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Musique : Ami Yerewolo, guerrière du rap malien

AY est le troisième album de la rappeuse malienne Ami Yerewolo. