Notre pays s’est doté d’un nouveau code de procédure pénale en application depuis le 14 juin 2025.
Dans une interview exclusive accordée à Mali Tribune dans sa parution n°594 du mardi 17 juin 2025, le procureur de la République près le tribunal grande instance de la Commune IV du district de Bamako fait l’exégèse de ce nouveau code. Morceaux choisis.
Idrissa Hamidou Touré connu pour ses sorties remarquables dans la presse sur des sujets d’actualité majeure n’a pas pris de temps pour rebondir sur la mise en œuvre du nouveau code de procédure pénale dans l’arsenal judiciaire malien. Des remarques tant dans la forme que dans le fond de la part de ce juge dont l’engagement dans la lutte contre la cybercriminalité a permis d’assainir les réseaux sociaux en proie à toutes les dérives dans notre pays. Un combat enclenché en amont de la création du Pôle contre la cybercriminalité, lui-même rattaché au tribunal de grande instance la Commune IV.
Dans la forme, Idrissa Hamidou Touré apprécie à sa juste valeur l’adoption du nouveau code de procédure pénale. Il affirme n’en avoir aucun sentiment particulier. « C’est une bonne chose car il comporte des innovations majeures qu’il faudra cependant adapter à nos réalités, c’est tout ». Cependant, en termes d’innovations, le procureur Touré voit celles qui sont adaptées à nos réalités. A ce sujet, il se montre réfracteur à toute forme de « copié collé » ou du moins de mimétisme juridique. « Vous savez de façon générale en Afrique francophone, on est dans le mimétisme des textes français. C’est bien dommage, mais c’est la triste réalité. Ceux auxquels l’on confie la révision ou la relecture des textes ne s’embrassent pas trop de réflexions adaptées à nos réalités socio-culturelles. Bien souvent, ils prennent les textes français et nous les transposent à quelques ajouts ou modifications près. Alors que ces textes sont réfléchis et conçus à un moment donné par le courant politique au pouvoir en France, pour le peuple français en tenant compte de ses aspirations, sa vision de la justice, etc. », remarque-t-il.
Idrissa H. Touré s’insurge contre l’inapplication de ce nouveau code en déphase avec certaines de nos réalités sociales surtout pour un peuple qui se veut souverain. « […] La souveraineté c’est d’abord dans les textes juridiques pensés sur la base de nos réalités socio-culturelles. Il y a des choses dans ce texte que l’on ne pourra jamais appliquer au Mali. Par exemple, la reconnaissance du viol entre époux », tranche-t-il.
Selon lui, « des choses ont été retirées des textes lors de l’atelier national de validation ayant regroupé toutes les forces vives de la nation. Mais après on a vu que quelques personnes se sont toutes les forces vives de la nation. Mais après, on a vu que quelques personnes se sont retrouvées et ont remis les mêmes choses », plaide le procureur Touré. Ce dernier de se plaindre du fait que des acteurs judiciaires comme les syndicats de magistrats ont averti sur l’inopportunité et l’inapplicabilité de certaines dispositions en déphasage avec nos réalités, mais n’ont pas été suivis.
« Les gens ont été écoutés au CNT, pour la forme, sans prendre en compte leurs observations pratiques et pertinentes. Aussi, j’ai l’impression que le chancelier en chef (ministre de la Justice) a dû être pris à la gorge sur certaines dispositions par des membres du CNT qui après coup s’en sont vantés dans leur « grin » et c’est bien dommage. En plus du CNT, je ne pense pas que tous ceux qui ont levé la main pour voter ces textes savent la provenance, le contenu et le contenant. Certains ont dû lever la main parce que la majorité l’a faite sans mesurer les conséquences d’un tel acte ».
Au-delà de son sentiment personnel sur le nouveau code de procédure pénale, le procureur Touré reste néanmoins dans la légalité. « Cela dit, moi je suis technicien, je peux avoir des appréhensions légitimes en tant que praticien et citoyen sur les textes, mais mon devoir reste de les appliquer. Ça s’appelle être légaliste. Je peux ne pas être d’accord avec un texte de loi, mais il ne me revient pas de faire la loi, je n’en suis que la bouche pour paraphraser l’autre », ajoute-t-il.
Par ailleurs, ceux qui pensent que la mise en application de ce code (après sa promulgation par le président de la transition) va retirer aux procureurs leurs pouvoirs de décerner mandats, doivent vite déchanter. Le procureur Touré se fait clair et précis sur le sujet. D’abord, il se dit être pour des mandats « opportuns, pondérés, décernés en tenant compte de la personnalité de l’auteur des faits, leur gravité, leur impact sur l’ordre public, la crédibilité et la confiance du public dans l’institution judiciaire. « Je suis pour des sanctions toutes les fois où un mandat parait inopportun et excessif, etc. Mais je ne suis pas pour que l’on retire aux procureurs et juges d’instruction un tel pouvoir dans un pays en proie à toutes les déstabilisations, à tous les complots, à la délinquance économique et financière, etc. », indique-il
Au procureur Touré de mettre en garder contre les dangers de certaines innovations contenues dans le nouveau code de procédure pénale. « Savez-vous, qu’en application de ce nouveau code, un seul magistrat peut s’asseoir dans son bureau, en référé liberté et ordonner la mise en liberté de quelqu’un qui a détourné 1000 milliards F CFA, par exemple, sans être obligé de motiver sa décision et sans possibilité pour le parquet d’empêcher que la personne sorte de prison ? C’est prévu à l’article 362 al2 du nouveau code. Dans un pays où les autorités ont inscrit en priorité la lutte contre la corruption, la délinquance économique et financière, on a une telle hérésie dans le nouveau code. C’est pourquoi j’ai dit qu’il y a des choses qu’on ne pourra pas appliquer ».
Abdrahamane Dicko