Dans cette interview qu’elle a bien voulu nous accorder, l’ancienne joueuse des Super Lionnes revient sur sa prometteuse première saison dans le championnat français, parle des coulisses de sa nouvelle formation et jette un regard rétrospectif sur la sélection nationale féminine, les Aigles Dames
L’Essor : à cause de la pandémie de coronavirus, la saison 2019-2020 a été annulée par les autorités françaises. Comment avez-vous accueilli cette décision ? Quelle a été la réaction des dirigeants de votre club, l’En Avant Guingamp ?
Aïssata Traoré : J’ai bien accueilli la décision des autorités françaises concernant l’arrêt des activités sportives plus précisément du football. Les dirigeants étaient frustrés tout comme nous les acteurs. Mon équipe restait sur une bonne lancée en championnat ainsi qu’en coupe de France. On s’est même qualifié pour la demi-finale et on devait affronter Lyon pour une place en finale. Mais la santé prime, il faut être en vie et en bonne santé pour pouvoir jouer au football. Nous allons continuer l’entraînement à la maison pour bien garder la forme avant la nouvelle saison. Je rends hommage au club qui continue de nous payer malgré cette courte saison.
L’Essor : Depuis plusieurs semaines, la population est confinée en France Quel est votre quotidien en cette période de confinement ?
Aïssata Traoré : C’est une situation délicate que traverse le monde et c’est difficile pour moi, mes journées sont longues voire interminables. Je passe la journée à dormir, quand je me réveille, j’exécute mon programme (séance d’entraînement) du jour. Ensuite, je regarde des séries sur Netflix, j’échange avec la famille et des amis sur les réseaux sociaux, mais après tout je constate que rien n’est comme avant. C’est une mauvaise période pour nous les sportives en général et les expatriés en particulier. Car nous sommes dans un autre pays, il faut respecter les lois de ce pays. Si j’étais au Mali, je n’allais sans doute pas être confiné du matin au soir. Mais je le répète, la santé prime sur tout.
L’Essor : Vous avez été transférée cette année à Guingamp et vous vous êtes imposée en quelques mois. En tout cas, votre entraîneur ne tarit pas d’éloges sur vous et vous rend hommage après chaque sortie de Guingamp. Apparemment, vous étiez sur une bonne lancée et la saison s’annonçait prometteuse ?
Aïssata Traoré : Les débuts furent difficiles pour moi, à cause du climat. Franchement, ça été dure pour moi. Quelques jours après mon arrivée, j’ai fais une crise de paludisme, j’avais mal à la tête. à un moment, je n’avais qu’une envie, faire ma valise et renter à la maison. Mais j’avais déjà signé le contrat et j’étais obligée de rester. Après un mois, je me suis vite adaptée et je me suis imposée comme une lionne. Dès mon premier match, j’ai réussi à séduire l’entraîneur, Frédéric Biancalani que je salue au passage. Pour mon premier match, j’ai fait deux passes décisives et depuis ce jour jusqu’à l’arrêt des compétitions, j’étais toujours parmi les onze rentrantes. Oui, nous étions sur une bonne lancée, on était 6è du championnat avec 23 points au compteur. Pour la première fois dans l’histoire de Guingamp, l’équipe a atteint la demi-finale de la Coupe de France. Et pour la petite anecdote, c’est moi qui ai marqué l’unique but qui nous a envoyé en demi-finale de la Coupe de France. Au total, j’ai marqué trois buts en cinq matches, toutes compétitions confondues. J’en suis tout simplement heureuse.
L’Essor : Selon vous, qu’est-ce qui a facilité votre intégration et qu’est-ce vous plaît dans votre nouvelle équipe ?
Aïssata Traoré : Il ya beaucoup de facteurs qui ont facilité mon intégration. Je parle et comprend bien le français. D’après les dirigeants du club, je suis intelligente et surtout respectueuse. Ensuite, mes partenaires ont été accueillantes et si gentilles avec moi, elles m’aidaient à comprendre l’entraînement et prenaient le temps de m’expliquer tout. Je suis restée à l’écoute et motivée. Concernant les supporters du club, ils sont merveilleux et adorables.
L’Essor : Parlons des Aigles Dames. Il y a un peu plus de deux mois, la sélection nationale s’est qualifiée pour la finale de la première édition du tournoi UFOA (Union des fédérations ouest-africaines), avant de chuter lourdement 3-0 devant le Sénégal. Avez-vous suivi cette compétition et quels commentaires vous inspire la prestation de vos coéquipières ?
Aïssata Traoré : Je suivais la sélection nationale de près pendant cette compétition et j’étais triste après la finale perdue 0-3 contre le Sénégal. C’est dur de perdre en finale parce que quand on arrive à ce stade, on n’a qu’une envie : soulever le trophée. Le Mali a réalisé un parcours sans faute jusqu’en finale. L’équipe a marqué 15 buts, sans en encaisser et tout le monde voyait les Aigles Dames sur la plus haute marche du podium. Ce qui m’a le plus fait mal, c’est le score (3-0), j’étais hors de moi ce jour. Le jour de la finale, mes coéquipières étaient dans ma chambre pour m’accompagner, après la fin du match, toutes m’ont encouragé. Ici, à Guingamp nous sommes une famille.
