Alors que la violence djihadiste s’intensifie au Mali, l’analyste Paul Melly se demande si la France peut persuader le reste de l’Europe de se joindre à cette lutte.
La ministre des Forces armées, Florence Parly, a appelé les autres gouvernements de l’UE à dépêcher des forces spéciales dans le Sahel, pour aider à freiner les attaques des militants islamistes qui ont tué plus de 100 soldats maliens ces dernières semaines.
Mais la France, elle aussi, paie un lourd tribut pour son rôle dans la lutte contre le djihadisme au Sahel avec la mort de 13 soldats lors d’un crash.
Deux hélicoptères, un de combat et l’autre de transport se sont percutés lundi. Au total, la France a perdu 38 soldats au cours de cette campagne de près de sept ans.
Embuscades meurtrières
La violence extrémiste, parfois mêlée à des trafics (drogue, armes, êtres humains) ou à des tensions communautaires locales, perturbe la vie quotidienne et tout espoir de développement dans cette région désespérément pauvre, en bordure du Sahara.
Mais les causes sont complexes et ni les négociations ni les opérations militaires n’ont encore réussi à rétablir la sécurité.
En effet, la crise semble s’aggraver.
Malgré la création par les pays sahéliens d’une force commune de lutte contre le terrorisme et la présence de 4.500 soldats français et de plus de 14.000 Casques bleus de l’ONU, les groupes djihadistes ont cette année intensifié leur guerre contre le Mali et ses alliés internationaux.
Dans les régions du centre, l’activité djihadiste est dirigée par le charismatique prédicateur Amadou Koufa, qui est Peulh, un groupe ethnique d’éleveurs semi-nomades majoritairement musulmans.
Cette situation s’est entremêlée de tensions au sujet de ressources telles que la terre, les pâturages et l’eau, ce qui mine les relations avec un autre groupe ethnique musulman local, les Dogon, dont certains ont formé leur propre milice.
Plus à l’est, surnommée la “région des trois frontières” où le Mali, le Burkina Faso et le Niger partagent une frontière commune ; la zone a été le théâtre d’attaques transfrontalières répétées de groupes armés, dont l’un revendique l’allégeance à l’Etat islamique (IS).
Les militants ont monté une série d’embuscades meurtrières, étendu leurs activités à une grande partie du Burkina Faso et même enlevé deux touristes dans un parc national du nord du Bénin, confirmant les craintes qu’ils pourraient bientôt constituer une menace pour les pays côtiers, que sont la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria.
Le Mali “n’est pas oublié”
Ce n’est pas une crise africaine qui a été ignorée par le reste du monde. Bien au contraire.
Elle est régulièrement au centre des discussions du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’opération des Nations Unies au Mali (MINUSMA), avec des troupes d’Asie, du Canada et d’Europe ainsi que d’Afrique.
En outre, depuis 2013, l’Union européenne forme l’armée malienne, tandis que la force antiterroriste française – l’opération Barkhane – déployée dans le Sahel, est soutenue par des hélicoptères britanniques, d’autres alliés européens ainsi que des drones de surveillance américains.
Principaux groupes djihadistes :
- Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance de djihadistes, comprenant :
Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqim)
Ansar Dine, dirigé par Iyad Ag Ghaly, chef général du GSIM
Le Front de libération de Macina, dirigé par Amadou Koufa
- L’Etat islamique du Grand Sahara (ISGS), affilié à IS, actif dans le nord-est du Mali
- Ansarul Islam, actif dans le nord du Burkina
Pourtant, la crise sécuritaire continue de s’aggraver.
La MINUSMA est la mission de l’ONU la plus dangereuse au monde, ayant perdu 206 personnes au cours des six dernières années.
Sous la supervision du fragile accord de paix de 2015 entre les gouvernements maliens et les groupes qui ne sont pas engagés dans le terrorisme, la force des Casques bleus tente de soutenir les communautés locales.
Mais comme les lignes de ravitaillement s’étendent sur plusieurs centaines de kilomètres jusqu’à leurs bases isolées, ses troupes sont très vulnérables.
Cependant, ce sont les armées des pays du G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad et Mauritanie) qui sont les plus touchées par la campagne djihadiste.
Elles ont désespérément besoin d’un financement et d’équipements internationaux supplémentaires pour leur propre force interarmées de 5.000 hommes.
