Dans de nombreuses familles maliennes, faire bouillir la marmite est « une lutte de tous les jours ». Face à l’instabilité des prix et à la stagnation des salaires,se développe le système D.
Il est 8h du matin et Aminata Traoré se dirige d’un pas rapide vers le marché de Kalaban Coura. Sur le chemin, elle et ses camarades de marché du jour n’ont qu’un seul sujet de conversation : les jonglages pour remplir la marmite de midi. « J’ai de la chance, mon mari achète le sac de riz chaque début de mois. Je n’ai donc plus besoin que des condiments pour préparer ma sauce », explique-t-elle. « La chanceuse » a en tout et pour tout, bien dissimulée dans son porte-monnaie au fond de son seau, la somme de 1 250 francs CFA. Avec les 1 000 francs remis par Monsieur, comme chaque matin, elle va acheter le nécessaire pour la sauce, les 250 francs restants achèteront du charbon, parce que « la fumée du bois m’irrite la gorge ». Elle tire l’argent du combustible du bénéfice du petit commerce de fruits qu’elle tient tant bien que mal devant la porte de la concession familiale. Précision importante : Aminata doit faire la cuisine pour une « cour » d’environ une vingtaine de personnes, comprenant ses enfants, ceux de sa belle-sœur et les neveux et nièces venus du village. À côté d’elle, marchant avec tout autant de détermination, Lagaré est deuxième épouse. C’est son tour de faire la cuisine et son mari lui a, à elle aussi, donné le pécule quotidien. Sauf que celui-ci est de 500 francs CFA. Au marché, les achats se font au pas de course : un petit peu de tomate concentrée à 50 francs, deux piments à 25 francs, du bouillon cube pour 50 francs. À cela s’ajoute des feuilles de manioc fraîchement coupées pour 200 francs (elle explique que cela ne suffira pas mais qu’elle fera avec), un tas d’échalotes pour 50 francs, un peu d’huile rouge et un petit tas de poisson fumé local, pour donner du goût…
Dans la plupart des familles, à l’instar des 63% de Maliens vivant en dessous du seuil de pauvreté (c’est-à-dire avec moins d’un dollar par jour et par personne, ndlr), les trois repas par jour sont un véritable défi à relever. Chaque mère de famille y va de sa petite astuce pour assurer aux enfants « un quelque chose à se mettre dans le ventre le soir. Chez moi, on fait une salade. Ce n’est pas parce que nous aimons particulièrement ça, mais parce que ça revient moins cher et que ça permet à tous d’avoir quelque chose », comme nous l’explique Lagaré. La croissance économique de 5% avec laquelle le Mali a renoué depuis 2014, elle avoue ne pas la sentir, ou plutôt la percevoir comme l’augmentation de « tout ». Même le « tiècouroulèn » (poisson fumé local), est devenu cher. Tu ne peux plus en acheter que par petit bout, histoire de donner du goût. La viande alors, n’en parlons pas ». Au marché de Dibida, « Dogonon », le boucher, sait comment dépanner cette clientèle qui n’a plus les moyens d’acheter de la viande. « Je récupère tout ce qui est récupérable quand je nettoie la viande. Graisse, os, morceaux de chair et j’en fais des petits tas. Les femmes les prennent à 150 ou 200 francs. Ça me permet de ne rien jeter, c’est donc gagnant-gagnant », assure-t-il. Il faut venir tôt pour bénéficier de cette offre, qui est disponible « le matin et l’après-midi, pour le repas du soir », explique le boucher. Au plus fort de « la crise de la viande », l’an dernier, quand le kilo avec os a frôlé les 3 000 francs, « on gardait la viande sur les étals. Les gens ne venaient même pas acheter. Moi, j’ai réduit la quantité que j’apportais au marché pour ne pas perdre », se souvient-il.
Dans le même marché, Balla a vu son étal de produits divers se réduire au fil des mois. « Auparavant, je vendais souvent pour des centaines de milliers de francs par jour. Aujourd’hui, même le riz est vendu en petite quantité. Des gens viennent prendre un quart de kilo de riz… Ça ne peut même pas rassasier une personne, ne me parlez pas d’une famille ! » Les affaires vont mal, « les gens n’ont pas d’argent ». Aminata affirme pourtant que ce sont les mêmes 1 000 francs qui lui permettaient de nourrir sa famille et même parfois de faire des économies. Elle donne l’exemple des échalotes. « Avant, à cette période de l’année, le kilo était à 75 francs. Aujourd’hui, c’est 300 francs », explique la jeune mère de famille. Malgré la vigilance des services de contrôle des prix de la Direction nationale du commerce et de la concurrence déployés sur les marchés, il semble bien que les prix augmentent, lentement mais sûrement. « Il n’y a personne pour nous défendre ! L’État accorde des exonérations à des commerçants qui vendent quand même cher les produits. Il n’y a même pas d’association de consommateurs digne de ce nom ! », s’insurge Adama Coulibaly, gérant de boutique à l’ACI 2000. Qu’ils perçoivent des revenus dits « moyens », soit environ 200 000 francs CFA par mois, ou qu’ils vivent du SMIG, à 40 000 francs CFA (augmenté en 2015 et 2016), les consommateurs maliens n’en finissent donc pas de se plaindre de la baisse de leur pouvoir d’achat. Se nourrir mais aussi se soigner, se loger et même s’habiller, tout est devenu plus difficile. Alors, on développe des stratégies.
Le boom des « seconde main »
L’un des exemples de l’expansion du système D, c’est la prolifération des « friperies », partout à Bamako, mais aussi dans les régions. Les « casses » ne concernent plus seulement les appareils électroménagers ou les pièces de voitures. Il est aujourd’hui possible de s’habiller de pied en cap et de meubler sa maison grâce aux produits de seconde main importés d’un peu partout. À Torokorobougou, la « casse américaine » de Sylla ne désemplit pas et on y voit toutes sortes de clients. « Même certains expatriés viennent ici, parce qu’il y a la qualité, moins cher. Il y a même des conserves qui viennent des États-Unis et qu’on ne trouve pas ici », assure le commerçant qui recevait à peine quelques « balles » de vêtements il y a cinq ans. Maintenant, je pars charger moi-même mes conteneurs aux États Unis ». « Aucun contrôle n’est fait sur ces produits. Dieu seul sait d’où ça vient et ce qu’on risque à les utiliser », s’inquiète Adama le gérant. Autre plan de plus en plus utilisé, l’achat groupé. Plusieurs chefs de familles se mettent ensemble pour acheter une grande quantité de produits (riz, lait, ou encore un bœuf) et partagent les coûts. « Cela nous revient moins cher, tout simplement », explique Sinayoko. Avec ses amis du grin, il espère que, « comme en France ou ailleurs, on se penche sérieusement sur notre pouvoir d’achat et que l’État fasse quelque chose »…
Par Célia d’ALMEIDA
Source: Journaldumali