L’Essor : Après le tournoi UFOA, les regards sont tournés vers les éliminatoires de la CAN-féminine 2020. Le Mali affrontera le vainqueur du match Sénégal-Liberia. Selon vous, quelles sont les chances des Aigles Dames qui affronteront probablement les Lionnes du Sénégal pour une place à la phase finale de la CAN ?
Aïssata Traoré : Je pense que le Mali a sa chance dans ces éliminatoires, je n’en doute même pas. Nous allons probablement affronter le Sénégal, qui a une grande équipe mais qui n’a participé qu’une seule fois à la CAN féminine. Les Sénégalaises feront tout pour battre le Liberia et si c’est le cas, nous devons nous attendre à une partie difficile contre ce pays. Sur le plan psychologique, la sélection sénégalaise abordera la rencontre avec les faveurs du pronostic parce qu’elle reste sur une belle victoire contre nous, à savoir le succès en finale du tournoi UFOA. Mais dans le football, chaque match a ses réalités et c’est à nous de prouver que le revers subi en Sierra Leone devant les Lionnes n’était qu’un simple incident de parcours. Personnellement, je suis optimiste pour la suite des événements et nous allons tout faire pour arracher la qualification.
L’Essor : Que pensez-vous de l’effectif actuel des Aigles Dames ? Concrètement, que répondez-vous à ceux qui disent que l’équipe est vieillissante et a besoin de cure de rajeunissement ?
Aïssata Traoré : On a une bonne équipe, il faut juste travailler plus et mettre beaucoup plus d’intensités dans notre jeu. Aussi, nous devons être disciplinées et faire montre de créativité et de détermination sur la pelouse. On a besoin des jeunes, c’est sûr, mais on aura aussi besoin de joueuses d’expérience pour conduire le groupe à bon port. C’est au staff technique de voir comment apporter du sang neuf dans l’effectif sans impacter les résultats de l’équipe.
L’Essor : En sept participations à la phase finale de la CAN, la sélection nationale féminine n’a jamais réussi à franchir le dernier carré. Selon vous, qu’est-ce qui manque à notre pays pour vaincre le signe indien ?
Aïssata Traoré : Quand on voit ce que les autres sélections africaines font dans le cadre de leur préparation pour les grandes échéances, je m’aperçois qu’il ya un énorme écart avec notre pays. La préparation est importante et tous les détails doivent être pris en compte lors de cette phase. Entre autres, on peut citer l’organisation des matches amicaux, la durée du stage de préparation, la satisfaction des doléances des joueuses etc. Dans notre pays, on souffre beaucoup du manque d’organisation et je pense que c’est l’une des raisons qui font qu’on n’arrive pas à nous imposer sur l’échiquier continental.
Là où les autres organisent des matchs internationaux, nous nous effectuons notre préparation contre des académies de garçon. Je ne dis pas que c’est mal, mais ce n’est pas suffisant pour préparer de haut niveau, comme les éliminatoires de la CAN. Le football moderne laisse peu de place à l’improvisation et les instances sportives du Mali doivent le savoir, surtout pour ce qui concerne les sélections nationales. Quand on est appelé à défendre le drapeau national, on doit être mis dans les meilleures conditions de travail parce que c’est l’image du pays qui est en jeu.
L’Essor : Avez-vous des nouvelles de votre ancienne équipe, les Super Lionnes d’Hamdallaye ?
Aïssata Traoré : Je discute régulièrement avec mes amies, comme la capitaine Aminata Sacko, Maïmouna Togola, Agueïcha Diarra pour ne citer que ces quelques noms. J’ai un très bon rapport avec les Super Lionnes, c’est grâce à cette équipe que je suis là aujourd’hui et je ne peux pas oublier cela. Mes anciennes coéquipières m’ont beaucoup aidé, le président du club, Papa Séyan Keïta également ainsi que les supporters. J’ai des échanges avec tout ce beau monde.
L’Essor : Est-ce que vous avez une idole dans le football et qu’est-ce qui vous plaît chez ce joueur ou cette joueuse ?
Aïssata Traoré : J’admire beaucoup de joueurs dans le monde comme Andres Iniesta, Didier Drogba et Edison Cavani. Je peux même dire que je m’identifie à ces joueurs mais mon idole a toujours été Lionel Messi. Ce qui me plaît chez ce joueur, c’est d’abord son sang froid face à n’importe quelle situation, ensuite sa capacité à tirer l’équipe vers le haut et son intelligence. Messi a toujours une longueur d’avance sur les autres, on ne peut pas anticiper ses faits et gestes. Il est aussi respectueux, humble, modeste et ne parle presque jamais.
L’Essor : Un mot du Covid-19. Quels messages vous souhaitez transmettre aux Maliennes et aux Maliens ?
Aïssata Traoré : Je demande au peuple malien de rester vigilant et prudent, le coronavirus est une réalité, chacun doit se protéger et protéger les autres. Maliens et Maliennes, respectons les consignes sanitaires et adoptons les gestes barrières pour éradiquer ce virus de la surface de la terre. Je remercie sincèrement le Quotidien national L’Essor qui, à travers cette rubrique, donne la parole aux expatriés tous les jeudis. Bon mois de ramadan à tous les travailleurs de L’Essor, aux lecteurs du journal et à tous les musulmans du monde.
Interview réalisée par
Djènèba BAGAYOKO
Source : L’ESSOR