En réponse à l’appel de ses pairs, le Président malien a demandé à son Premier ministre de «négocier» la formation d’un gouvernement d’union nationale pour «contribuer à l’apaisement de la situation.» Beaucoup de tapage médiatique pour, au final, reprendre les mêmes, selon les analystes interviewés par Sputnik.
Suite à la visite, le 23 juillet, à Bamako, de cinq Chefs d’État de la sous-région, le Président IBK a commencé à faire un geste en direction de l’opposition. Le ministère de l’Économie et des Finances a ainsi été confié à un ex-banquier, Abdoulaye Daffé, considéré comme étant proche de l’imam Mahmoud Dicko, devenu la figure de proue de la contestation au sein du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP)«L’imam Dicko avait soutenu le Président IBK lors de son élection en 2013. Il se montre au final plus modéré dans ses revendications que certains politiques du M5-RFP. Comme le pouvoir ne semble pas l’intéresser, il va continuer à s’appuyer sur les revendications de la base pour asseoir ses propres ambitions de leadership religieux se contentant, pour l’heure, d’arbitrer», analyse le président du Timbuktu Institute.D’où la décision du Président malien d’inclure un proche de l’imam Dicko dans la nouvelle équipe gouvernementale. C’est aussi une réponse à l’encouragement –le 27 juillet– de faire l’«union sacrée», envoyé par l’ensemble des Chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Réunis pendant trois heures en visioconférence, ceux-ci lui ont par ailleurs demandé une «recomposition rapide de la Cour constitutionnelle» ainsi que la «démission immédiate des 31 députés dont l’élection est contestée, y compris le président du Parlement», Moussa Timbiné. Ces démissions, si elles étaient effectives, pourraient ouvrir la voie à des Législatives partielles, ce qui constitue l’une des revendications du M5-RFP.
Pour la première fois dans l’histoire de la CEDEAO, l’organisation est allée plus loin en réclamant un «régime de sanctions» contre ceux qui se livreraient à «des actes contraires à la normalisation», a déclaré le chef de l’État nigérien Mahamadou Issoufou, qui s’est exprimé en clôture de ce sommet virtuel. En outre, les chefs d’État ont insisté pour que toutes ces mesures soient mises en œuvre «au plus tard» le vendredi 31 juillet.
Par décret, en date du 27 juillet, c’est-à-dire le soir même,le Président IBK a chargé son Premier ministre, Boubou Cissé, de constituer une équipe ministérielle restreinte de six membres, avec pour mission de «négocier» la formation d’un gouvernement d’union nationale, dont la tâche principale sera d’«apaiser la situation dans le pays.»
À part Abdoulaye Daffé, plusieurs poids lourds de la précédente équipe, qui avaient démissionné après les élections législatives de mars-avril, ont été reconduits pour mener à bien cette tâche.
Une offre politique limitée
Pour l’analyste béninois Gilles Yabi qui dirige à Dakar le think tank citoyen WATHI, il ne faut pas s’étonner que les résultats de cette médiation, pourtant claironnés dans tous les médias, soient, pour l’instant, décevants.
«Dès le départ, on pouvait craindre que la mission de la CEDEAO au Mali ne s’apparente à un sparadrap sur une jambe de bois. Mais, à la décharge des chefs d’État, l’offre politique dans le pays n’est pas si diversifiée que l’on puisse se permettre de renouveler entièrement la classe politique. L’important est que le dialogue entre les Maliens puisse être renoué et que les demandes sociales soient entendues», analyse Gilles Yabi au micro de Sputnik France.
À l’invalidation par la Cour constitutionnelle de la trentaine de résultats sortis des urnes lors des dernières législatives, considérée comme l’élément déclencheur de la crise actuelle, s’est rajoutée l’exaspération nourrie par des années d’instabilité sécuritaire dans le centre et le nord du pays. Le marasme économique, la mauvaise gouvernance et une corruption jugée endémique ont fait le reste.
Pour le fondateur de WATHI, si l’on veut effectivement un gouvernement d’union nationale au Mali, il faut pouvoir fixer une feuille de route qui n’exclut personne. Ce qui, à terme, risque de «faire éclater le M5-RFP», estime-t-il.
«La contestation au sein du M5-RFP est d’abord un mouvement uni contre le Président IBK. En cas de nomination au sein de ce mouvement, il y aura nécessairement des dissensions, voire une dissolution pure et simple de la contestation en son sein», reconnaît l’analyste béninois.
Réunis dans une coalition hétéroclite composée de religieux, d’opposants politiques et de membres de la société civile, les «contestataires» au régime du Président IBK avaient annoncé le 21 juillet une «trêve» jusqu’à après la grande fête musulmane de la Tabaski, prévue le 31 juillet. Mais des jeunes du M5-RFP, considérés comme les «fers de lance de la mobilisation», qui avaient fait le coup de feu lors de la troisième grande manifestation contre le pouvoir –le 10 juillet dernier–, ayant provoqué entre 11 et 23 morts selon les chiffres officiels, ont annoncé la reprise des manifestations après le 3 août.
Maintenir la «digue» malienne
Pour Alioune Tine, expert auprès de l’Onu et défenseur des droits de l’homme en Afrique, qui a fondé à Dakar il y a deux ans le think tank Afrikajom Center pour réfléchir à des politiques publiques plus transparentes en Afrique de l’Ouest, cette situation «délétère» au Mali préoccupe tous ses voisins. Car le «risque de contagion pour la sécurité et la stabilité régionales est réel», reconnaît-il.
«Les membres du Conseil de sécurité de l’Onu sont très inquiets. C’est pourquoi ils ont accentué la pression exhortant toutes les parties à suivre sans délai les recommandations de la CEDEAO», commente le fondateur d’Afrikajom Center au micro de Sputnik France.
Beaucoup d’États membres de la CEDEAO s’inquiètent, selon lui, du fait que la situation pourrait faire le jeu des groupes armés dans le pays et dans la région si elle n’est pas correctement gérée.
«L’union sacrée est indispensable pour éviter un effondrement de l’État [malien, ndlr] aux conséquences imprévisibles jusque dans les pays voisins comme le Niger et le Burkina Faso, également théâtres d’attentats djihadistes meurtriers, et même au-delà», a prévenu de son côté le Président Issoufou.
Pourtant, la CEDEAO a insisté dans ses recommandations «plus sur l’aspect institutionnel des réformes que sur l’aspect de la gouvernance», déplore-t-il. Une critique largement partagée par la plupart des observateurs de la dégradation constante de la situation politique au Mali. Aussi, pour le militant sénégalais des droits de l’homme, un apurement en profondeur de l’État malien «avec une reddition des comptes et un suivi institutionnel» s’impose.
«La crise politique ne pourra pas être résolue sans une réforme en profondeur dans la manière dont fonctionnent les institutions au Mali. Cela passe, aussi, par une plus grande responsabilisation des élites politiques, qui doivent montrer l’exemple. Le Mali est une digue dans la sous-région face aux coups de boutoir du djihadisme. Il ne faut pas qu’elle saute», conclut-il.