Douleurs intenses dans les parties génitales, saignements, infections, troubles urinaires et menstruelles, complications obstétricales, fistules vésico-vaginales, sont entre autres conséquences de la pratique de l’excision. Au Mali, 3040 femmes souffrant des conséquences de cette atrocité physique et morale, sont en train d’être traitées, assistées ou suivies, selon les statistiques officielles du ministère de la Santé.
Au Mali, malgré des décennies de lutte contre leur pratique, l’excision et les autres formes de mutilations génitales féminines, persistent et se posent comme un problème de santé publique. Elles sont aujourd’hui, plus des milliers à souffrir de manière différente des séquelles de ces pratiques. Sous le poids des pesanteurs sociologiques, religieuses et culturelles, ces femmes racontent avec amertume leur malheur.
D’une voix triste, un regard baissé, Salimata Koné alerte les bonnes volontés sur son état de santé fortement dégradé. “Je n’ai rien. Celles qui prennent en charge mon traitement disent n’avoir plus les moyens pour continuer”, poursuit-elle, en tenant en main une ordonnance impayée. Comme beaucoup d’autres femmes abîmées en quête d’une seconde vie, Salimata fréquente le Centre des fistuleuse de l’hôpital du Point G.
Excisée et donnée en mariage forcé à l’âge de 15 ans, la trentaine, Salimata Koné souffre d’une fistule obstétricale depuis 12 ans. La lésion est survenue lors d’un accouchement compliqué deux ans après son mariage.
“J’ai fait à peu près une semaine sans pouvoir accoucher. Lorsque j’y suis parvenue, l’enfant n’était plus en vie. Depuis lors, je n’ai plus pu contenir les urines”, se souvient-elle. Cette native de Gouana, un village de la commune de Kalanban-coro, dans la périphérie de Bamako, a subi cinq interventions chirurgicales : deux au Centre hospitalier Gabriel Touré et trois au Point G. Mais elle ne parvient toujours pas à contenir ses urines.
Abandonnée par son mari depuis dix ans, la jeune femme de 30 ans souffre de l’effet de la mutilation génitale féminin qu’elle a subie toute petite. “Tous les médecins qui m’ont consulté durant ces douze ans m’ont tous dit que c’est à cause de l’excision. Ils ont dit que j’ai été mal excisée”, affirme-t-elle.
Pour Pr. Kalilou Ouattara, urologue et l’un des plus grands chirurgiens de la fistule en Afrique de l’Ouest, l’excision est la première forme de violence faite à la femme au Mali. Infibulation (ablation des petites lèvres du vagin) ou clitoridectomie (ablation du clitoris), l’excision, selon Pr. Ouattara, est la première cause qui prédispose la femme à la fistule. “Elle rend les issues inélastiques. Ce qui provoque généralement la perforation de la vessie pendant un accouchement surtout mal assisté”, souligne-t-il.
Aux dires du plus grand spécialiste malien en la matière, la fistule obstétricale peut être “ce que les gens oublient autour du clitoris il y a l’orifice de l’urètre (canal par lequel passe les urines), le col de la vessie et les sphincters se trouvent sur le col de la vessie. Est-ce qu’une exciseuse connaît tout ça ? La vieille prend le couteau et balaye tout avec le clitoris. La finalité c’est que la petite fille ne pourra plus contenir les urines”. La première cause de l’incontinence d’urine chez la petite fille est l’excision aussi, explique urologue.
Cri de cœur du ministre de la Santé
Salimata n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Le lundi 12 novembre 2018, lors d’une rencontre de haut niveau sur les mutilations génitales féminines / Excision, organisée par Plan Mali et d’autres partenaires, le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, Pr. Samba Ousmane Sow, a annoncé que le taux de prévalence de l’excision est estimé à 91 %. Il précise qu’elles sont au nombre de 3040 victimes à se faire “traiter, assister ou suivre pour des complications liées à l’excision”.
