Depuis l’arrestation mercredi de l’opposant Ousmane Sonko, des heurts ont éclaté dans plusieurs villes du Sénégal pour exiger sa libération. Qu’est-ce qui provoque la tension et que représente cet opposant à Macky Sall ?
Deux morts, des scènes de guérillas urbaines devant l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, des supermarchés et stations d’essence vandalisés, des véhicules brûlés, des services de l’Etat mis à sac, des sièges de médias saccagés.
C’est le bilan des manifestations violentes qui ont eu lieu dans plusieurs quartiers de Dakar, ses environs et Bignona, une ville du sud du Sénégal, fief d’Ousmane Sonko.
Ce vendredi, un front de l’opposition composé de partis politiques et de mouvements de la société civile appelle les Sénégalais à manifester contre ce qu’il qualifie d’injustice.
D’une affaire de viol présumé à une secousse politique
Au début du mois de février, une masseuse de 20 ans, officiant dans un cabinet privé à Dakar, dépose une plainte contre Ousmane Sonko. Elle l’accuse de viol et de menaces de mort.
Dans une série de déclarations publiques, Sonko a nié les faits qui lui sont reprochés et soutenu que c’est un complot ourdi par le président Macky Sall. Ce dernier a démenti toute implication dans « cette affaire privée ».
Par ailleurs, l’homme politique confirme être allé au salon de massage et d’avoir été en contact avec la fille mais en présence d’une autre personne.
Il est arrêté mercredi après plusieurs rebondissements.
Convoqué au tribunal pour l’affaire de viol présumé, il s’y rend après avoir déclaré qu’il ne le ferait pas car la procédure de levée de son immunité parlementaire est illégale. Accompagné d’une foule de militants, son cortège s’immobilise à mi-chemin après que les forces de sécurité lui ont demandé de changer son itinéraire. Selon le préfet de Dakar, c’est face à son refus, qu’il est arrêté et placé sous mandat de dépôt pour trouble à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée.
Amnesty International a qualifié cette arrestation et celui de 17 membres de son parti devant sa résidence la semaine dernière comme étant « arbitraire ». L’organisation de défense des droits de l’homme dit que M. Sonko a été arrêté mercredi alors qu’il se trouvait dans son véhicule.
Qui est Ousmane Sonko et que représente-t-il?
Président du parti PASTEF et député depuis 2017, Ousmane Sonko représente pour ses militants l’espoir d’un changement en profondeur. Il a fondé son idéologie politique sur une opposition radicale à ce qu’il appelle « le système ».
Dans une vidéo de mauvaise qualité filmée au cours d’une rencontre avec des militants et partagée sur les réseaux sociaux en 2018, il déclare : « il y a un énorme potentiel et de réelles capacités dans ce pays. C’est inadmissible de voir un tel niveau de souffrance des populations» et ajoute : « nos politiciens sont des criminels. Ceux qui ont dirigé le Sénégal depuis le début mériteraient d’être fusillés ».
Cette déclaration créé la polémique et pousse le leader du Pastef à repréciser ses propos : « je me suis limité à dire ceux qui ont géré ce pays, pas forcément les présidents ».
Dans un entretien avec la BBC en 2018, il cite Thomas Sankara comme son modèle en politique tout en tressant des lauriers au président Rwandais Paul Kagamé pour sa gouvernance.
Au Sénégal, il fait souvent référence dans ses discours à Mamadou Dia, ancien président du Conseil de 1960 à 1962 (un poste similaire à celui d’un Premier ministre) et au célèbre intellectuel sénégalais Cheikh Anta Diop.
Inspecteur des impôts et domaine, Ousmane Sonko crée en 2004 le Syndicat Autonome des Agents des Impôts et Domaines (SAID) dont il est le premier secrétaire général. C’est durant cette période qu’il commence à critiquer le gouvernement et accuse l’Etat d’anomalies fiscales et budgétaires.
En 2014, il crée son parti politique Pastef et commence à nourrir des ambitions présidentielles. Il s’attaque au président Macky Sall dont il remet en cause la gouvernance. En 2016, il est radié de la fonction publique pour manquement au devoir de réserve. Ousmane Sonko est arrivé troisième lors de la présidentielle du 2019 avec 15,67 % des suffrages, derrière le président sortant Macky Sall et l’ancien Premier ministre de Wade, Idrissa Seck.
Durant la campagne électorale, le leader du Pastef est surnommé le «Trump sénégalais» en raison de son idéologie nationaliste, de son opposition à l’influence des puissances étrangères dans la politique intérieure du Sénégal et de son discours souvent radical.
Son arrestation crée un vide dans l’opposition. En effet, Idrissa Seck a rejoint Macky Sall en 2020 avec sa nomination comme président du Conseil économique social et environnementale. D’autres politiciens considérés comme des rivaux de Macky Sall ont été écartés. Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, est en exil au Qatar depuis sa sortie de prison en 2015. Lui et l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, libéré de prison en 2019, ont été radiés des listes électorales et écartés de la présidentielle 2019.
Ainsi, Ousmane Sonko est vu comme le dernier opposant majeur face à Macky Sall, le dernier challenger sérieux du président.
Violence dans plusieurs villes sénégalaises
Dans un communiqué, le porte-parole du gouvernement, Oumar Gueye, condamne la violence qui a éclaté à la suite de l’arrestation d’Ousmane Sonko. Il l’a qualifiée de « violation flagrante de l’état de catastrophe sanitaire » décrété en raison à la pandémie du COVID-19. Il soutient que les autorités enquêtent sur la mort d’un homme dans la ville de Bignona, au sud du pays, et cherchent activement à traduire en justice « les instigateurs, auteurs et complices » des troubles.
Le gouvernement a suspendu pendant 72 heures deux chaînes de télévision pour leur couverture des troubles et a mis en garde les médias contre ce qu’il appelle « la couverture tendancieuse de nature à attiser la haine et de la violence ».
Amnesty International exprime son inquiétude concernant les attaques contre plusieurs médias par des agresseurs inconnus et la suspension de Walf TV et de SEN TV.
L’ONG déplore aussi ce qu’il considère comme un usage excessif de la force par les services de sécurité.
« Les autorités sénégalaises doivent immédiatement cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression, et faire la lumière sur la présence d’hommes armés de gourdins aux côtés des forces de sécurité », dénonce l’ONG.
Vendredi vers 00H, l’accès aux réseaux sociaux comme Facebook Whats App, Telegram et Youtube étaient restreint. Netblock a déploré cette mesure ainsi que le collectif Anonymous. Mais ce matin, il semble être rétabli. Le gouvernement n’a pas confirmé la restriction d’internet.