Le 26 mars 1991 est l’une des occasions qui prouvent que chaque fois que les Maliens se mettent ensemble, ils déplacent des montagnes. Cette date consacre la chute du régime dictatorial du général Moussa Traoré après 23 ans de règne. Le Mouvement démocratique qui regroupait les associations et organisations est le principal levain de ce soulèvement. Le Pr. Ali Nouhoum Diallo en était l’un des animateurs. A la veille du 30e anniversaire de l’éveil des consciences des opprimés du Mali, nous l’avons approché pour parler de son rôle dans ces événements. Les péripéties de la révolution de mars 1991 ? Des phases auxquelles il a participé laquelle retient-il ? Est-ce que mars 1991 a apporté le changement espéré ? Que reste-t-il du Mouvement démocratique ? Trois coups d’Etat en trois décennies, est-ce un échec de la classe politique ? Le doyen Ali Nouhoum Diallo reconnu pour son franc-parler a accepté de nous faire une évocation de l’Histoire du Mali. La rubrique s’intitule “Que sont-ils devenus ?”
Agé de 83 ans, Ali Nouhoum Diallo, membre fondateur de l’Adéma/Association, créée le 24 octobre 1990, de l’Adéma/PASJ, président de l’Assemblée nationale (1992-2002), président du Parlement de la Cédéao pendant cinq ans, éminent professeur à l’Ecole de médecine et de pharmacie du Point G, l’homme est réputé pour son franc-parler.
Au lendemain du coup d’Etat du 22 mars 2012, il a été le premier à alerter l’opinion sur les agissements et les prétentions du capitaine Amadou Haya Sanogo, démontrant le décalage entre les discours en français et bambara du putschiste.
Acteur majeur du Mouvement démocratique, il était au cœur des événements de mars 1991, notamment les premières journées meurtrières. Nous nous souvenons encore de ce médecin consciencieux en train de secourir les blessés à l’hôpital Gabriel Touré, surtout le jour où Ramatoulaye Dembélé (la fille de notre regrettée consœur Aïssata Cissé) a été criblée de balles.
Pour le 30e anniversaire de ces faits tragiques, Ali Nouhoum Diallo nous a reçus à son domicile. Pour l’une des rares fois, dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, l’interview a duré deux week-ends. Oui l’homme a beaucoup de choses à dire. Mais, à chaque fois, pour des contraintes sociales qu’il gère quotidiennement, nous avons dû reprogrammer l’entretien maintes fois. Le vieux professeur est accessible, mais le rencontrer pour débattre à bâtons rompus relève de la baraka extraordinaire.
Intrépidité
Quelles ont été les péripéties de la révolution de mars 1991 ? Quand est-ce qu’Ali Nouhoum Diallo a été contacté ? Quelle est la phase à laquelle il a le plus participé ? Il est évident que la lutte contre la dictature et sa mère, l’UDPM, a commencé le 19 novembre 1968, et selon Ali Nouhoum Diallo, quiconque oublierait cela aurait tort parce que bien avant que les militaires ne se soient implantés, Ibrahim Ly s’est signalé par des tracts.
Dès le 20 novembre, soit 24 h après l’arrestation du président Modibo Kéita, le Parti malien du travail, d’obédience marxiste-léniniste a également lancé un tract pour dénoncer le coup d’Etat et surtout prédire ce qui allait arriver, pour favoriser le retour en force de l’impérialisme français. Ce tract du PMT appelait tous les Maliens républicains, démocrates à se mobiliser pour une large force anti-néocolonialiste, anti-impérialiste.
C’est pourquoi l’ancien président de l’Assemblée nationale soutient que tout est parti de ces moments-là pour dire non aux militaires. De leur côté les responsables de l’US-RDA s’organisaient, les étudiants vont se livrer sous diverses formes pour s’attaquer aux putschistes. Ce qui conduira à beaucoup de martyrs comme Abdoul Karim Camara dit Cabral, Ibrahim Tiocary, Cheick Oumar Tangara.
En d’autres termes, le combat contre le régime militaire ne date pas de mars 1991, mais des premières heures du coup d’Etat du 19 novembre 1968. Ce combat est un sursaut national. Raison pour laquelle Ali Nouhoum Diallo refuse de singulariser le rôle des acteurs du Mouvement démocratique. Cette manière d’étiqueter un leader nous égare. Il conseille de comprendre que la lutte contre la dictature a été une lutte commune et générale. En tant que démocrate convaincu il dit avoir été de tous les combats. Et durant les journées folles de mars 1991, sa sécurité était assurée par le Pr. Tiémoko Sangaré. Celui-ci, un ancien du Service national des jeunes (SNJ) veillait sur lui lors des marches, et réunions clandestines.
Le jugement de Pr. Diallo par rapport au changement apporté par le 26 mars est sans équivoque. Certes la révolution n’a pas produit la satisfaction de toutes les aspirations, dit-il, mais elle a apporté énormément de changements. “Le développement de Bamako après le 26 mars n’a rien à voir avec Bamako du 19 novembre 1968 ; la prolifération des lycées à travers le pays. Donc c’est étonnant d’affirmer que le 26 mars n’a pas apporté de changement”.