“Ces données alarmantes nous interpellent. Elles témoignent qu’il y a un défi important à relever pour améliorer la prise en charge à tous les niveaux de la pyramide sanitaire. Il est urgent que nous développions des stratégies et approches novatrices adaptées à nos valeurs socio-culturelles si nous voudrions aller vers une génération féminine sans séquelles des pratiques des mutilations génitales féminines”, souligne le chef du département de la Santé et de l’Hygiène publique.
Pr. Sow réitère toute sa disponibilité et son engagement à accompagner toutes les initiatives œuvrant à la lutte contre les MGF/excision dans notre pays. Car, poursuit-il, “il est inadmissible que les femmes sur lesquelles pèsent les charges sociales et économiques, soient fragilisées par des pratiques évitables comme l’excision”.
Pour le ministre malien de la Santé et de l’Hygiène publique, les filles qui sont victimes des mutilations génitales ont besoin d’un soutien et d’un accompagnement psycho-social. A cet effet, il invite les bonnes volontés à une mobilisation des leaders communautaires et religieux dans ce sens.
Ces leaders précisément religieux s’opposent depuis des années à la promotion du droit de la femme et de la jeune fille au Mali. En 2009, ils ont même contraint le gouvernement à retirer le projet portant Code des personnes et de la famille qui allait mettre fin au mariage précoce et forcé des jeunes filles et aux mutilations génitales féminines.
Sous l’égide de Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique, Chérif Ousmane Madani Haïdara, etc., plus de 50 000 personnes se sont mobilisées le 22 août 2009 au stade du “26-Mars” pour protester contre le code de la famille qui sera finalement adopté en 2011 après avoir été vidé de son essence.
Ces leaders conservateurs s’opposent toujours à l’abandon de l’excision prétextant qu’elle est une valeur culturelle de la région musulmane. Pour Mohamed Macky Ba, président de l’Union des jeunes musulmans du Mali et membre du Groupement des leaders religieux du Mali l’excision est une pratique culturelle encouragée par le prophète Muhammad (PSL). “Le messager d’Allah a enseigné la bonne pratique de l’excision à une vieille exciseuse. Cela suffit que les musulmans excisent leurs filles”, soutient-il. Ce bras droit du Chérif Ousmane Madani Haïdara, estime que “l’Etat doit règlementer la pratique de l’excision avec la formation de celles qui la pratiquent au lieu de penser à son interdiction qui ne sera pas possible”.
Mais Hamidou Diallo, maître coranique et fils de l’imam Mamadou Diallo, aussi leader religieux. “L’excision se pratiquait bien avant l’arrivée de l’islam. Dans aucun hadith, le Prophète Muhammad (PSL) n’exige sa pratique. L’authenticité du hadith qui en parle est mise en doute”, réfute Hamidou Diallo. D’ailleurs, personne ne peut affirmer si les quatre filles du prophète (PSL) ont subi cette atrocité. Certainement elles n’en ont pas subi sinon on le saurait”, insiste le maître coranique.
Le Mali failli à ses engagements
Entendant la “mobilisation des leaders communautaires et religieux”, les défenseurs des droits des femmes dénoncent la violation sur toute la ligne les conventions internationales sur les droits de la femme et des filles signées par le Mali. Responsable de la prévention des violences basées sur le genre et promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes chez Avocat sans frontière Canada, Maïmouna Dembélé, cite l’exemple du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes.
Ce protocole, signé le 11 juillet 2003 à Maputo en Mozambique, a été ratifié par le Mali, le 3 février 2005. Dans son article 5 intitulé élimination des pratiques néfastes, les 27 Etats parties s’engagent à “interdire par des mesures législatives assorties de sanctions, toutes formes de mutilations génitales féminines et toutes les autres pratiques néfastes”, rappelle Mme Dembélé. Elle invite surtout les leaders religieux à prendre conscience des conséquences d’une pratique culturelle « qui n’a pas de rapport avec l’islam ».
En attendant, les mutilations génitales féminines se poursuivent de la plus belle des manières au Mali au risque et péril des femmes et filles.
Maliki Diallo
Source: L indicateur du renouveau