Le régime du président Ibrahim Boubacar Keïta piétine une fois de plus la constitution en transportant directement dans le nouveau Code des collectivités territoriales (loi n°2017-051 du 02 octobre) une disposition de l’Accord d’Alger qui nécessite au préalable la révision de la constitution. Jusqu’où ce régime va-t-il continuer à bafouer les principes élémentaires de l’Etat et de la démocratie chèrement acquis par le peuple malien ?
Décidément, la conscience républicaine du régime du Président IBK paraît désespérément accrochée à son standard lamentable de celle des Républiques bananières qui n’éprouvent que du mépris pour les principes de l’Etat de droit. Ainsi, c’est dans une indifférence générale entretenue au sein de la République par une complicité interinstitutionnelle prédatrice des principes élémentaires de la démocratie que l’on continue en silence d‘abimer les piliers de la République, à l’instar de la légalisation récente d’une disposition inconstitutionnelle de l’Accord d’Alger. Alors même qu’il rechigne à prendre les simples mesures législatives de mise en œuvre de l’Accord d’Alger, voilà que le régime du Président IBK se permet une fois de plus de piétiner la Constitution en transposant directement dans le nouveau Code des Collectivités Territoriales (Loi n°2017-051 du 02 octobre 2017), une disposition de cet Accord qui nécessite pourtant au préalable la révision de la Constitution. Il s’agit de l’alinéa 2 de l’article 121 de la loi n°2017-051 du 02 octobre 2017 portant Code des Collectivités Territoriales relatif au principe de la légalité de l’impôt qui est ainsi libellé : « Le principe de la légalité implique également la création par la collectivité territoriale d’impôts et taxes adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement dans le cadre de la loi »
Le gouvernement a ainsi osé directement transcrire dans le Code des Collectivités Territoriales, cette disposition anti constitutionnelle de l’Accord d’Alger qu’il avait pourtant inséré dans son projet originel de révision constitutionnelle mal monté que les forces vives de la nation avaient à juste titre fait capoter heureusement. Le régime du Président IBK aurait-il donc l’intention de faire fi de la Constitution en transposant directement dans le droit malien les préconisations anti constitutionnelles du fameux Accord d’Alger ? C’est la question qui interpelle la République.
L’Accord d’Alger et la compétence anticonstitutionnelle de création d’impôts par les conseils régionaux
La médiocrité rédactionnelle de l’Accord d’Alger qui entache sa cohérence d’ensemble et son intelligibilité ne peut aucunement occulter les objectifs qui s’y dissimulent et qui sont bien souvent en conflit avec l’ordonnancement juridique de notre pays, comme c’est le cas des articles 8 et 13 manifestement contraires à la Constitution.
En substance, l’article 8 dispose que les régions sont compétentes, « dans un cadre préalablement défini par voie législative et règlementaire » en matière « d’établissement et d’application d’impôts et de recettes propres sur la base de paramètre déterminées par l’Etat ». Cet article bourré de contradictions paraît de surcroit totalement superfétatoire au regard du droit positif malien. En effet, dès lors qu’on admet que les régions interviennent en matière d’impôt sur la base de paramètres déterminés par l’Etat dans un cadre préalablement défini par voie législative et règlementaire, on ne voit pas ce qu’il y a encore à changer dans les textes en vigueur qui satisfont déjà à ce principe. En la matière et sur la base de ce principe déjà consacré par le droit positif malien, on peut se demander en quoi va consister exactement, dans l’esprit des rédacteurs de l’Accord d’Alger, la compétence de la région en matière « d’établissement et d’application d’impôts et de recettes propres… ».
En toute logique, les « paramètres déterminés par l’Etat » en la matière ne devraient finalement laisser que peu de place aux régions en la matière. On aurait pu par exemple leur reconnaître la possibilité de collecter l’impôt.
Or, comme pour mieux clarifier l’article 8 pour le moins confus et superfétatoire à la fois, l’article 13 de l’Accord d’Alger précise que « chaque région jouit de la latitude de créer des impôts adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement dans le cadre de la loi ». Comme on le constate, on ne relève plus une quelconque allusion à des « paramètres qui seraient déterminés par l’Etat ». Se débarrassant ainsi de cette dernière disposition, l’Accord d’Alger passe en quelque sorte aux aveux et s’expose du coup à des contradictions avec la Constitution du Mali qui ne reconnait aucun pouvoir de création d’impôts à des collectivités territoriales fussent-elles des conseils régionaux.
N’est-ce pas d’ailleurs parce que le gouvernement avait parfaitement conscience de cet obstacle constitutionnel dressé devant les article 8 et 13 de l’Accord d’Alger qu’il avait tenté de les constitutionnaliser dans sa révision anti démocratique de la Constitution du 25 février 1992 ?
La tentative ratée de constitutionnalisation du pouvoir de création d’impôts par les collectivités territoriales à travers la révision de la Constitution
L’article 70 de la Constitution est ainsi libellé : « La loi fixe les règles concernant…l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts ».
