielle » et mécanique des prix s’ajoute aux effets « spéculatoires » traditionnellement liés à l’augmentation de la demande en période de jeûne.

Expérience accrue de dénuement ?

Ici et là flambe le coût du lait, du sucre ou des céréales. Cette année, peut-être le mois du contrôle des pulsions et de la bienveillance caritative permettra-t-il l’élévation spirituelle par une expérience accrue du dénuement, cette pauvreté que certains ne regardent d’habitude que du haut de leur générosité paternaliste…Digital !
Que dire de la troisième dimension du casse-tête ? Sur le plan sanitaire, digérée la question de la raréfaction des prières collectives, le virus apparaît presque « islamocompatible ». Les ablutions fréquentes des fervents musulmans ne sont-elles pas synonymes de cette hygiène prêchée par les spots de sensibilisation médicale ? De même que les laïcs suggèrent le port d’un cache-nez, certains prêcheurs ne prônent-ils pas le port d’un voile ? La déshydratation, à jeun, des bouches infectées ne limitera-t-elle pas la projection de postillons « prosélytes » ? Certaines études scientifiques récentes n’ont-elles pas démontré que le jeûne est le secret d’une vie largement exempte de certaines pathologies –obésité, diabète, troubles neurologiques ou maladies cardio-vasculaires–, pathologies mises à l’index comme facteur de comorbidité en période de coronavirus ?
Certes, certaines autorités comme celles du Tadjikistan suggèrent des dispenses de jeûne au nom de la pandémie. Certes, des observateurs du foyer mulhousien de février dernier affirment que le rassemblement évangélique comprenait une dimension « carême » qui avait affaibli le système immunitaire des candidats à la contamination. Pourtant, les préceptes de l’OMS sont largement conformes aux règles spirituelles.
Triste cerise sur un gâteau déjà peu alléchant, un dernier facteur s’ajoute, dans quelques zones africaines, aux trois gageures de ce mois de ramadan : le facteur climatique. En ce mois d’avril traditionnellement torride en Afrique de l’Ouest, il n’est même pas sûr que la canicule épuisante perturbe la propagation des gouttelettes gorgées de Covid…

Jeune Afrique
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