Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara s’ouvre ce lundi 11 octobre au Burkina Faso. Trente-quatre ans après le coup d’État qui a coûté la vie au célèbre dirigeant révolutionnaire, 14 individus vont être jugés par le tribunal militaire de Ouagadougou. Mais le principal accusé, l’ancien président Blaise Compaoré, qui vit en exil en Côte d’Ivoire, sera absent. Comment réagit la veuve du capitaine Sankara, qui sera présente, elle, à l’audience ? En exclusivité sur RFI, Mariam Sankara se confie.
RFI : Trente-quatre ans après le crime, le procès des assassins présumés de votre mari s’ouvre, ce lundi. Qu’est-ce que vous en attendez ?
Mariam Sankara : Moi, j’attends que la justice soit rendue en toute transparence. J’attends que les accusés nous disent qui a fait quoi. Je souhaite vraiment que ce procès ait lieu et qu’il serve d’exemple pour qu’on ne tue plus impunément au Burkina Faso et dans d’autres pays. Il faut aussi que, malgré les démocraties de façade, que cela s’arrête définitivement.
Et est-ce que vous y serez physiquement, ce lundi matin, au tribunal militaire de Ouagadougou ?
Oui. Lundi matin, je serai au tribunal. La famille Sankara y sera. Nous voulons connaître la vérité.
Alors, « Qui a fait quoi ? » C’est votre expression. À partir de ce lundi, devant le tribunal militaire, doivent être jugés quatorze individus. Et parmi ceux qui vont comparaître physiquement, il y aura Gilbert Diendéré, qui était à l’époque le bras droit de Blaise Compaoré. Qu’est-ce que vous attendez de son témoignage ?
Moi, j’attends qu’il dise la vérité. Il faut qu’il dise la vérité. Il est impliqué. Il est impliqué… Je ne doute pas de cela.
Parce qu’il était vraiment un homme très proche de Blaise Compaoré, à l’époque ?
Oui, oui… D’après les révélations que l’on a, on peut dire qu’il est impliqué.
Parmi les accusés qui ne seront pas présents, il y a Blaise Compaoré, qui était le numéro 2 du régime, sous Thomas Sankara. Cette absence, qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est regrettable. Parce que, pour avoir été responsable même du pays, il devrait assumer ses actes. Parce que fuir… Là, cela ne résout pas les problèmes. Il va fuir pendant combien de temps ? Il faut qu’il ait le courage d’assumer ses actes et de répondre à la justice burkinabè !
Dans une lettre rendue publique il y a quelques jours, par ses avocats, il dit que « loin de tourner le dos à ses responsabilités, il appelle de ses vœux l’union nationale contre le terrorisme, via la réconciliation du pays ».
Mais la réconciliation ne peut pas faire obstruction à la justice ! Il faut que justice soit rendue !
Et non seulement, lui ne sera pas là, mais ses avocats non plus ne seront pas là, puisqu’ils ont annoncé, il y a quelques jours, qu’ils boycotteraient ce procès, parce que, selon eux, c’est un procès politique…
Mais il y a eu crime, il y a eu assassinat ! On peut croire, même, à un assassinat avec préméditation ! Donc c’est un procès criminel !
Si Blaise Compaoré se rend au tribunal, il sait qu’il sera aussitôt arrêté ! Du coup, est-ce qu’il n’est pas assez logique qu’il refuse de comparaître ?
Je pense que toute personne doit avoir le courage. Surtout lui, qui a été un président, il ne devrait pas fuir, avoir peur… Il faut assumer ses actes !
Est-ce que vous pensez qu’il y a une certaine lâcheté de sa part ?
Tout laisse croire que ne pas répondre, changer de nationalité, essayer de se dérober… Qu’est-ce que vous voulez que je dise ? Je pense que ce n’est pas courageux, alors qu’il a aussi contribué à mettre ces juridictions en place. Mais il n’a pas le courage de venir assister, de faire face à la juridiction de son pays. Ce n’est pas courageux !
Depuis sept ans, Blaise Compaoré vit en exil en Côte d’Ivoire, où il bénéficie de l’hospitalité du président Alassane Ouattara. Que vous inspire cette bienveillance de la Côte d’Ivoire à son égard ?
D’abord, le Burkina et la Côte d’Ivoire sont deux pays frères. Je pense que la Côte d’Ivoire, quand même, ne devrait pas recevoir sur son sol quelqu’un qui est recherché par la justice. Faire cela, c’est quand même une manière de favoriser aussi l’impunité des citoyens.
Depuis trente-quatre ans, beaucoup de Burkinabè et d’Africains soupçonnent le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny d’avoir été le vrai commanditaire du coup d’État du 15 octobre 1987, contre votre mari. Est-ce que vous partagez ces soupçons ?
Je pense qu’il devait être dans le complot, quand même. Parce que vous savez la politique qui se passait au Burkina… La révolution n’était pas appréciée par beaucoup de pays alentours, donc beaucoup de choses étaient faites pour déstabiliser le régime. Je ne peux pas dire qu’il n’y est pas pour quelque chose, mais on attend la justice. On souhaiterait que la justice le prouve.
Depuis trente-quatre ans, beaucoup se demandent également si le président français de l’époque, François Mitterrand, qui était un homme très proche de Félix Houphouët-Boigny, n’a pas trempé dans le complot. Quelle est votre conviction à ce sujet ?
Mais c’est dans ce sens même qu’on a demandé la déclassification des dossiers classés « secret Défense », en France. À ma connaissance, je pense que cette partie de l’instruction n’est pas encore finie, donc on espère qu’on le saura. Peut-être qu’on ne le saura pas tout de suite, mais qu’un jour on saura où était la responsabilité de la France.
Mais vous n’excluez pas que les Français aient participé au complot ?
Mais oui, cela on le pense. Quand même, la France n’est pas neutre.
Source : RFI