Au cours de notre série d’entretiens sur la problématique de la gestion des ressources minières, le directeur général de l’Institut de Responsabilité sociétale des entreprises (Irse), Moussa Ben Deka Diabaté, s’est penché sur l’exploitation aurifère dans notre pays sous ses différents aspects.
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Moussa Ben Deka Diabaté : La problématique de la gestion des ressources minières est une question transversale qui questionne d’une part les acteurs et/ou parties prenantes impliquées dans la gestion, et d’autre part le rôle et la responsabilité de ces parties prenantes.
Qui sont les acteurs de la chaîne ?
Tout d’abord, il y a lieu de jeter un coup d’œil sur les organes ou cadres. En ce qui concerne le Cadre institutionnel, il est composé de deux types d’organes, notamment les organes législatifs chargés d’élaborer les lois, d’examiner les projets de loi et de promulguer les lois concernant le secteur extractif. Les Assemblées législatives, par leur fonction de surveillance, ont pour mandat d’assurer la transparence des activités gouvernementales et de l’affectation des fonds.
Quant au pouvoir exécutif, il comprend généralement la Présidence et le gouvernement à travers certains départements ministériels. Il prend souvent les décisions définitives sur les sujets fondamentaux, comme la délivrance de permis, la participation de l’Etat et l’établissement de fonds de stabilisation et/ou d’épargne pour les industries extractives
Quels sont les rôles et responsabilités des départements ministériels ?
Le ministère des ressources naturelles (Ministère des Mines) est responsable de la définition des politiques en la matière, notamment l’élaboration des lois et réglementations et la surveillance des organismes sectoriels sous la supervision d’un organe pour la gestion des droits d’exploration et d’extraction. S’y ajoutent une inspection qui réglemente et assure le suivi des opérations, un service géologique qui gère les informations géo scientifiques, un service d’économie minérale, un service de promotion, un service de l’industrie minière artisanale et à petite échelle, un service d’hygiène et de sécurité… ?
Parfois un service chargé de suivre le fonctionnement et la gestion d’une entreprise publique en collaboration avec un service des politiques chargé de rédiger et d’examiner les directives et les lois. ?
S’agissant du Ministère des Finances, il assure les fonctions essentielles à l’exécution des politiques publiques en matière économique et financière, à savoir la politique en matière de recettes dérivant de l’exploitation des ressources naturelles via la conception des régimes fiscaux ; la prévision et le recouvrement des recettes dérivant des ressources naturelles ; la gestion de l’enveloppe budgétaire allouée aux activités extractives ; la gestion du passif susceptible de résulter des activités. ?
Le Ministère de l’Environnement veille à ce qu’un plan de fermeture approprié soit établi dès les premières phases d’exploitation d’un projet. Aussi, il surveille la conformité aux plans de protection de l’environnement et aux plans de fermeture et perçoit les amendes ou autres sanctions pour non-conformité, autorisées par les règlements ; réglemente l’utilisation de l’eau et la pollution et vérifie le respect des conditions associées aux permis ; surveille les impacts de l’extraction des ressources sur la qualité des eaux souterraines ou de surface, du sol, de la faune et de la flore.
Il veille également à ce que les politiques régissant le secteur extractif soient compatibles avec la conservation des espèces sauvages. ?
Pour sa part, le Ministère de la Justice rédige les lois régissant le secteur pétrolier, gazier et minier, avec l’apport technique du ministère de tutelle et du Ministère des Finances (pour les questions d’ordre fiscal). ?Ainsi, il rédige les lois relatives à la gestion des recettes dérivant des ressources naturelles, avec l’appui technique du Ministère des Finances, ainsi que les règlements afférents aux permis miniers et aux opérations minières.
Les autres départements, notamment le ministère responsable de l’Industrie, le ministère de l’Éducation et de la Recherche, le ministère responsable de l’Aménagement physique, le ministère responsable du Travail, le ministère responsable des Travaux publics et des Transports, le ministère responsable des Collectivités locales, le ministère responsable des Technologies de l’information et des communications, le ministère responsable de la Sécurité, la Banque centrale, la Cour des Comptes, ont également un rôle essentiel à jouer dans l’exploitation aurifère dans notre pays.
Où en sommes-nous quant à la distribution des ressources financières ?
Nous vous donnons ici un aperçu des recettes générées par quelques sociétés minières installées dans la région de Kayes et distribuées aux collectivités. A titre d’exemple, de 2000 à 2007, la mine d’or de Sadiola a généré un montant de 3 044 106 358 Fcfa, 1 308 667 201 Fcfa pour la mine d’or de Yatela durant la période 2004-2007. Quant à la mine d’or de Loulo, de 2009 à 2010, elle a généré 1 119 300 000 Fcfa. Soit un montant total de 5 472 073 559 Fcfa versé aux collectivités locales des communes concernées.
