“Les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne peuvent y faire face qu’en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées”, extrait du préambule de la constitution de l’OMS, Organisation mondiale de la santé.
Partout dans le monde, le Covid-19 met les chefs d’Etats sur la ligne de front, qu’il s’agisse des régimes présidentiels ou autocratiques. A trois ans de la fin de son deuxième et dernier mandat, le Président Ibrahim Boubacar Keita est face à une épreuve importante comme l’ont été ses prédécesseurs en leurs temps. Modibo Keita, premier président (1960-1968) du Mali indépendant a fait face en proclamant l’indépendance du Mali le 22 septembre 1960, après l’éclatement de la Fédération du Mali (Sénégal et République soudanaise) le 20 août 1960, et en raison de la difficulté d’harmoniser sa vision politique avec celle de Léopold Sédar Senghor. Alpha Oumar Konaré, premier président du Mali démocratique (1992-2002), décline, en juillet 1995, l’invitation du président français, Jacques Chirac, à le rejoindre à Dakar lors de sa première visite présidentielle en Afrique de l’Ouest. Il aurait eu le sentiment d’être convoqué par un ministre des Colonies en tournée d’inspection. C’est comme renier la volonté d’indépendance de Bamako vis-à-vis de Dakar (Cf. Divorce de la fédération Mali en 1960). Amadou Toumani Touré, président du Mali (2002-2012) refuse, en 2008, de signer l’accord sur “l’immigration concertée“, proposé par le gouvernement de François Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Cet accord consistait à rapatrier les Maliens sans papiers au pays. Le refus d’Amadou Toumani Touré de cautionner ces expulsions lui a évité deux écueils politique et économique. D’abord par ce refus, son pouvoir a échappé à une possible explosion sociale. Ensuite, les 4 millions de Maliens (chiffres de 2008), établis en France en 2008 contribuent annuellement à peu près 120 milliards de francs CFA dans l’économie malienne dont le pouvoir d’Amadou Toumani Touré ne voulait pas se priver. Comme ses prédécesseurs, le président Ibrahim Boubacar Keita affronte sa première crise majeure, le Covid-19 dans un contexte où le système de santé est déjà mis à mal par le paludisme.
Les conséquences du Covid-19 sont humaines, et politiques dans l’immédiat. Le Covid-19 a déjà ses effets politiques. Ainsi, le taux de participation pour les élections législatives du 29 mars et du 19 avril 2020 reste faible par comparaison à ceux du 25 novembre et du 15 décembre 2013. Il n’a pas dépassé les 35 % au 1er tour alors qu’aux précédentes législatives, il était de 38,4 % au 1er tour (source Cour constitutionnelle, 2020). Pour le 2eme tour, le taux de participation n’a pas dépassé les 35 % alors qu’il était de 37 % aux précédentes législatives (source Cour Constitutionnelle, 2020). Aujourd’hui, 147 députés siègent à Bagadadji. Un des enseignements de ces élections, c’est l’abstention, qui traduit bien le fait que le régime électoral actuel est dérisoire et que le pouvoir parlementaire reste à reformer. La clef de voûte des députés, au-delà de leur rôle de vote des lois et du contrôle de l’action gouvernementale, c’est de reformer le pays. Par exemple, pour la probité électorale, il est nécessaire de diviser le Mali en circonscriptions également peuplées, quantitativement parlant. La question du vote obligatoire doit être aussi traitée (voire ouvrage Marchands d’Angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, 2019).
Enfin, le Covid-19 a aussi des effets sur les libertés individuelles et collectives. Aujourd’hui, le Covid-19 et son développement ne sont pas favorables aux conflits sociaux, et infligent au peuple une privation de tous ordres : plus possible de se mobiliser pour dénoncer des situations d’injustice ou de manquement à la règle. En lieu et place des marches de revendication pour demander des meilleures conditions de vie, se trouvent désormais la solidarité et la compassion. Autant dire qu’il y aura un avant et un après cette crise sanitaire. Un des enjeux, après Covid-19, c’est la capacité du pouvoir à rétablir les libertés individuelles. Car une crise peut en cacher une autre. Un dernier point, c’est la responsabilité politique de la gestion et de la résolution de crise, qui incombe au chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keita.
Certes, la mobilisation du Premier ministre et ministre de l’Economie et des Finances, Dr. Boubou Cissé, les membres de son gouvernement, les différents services publics et l’administration, est centrale. Mais il n’en demeure pas moins que le président de la République reste le détenteur principal du pouvoir. Il sera jaugé à son autorité et à son humanité. Plus la crise est maîtrisée, plus le sentiment de reconnaissance des Maliens envers le président croit. Mais si par erreur, les différentes initiatives (enveloppe de 6 milliards 300 millions F CFA pour lutter contre le Covid-19 par exemple) s’avèrent inappropriées et les fonds mal utilisés, si les informations fournies ne sont pas justes (nombre de cas, décès et guéris, en deçà de la vérité) le peu de confiance entre les institutions et le peuple peut voler en éclat.
Dans ce sens, le Covid-19 peut être le marqueur indélébile des trois ans de mandat restant du président, Ibrahim Boubacar Keita. Seul le volontarisme politique du Président, Ibrahim Boubacar Keita, pourra créer les conditions d’un renouveau démocratique décisif et viable. Une démocratie neuve pour une société capable de combattre le Covid-19, une maladie qui nous rappelle l’extrême fragilité de notre condition humaine.
Mohamed AMARA
Sociologue-Essayiste
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