Alors quelle est la capacité d’objectivité de ceux ceux-là qui pensent que mars 1991 n’a pas apporté de changement, s’interroge-t-il ? Évidemment qu’une certaine opinion n’est pas satisfaite, même les acteurs, mais comme baromètre de départ, Aly Nouhoun Diallo se sert de la liberté d’expression démocratique, de créativité, syndicale, la création des centaines de partis politiques. Mieux, il pose la question de savoir si la portée du mot d’ordre, multipartisme intégral, ses résultats escomptés surtout pour des partis politiques qui sont nés sans projet de société, de programme, mais qui continuent d’animer l’espace démocratique.
Le Mouvement démocratique est inoxydable
Cela ne fait l’objet d’aucun doute que Pr. Ali Nouhoum Diallo est un politicien aguerri, convaincu et surtout soucieux de l’avenir de ce pays. Est-ce que cette conviction politique devait lui faire abandonner la blouse ? Autrement dit devait-il délaisser les hôpitaux au profit de la scène politique ? Pourquoi et comment cela est-il arrivé ? “Au lendemain du 26 mars quand ATT disait qu’il retournera dans les casernes, j’étais dans la même logique de regagner les hôpitaux. Seulement lors des élections législatives, il s’est avéré qu’aucun des membres du comité exécutif de l’Adéma n’était candidat. Le président Alpha Oumar Konaré et Ibrahim Boubacar Kéita ont conclu que dans ce cas, il n’y aura pas de jonction entre la direction du parti et l’Assemblée nationale. Ils décidèrent de placer les membres du CE dans les localités où ils sont censés être des supers favoris : le Pr. Sall à Niafunké, Aly Nouhoun Diallo à Douentza, Dioncounda Traoré à Nara, Tiémoko Sangaré à Bougouni. J’ai tout fait pour me désister, finalement je ne pouvais rien. La pression générale était plus forte que ma volonté de désistement. Durant mes dix ans à l’Assemblée nationale, chaque mardi je faisais des consultations à l’hôpital du Point G et les vendredis, c’était la visite de tous les pavillons. Le Dr. Boubacar Tréta n’était pas d’accord avec ce programme. Il en a tellement parlé que j’ai menacé de démissionner de la présidence de l’AN. Mieux, chaque mercredi, j’apportais un coup de main au personnel de l’Hémicycle, jusqu’à ce qu’un jour j’ai oublié l’audience d’un ambassadeur. C’est un incident de parcours que j’ai géré, en présentant mes excuses au diplomate. Pour une anecdote, j’ai l’habitude de demander au président Félix Houphouët-Boigny, le temps qu’il a mis pour faire le deuil de la médecine ? Il m’a conduit dans une salle pour me présenter un arsenal de diagnostic, comme pour me dire qu’un médecin ne fera jamais le deuil de la médecine”.
Trente ans après la révolution du peuple malien, pour l’implantation du multipartisme intégral, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Le Mali dans son organisation et dans sa gestion des affaires a connu des avancées notoires, mais que reste-t-il du Mouvement démocratique ? Beaucoup, estiment certains acteurs que nous avons interrogés. Parce qu’aujourd’hui la diversité de la presse permet de dénoncer les arrestations extrajudiciaires et les emprisonnements arbitraires. L’analyse de Pr. Aly Nouhoun Diallo est basée sur le quotidien politique pour argumenter qu’il reste beaucoup du Mouvement démocratique.
Les partis issus de la Coordination associations et organisations ayant animé l’insurrection populaire contre le régime dictatorial de Moussa Traoré sont toujours debout sur les remparts pour un bel avenir du Mali. Selon la capacité des Maliens de s’indigner, de s’insurger il ne mourra jamais, d’où sa conviction qu’il reste beaucoup du Mouvement démocratique.
Pourtant, à la lumière de tout ce qui s’est passé de 1991 à nos jours, il apparaît clairement que les acteurs du Mouvement démocratique ont failli, trois coups d’Etat en trois décennies, des partis politiques qui s’entre-déchirent pour des intérêts personnels, des hommes politiques qui changent de veste en fonction de la position du vent. Bref, aucune conviction politique pour animer l’espace politique.
Sur ce point précis, notre héros de la semaine n’est pas d’accord avec notre constat. Il soutient au contraire que les acteurs du Mouvement démocratique n’ont pas failli. Ils ont certes commis des fautes, argumente-t-il. Et d’enchaîner ne commettent pas d’erreurs ceux qui n’agissent pas. “Il suffit d’analyser les fautes, d’avoir ses causes pour ne plus les refaire”, exhorte-t-il.
Son opinion sur les coups d’Etat est un rappel des propos de l’ex-président Alpha Oumar Konaré “si un militaire me succède, c’est un échec de la démocratie, et c’est mon échec personnel” avant de conclure qu’il est évident que tout coup d’Etat survenu après le 26 mars 1991 interpelle sérieusement les patriotes, les démocrates et les républicains…
O. Roger Tél (00223) 63 88 24 23
Source: Aujourd’hui-Mali