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Opinion . Après le coup d’État au Mali, la fin de l’illusion démocratique ouest-africaine

La démission forcée du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, mardi 18 août, illustre l’échec des dirigeants africains. Ils sont sourds aux revendications de leurs peuples et ivres de pouvoir, estime cet éditorial guinéen.

 

Aux événements survenus dans la journée de ce mardi 18 août 2020 au Mali, on peut trouver de nombreuses explications. On peut notamment y voir la conséquence de la corruption et de la mauvaise gouvernance économique que l’on a tant dénoncées de la part du pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). De même qu’on peut y voir le reflet de ce trop-plein de malaise général dont le Mouvement du 5 juin (M5) était devenu le porte-flambeau [il menait la contestation commencée après les législatives d’avril].

Les bruits de bottes partis du camp de Kati et qui ont fini par la démission forcée du président de la République peuvent également avoir pour origine cette lancinante insécurité qui tenaille le pays depuis plus de sept ans et face à laquelle l’échec des autorités n’est que trop évident. Mais surtout, cette pathétique démission et tous les événements sur lesquels elle pourrait déboucher sont de la responsabilité de la Cedeao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest].

Cri du cœur des Maliens

Cette organisation sous-régionale, qui, jusqu’à récemment, était une référence sur le continent, est en effet redevenue un syndicat de chefs d’État. Une instance au sein de laquelle les dirigeants ne sont préoccupés que par leur protection réciproque, quitte à reléguer au dernier plan les légitimes aspirations des peuples. C’est son insensibilité notoire au cri du cœur des Maliens qui débouche sur cette image humiliante pour tout le continent, où on voit un président en fonction, les traits tirés et la gorge nouée par l’émotion, rendre le pouvoir, contraint et forcé.

C’est en effet l’obsession des dirigeants de la région de défendre leur homologue IBK au détriment des légitimes revendications des Maliens qui a conduit à cette impasse. Autrement, depuis des mois, il est évident qu’entre le pouvoir actuel et les Maliens, le divorce est consommé. Les grosses manifestations suscitées par le M5 sont à ce propos particulièrement illustratives.

La Cedeao dans le déni

Mais quelles réponses la Cedeao a-t-elle apportées à la crise ? L’arrogance, la prétention et le déni. Ainsi, à l’issue d’un sommet virtuel extraordinaire qu’ils ont consacré, le 27 juillet, à cette crise malienne, les dirigeants des quinze pays de la Cedeao s’étaient bornés à renforcer le pouvoir de leur homologue, menacé d’être démis. Ils ne s’étaient pas limités à s’opposer à la destitution d’IBK. Ils avaient aussi fermement martelé qu’il n’était pas question que son Premier ministre soit lui aussi sacrifié.

Et même dans le partage du pouvoir qu’ils préconisaient, ils sollicitaient expressément que la balance penche en faveur d’IBK aussi bien en nombre qu’en qualité. Ils n’avaient même pas osé demander la dissolution de l’Assemblée nationale, dont l’élection est pourtant la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Et bien sûr, la question des victimes de la répression des manifestations par le pouvoir n’aura occupé qu’une faible place dans le communiqué final du sommet. Quant à la corruption généralisée et au malaise social dont se plaignent les Maliens depuis des années, il n’en a tout simplement pas été question. Par contre, ils n’avaient pas oublié de prévoir des sanctions à l’encontre des opposants à leur fameux plan de sortie de crise.

Le mirage de l’oasis démocratique

Cela étant, il s’agit d’un recul d’ordre général. Jadis en Afrique, avec notamment les coups réussis par Y’en marre au Sénégal et le Balai citoyen au Burkina Faso [mouvements de la société civile qui ont mené aux départs d’Abdoulaye Wade au Sénégal et de Blaise Compaoré au Burkina Faso] et la gestion de la crise ayant abouti au départ de Yahya Jammeh du pouvoir en Gambie, l’Afrique de l’Ouest passait pour une espèce d’oasis au milieu d’une vaste étendue où la démocratie demeurait un luxe. D’autant qu’à ces trois cas, on pouvait ajouter le Ghana, la Sierra Leone, le Liberia et le Bénin.

Mais ces dernières années, cette image positive à laquelle on se plaisait à associer l’Ouest africain ne cesse de s’effriter. Une dégradation dont la responsabilité, en grande partie, incombe à l’instance sous-régionale qu’est la Cedeao. Comme si, au sein de l’institution, quelques dirigeants rétrogrades avaient pris le pas sur les progressistes, on assiste au retour à un passé qu’on croyait révolu.

En particulier, le principe de l’alternance est de plus en plus battu en brèche dans la sous-région. En lieu et place émergent çà et là de fumeuses théories remettant en cause la pertinence de la limitation des mandats pour lui substituer la thérapie des présidents aux “capacités divines”. Conséquence, au-delà du Togo, la voie de l’alternance se trouve obstruée en Guinée et en Côte d’Ivoire. Ce avec la bénédiction, sinon la complicité, du machin qu’est la Cedeao.

Le vrai fond du problème est dans le décalage entre l’élite dirigeante incarnée par le club formé par les présidents et les populations que cette élite est censée servir. Deux mondes diamétralement opposés. Les uns, misérables, aspirent à des conditions de vie acceptables par le biais d’une gouvernance vertueuse et respectueuse des hommes et des principes. Les autres, se gavant des rares ressources des États, sont prêts à tout pour ne pas perdre des privilèges qu’ils ont souvent indûment acquis.

Boubacar Sanso Barry
Courrier International

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