L’armée malienne, en particulier, a du mal à s’en sortir : loin de la capitale, Bamako, sur un terrain difficile où les températures peuvent grimper jusqu’à environ 50°C pendant les mois chauds, les soldats sont en danger lorsqu’ils se déplacent en patrouille et se barricadent dans des bases de garnison rurales isolées.
Pour mieux comprendre la crise malienne
Les troupes françaises, appuyées par des hélicoptères et des avions d’attaque Mirage 2000, fournissent un soutien d’urgence chaque fois qu’elles le peuvent.
Mais ils couvrent une vaste région où, même avec le soutien des drones de surveillance américains, il est difficile de traquer de petites bandes de militants qui traversent à moto le terrain aride.
Les emplois, pas les armes à feu
Tout le monde s’accorde à dire qu’une action militaire ne peut mettre fin au terrorisme et rétablir la stabilité.
- Coordination des mouvements azawadiens (CMA), anciens séparatistes touaregs qui ont signé l’accord de paix de 2015, notamment :
Le Conseil Supérieur pour l’Unité (HCUA)
- La Plate-forme, une alliance pro-gouvernementale de milices du nord du Mali qui ont signé l’accord de paix de 2015, notamment :
Le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et ses alliés (Gatia), dirigé par Ag Gamou.
Ganda Koy (signifiant Maîtres de la Terre)
Le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA)
- Dan Na Ambassagou (Chasseurs qui ont confiance en Dieu), milice Dogon lancée au Mali central en 2016, en théorie dissoute par le gouvernement mais toujours en cause.
La santé, l’éducation, la justice et l’administration de base sont nécessaires pour renforcer le soutien communautaire à l’Etat malien.
Davantage d’emplois et de moyens de subsistance pourraient réduire le risque que des jeunes soient attirés par des groupes djihadistes ou des bandes criminelles qui offrent de l’argent et le statut qui peut découler du port d’une arme.
Un large éventail de donateurs ont engagé d’importants budgets d’aide au Sahel, motivés par l’inquiétude face à la pauvreté et au changement climatique dans cette région fragile et sujette à la sécheresse, mais aussi par la crainte des répercussions du terrorisme et d’une résurgence potentielle des flux migratoires à travers le Sahara et la Méditerranée.
Mais même avec une aide importante, il est difficile de fournir des services publics efficaces ou d’assurer le développement économique à la base lorsque les conditions sont si précaires et que les employés du gouvernement font face à des menaces et intimidations et parfois à un risque d’assassinat.
La méfiance entrave le progrès
Dans le centre du Mali, il y a eu des négociations au niveau communautaire qui pourraient déboucher sur un processus de paix local durable.
Mais elle est fragile au mieux, entravée par la méfiance et la réticence au niveau politique.
Plus au nord, des progrès ont été réalisés dans la démobilisation des combattants des groupes armés qui ont signé l’accord de paix de 2015.
L’intention est que nombre d’entre eux soient absorbés par des unités spéciales intégrées de l’armée, afin de renforcer la sécurité locale.
Mais là encore, les progrès ont été lents et n’ont pas été facilités par la réticence du gouvernement à développer pleinement les services publics à Kidal, la capitale régionale du nord-est, toujours sous le contrôle des anciens séparatistes Touaregs, même si ceux-ci sont signataires de l’accord de paix.
L’approche militaire actuelle des armées sahéliennes et de leurs partenaires internationaux ne fonctionne pas, du moins pas suffisamment, et la France est bien consciente de la nécessité d’une approche nouvelle.
C’est l’une des régions les plus pauvres du monde et il est essentiel de se concentrer davantage sur le développement. Mais cela ne peut toujours pas se faire sans une meilleure sécurité.
C’est la raison pour laquelle, malgré la perte de 13 hommes dans l’accident d’hélicoptère de cette semaine, le président Emmanuel Macron reste engagé dans la campagne militaire, en alliance avec les gouvernements sahéliens.
Mais Paris attend désespérément que d’autres pays européens fassent plus pour aider à partager ce fardeau.
A propos de l’auteur
Paul Melly est consultant auprès du groupe de réflexion britannique Chatham House et journaliste spécialisé, Afrique francophone.
BBC