Pour la clé de répartition de la patente, la loi n°2011-36 du 15 juillet 2011 relatif aux ressources fiscales des communes, des cercles et des régions stipule que la contribution de la patente doit être répartie comme suit : 60% du montant de la contribution au profit du budget de la commune, 25% du montant de la contribution au profit du budget du cercle et 15% du montant de la contribution au profit de la région.
La loi précise par ailleurs que 80% de ces fonds doivent aller aux investissements pour le développement communautaire et les 20% dans le compte fonctionnement du budget de la mairie, du conseil de cercle et du conseil régional.Le développement communautaire concerne les infrastructures sociales de base comme : les écoles, les centres de santé, les infrastructures routières, l’hygiène-assainissement (accès à l’eau potable, utilisation de latrine, etc.).
Malheureusement, les élus locaux utilisent 80% dans le fonctionnement et 20% dans l’investissement, tout à fait le contraire de ce que dit la loi, et cela sans être inquiétés. Il reste inadmissible qu’avec une telle manne financière, les collectivités n’arrivent pas à se développer au point où nos enfants vont se jeter dans les océans et mers à la quête d’emplois, les braves femmes croulent dans la misère à la quête du minimum vital pour nourrir leurs familles.
Aujourd’hui, les femmes rurales supportent les 70% des charges familiales afin de pouvoir stabiliser leur foyer. Cependant, les responsabilités sont bien connues. Ainsi, pour la responsabilité de l’Etat vis à vis de la population, il s’agit du manque de communication, d’information et de suivi dans la gestion des fonds alloués aux collectivités, comme s’il y avait une certaine complicité.
Quant aux collectivités, elles profitent de l’ignorance et de la méconnaissance de la population des lois pour s’enrichir sur son dos. Tout ceci se résume à la mauvaise gouvernance et au manque de vision de nos autorités, surtout politiques.
Il est indispensable aujourd’hui de procéder à un audit de toutes les collectivités et à tous les niveaux pour restituer tous les fonds détournés avec des sanctions à hauteur de souhait (principe de la notion de couple).
Quels sont les enjeux et les perspectives ?
Les encadrements légaux et contractuels ne sont efficaces que si les institutions en place ont la capacité d’en faire le suivi. Des attributions claires des responsabilités aux différents ministères et unités sont nécessaires pour une bonne gouvernance du secteur. Les problèmes de chevauchements, de dédoublements ou à l’opposé, de vides institutionnels ou ” gap ” sont courants. Le pouvoir discrétionnaire des différents intervenants devrait être limité au maximum.
Aujourd’hui, nous assistons à une véritable catastrophe dans la gestion des ressources minières en ce sens que c’est l’Etat, à travers ces différentes structures, qui élabore les lois, fait la mise en œuvre et le contrôle en rendant compte à lui-même (Etat). Avec une telle démarche où l’Etat rend compte à l’Etat, comment peut-on parler de développement encore moins de bonne gouvernance sans la transparence ? Nous assistons à des Etats codés.
Il est temps qu’une nouvelle structure totalement différente de celles citées ci-dessus soit créée. Cette nouvelle structure qui ne doit avoir en son sein aucun membre des structures citées, doit être dotée des moyens humains et matériels. Pour qu’elle soit efficace, elle doit avoir en son sein la société civile, surtout le genre, avec des missions et rôles bien définis et doit être placée sous le contrôle du peuple (société civile).
Le Mali est loin d’être un pays pauvre, surtout que la pauvreté n’existe pas. C’est un état d’esprit. Le Mali ne doit crouler sous le poids de quelques dettes extérieures que ce soit. Nos ressources internes bien gérées nous suffisent largement pour financer notre propre développement, notamment l’éducation, la santé, l’agriculture, les infrastructures, la justice…
Avez-vous un message à l’endroit de nos plus hautes autorités ?
Tous les ministères cités ci-dessus doivent, entre autres, mettre en place une base de référence et suivre l’évolution à travers le temps, identifier et assurer le suivi de la pollution, répondre aux questions relatives à l’impact des projets d’extraction minière sur l’utilisation des terres ou la qualité de l’eau, vérifier le respect des réglementations en vigueur. ?
Ils doivent également répondre aux inquiétudes et à la méfiance du public en abordant des questions soulevées, réagir à des perceptions de l’opinion publique basées ou non sur des faits, mettre en place une base technique pour les aspects de conformité et de responsabilité, évaluer l’efficacité des programmes communautaires ou des programmes de restauration…afin d’instaurer une pratique de bonne gouvernance car la bonne gouvernance est le gage d’un développement durable.
Réalisé par Boubacar PAÏTAO
Source: Aujourdhui-mali