Il apparaît donc qu’au regard de la Constitution, les articles 8 et 13 de l’Accord d’Alger sont problématiques, car celle-ci n’autorise que l’affectation aux collectivités territoriales ou la perception par elles de l’impôt créé par l’Etat. Il résulte de cette disposition constitutionnelle que la création de l’impôt est du domaine de la loi et donc du seul ressort de l’Assemblée nationale et qu’en la matière, la capacité décisionnelle des collectivités territoriales est inexistante. Si les collectivités territoriales les collectivités territoriales ont la possibilité de collecter l’impôt, elles n’ont pas constitutionnellement la compétence de créer des impôts, ni d’en déterminer l’assiette et de fixer le taux et les modalités de leur recouvrement.
L’article 13 de l’Accord d’Alger très explicite quant à la compétence pour chaque région de jouir de la latitude de créer des impôts adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement suppose au préalable une modification de l’article 70 de la Constitution.
Quoi que dans un relatif flou artistique, l’article 96 du projet originel de révision constitutionnelle s’était fixé cet objectif dans les termes suivants s’agissant des collectivités territoriales régions : « …Elles peuvent recevoir tout ou partie des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine ». Le projet de loi constitutionnelle précisait que le parlement qui exerce constitutionnellement cette compétence peut autoriser les collectivités territoriales à l’exercer. C’est comme si le pouvoir de création d’impôts faisait l’objet d’une compétence concurrente ente le parlement et les collectivités territoriales régions.
Après l’échec cuisant de cette constitutionnalisation du pouvoir de création d’impôts reconnu par l’Accord d’Alger aux conseils régionaux, c’est à la surprise générale et en violation flagrante de la Constitution que la loi n°2017-051 du 02 octobre 2017 portant Code des Collectivités Territoriales vient d’insérer directement cette compétence dans les attributions des collectivités territoriales. Quelle alchimie juridique attentatoire à l’Etat de droit !
Le gouvernement viole la Constitution en légalisant directement une disposition inconstitutionnelle de l’Accord d’Alger
En scrutant de près la formulation de l’article 121 de la n°2017-051 du 02 octobre 2017 portant Code des Collectivités Territoriales, on pourrait presque y voir sinon une forme de banditisme juridique, du moins un signe alarmant d’incompétence notoire ou de complicité interinstitutionnelle au sommet de la République prédatrice des principes de l’Etat de droit. Dans un cas comme dans l’autre, on se demande comment le circuit législatif déambulant entre les méandres des institutions gouvernementales et parlementaires a pu laisser s’échapper de telles énormités juridiques.
En tout état de cause, on constate que le gouvernement s’est d’abord évertué, sans justification pertinente, à insérer dans le nouveau Code des Collectivités Territoriales, un Chapitre I intitulé « Des principes du droit budgétaire » comme si le texte du Code s’assimilait à un cours magistral de Finances publiques. On peut ainsi lire à l’article 214 que « Les principes du droit budgétaire applicables aux collectivités territoriales sont : l’annualité, l’unité, l’universalité, l’antériorité, la sincérité, l’équilibre du budget, la légalité de l’impôt et la spécialité des crédits » et qui sont ensuite définis dans les articles qui suivent.
Ainsi l’article 221 consacré à la légalité de l’impôt dispose : « Le principe de la légalité de l’impôt implique que la création des impôts et taxes est du domaine de la loi. L’organe délibérant de la collectivité territoriale, par sa délibération, fixe le taux des impôts et taxes locaux dans la limite du plafond déterminé par la loi. Le principe de la légalité implique également la création par la collectivité territoriale d’impôts et taxes adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement dans le cadre de la loi ».
Même le néophyte en droit peut percevoir ici la contradiction grossière et l’incompatibilité évidente entre les deux alinéas de cet article. Comment le principe de la légalité de l’impôt reconnu à juste titre à l’alinéa 1er comme étant du domaine de la loi, peut-elle en même temps relever comme c’est le cas à l’alinéa 2, du domaine règlementaire de la collectivité territoriale où il est dit que « le principe de la légalité implique également la création par la collectivité territoriale d’impôts et taxes adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement dans le cadre de la loi ». Si c’est dans le cadre de la loi, la collectivité territoriale est constitutionnellement incompétente à créer des impôts et taxes adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement.
C’est exactement comme si on soutenait que le principe de la légalité recouvre à la fois les domaines de la loi et du règlement ! Il est vrai que sous ce régime, on a pris le vilain plaisir comme lors de la révision constitutionnelle à propos de la définition de l’intégrité territoriale, à torturer sans vergogne les concepts juridiques universellement établis et compris de tous, au mépris de tout sens commun. Non seulement l’alinéa 2 est juridiquement bancal et anachronique, mais aussi et surtout il n’est ni plus ni moins qu’une négation grotesque de l’article 70 de la Constitution qui, en consacrant le principe de la légalité de l’impôt, reconnait de ce fait de manière constitutionnelle qu’en la matière, c’est seul le législateur qui est compétent à l’exclusion de toute autre autorité détentrice de pouvoir règlementaire comme une collectivité territoriale. Aux termes de la Constitution du Mali, il n’y a que la loi qui peut créer l’impôt. Sans une révision constitutionnelle modifiant l’article 70, aucune collectivité territoriale ne peut créer d’impôts adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement.
L’ultime question reste celle-ci : Jusqu’où ce régime va-t-il continuer à bafouer dans la quasi indifférence générale les principes élémentaires de l’Etat de droit et de la démocratie chèrement acquis par ce grand peuple malien ?
Dr Brahima FOMBA
Facultés de Droit de l’Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako(USJP
L’Aube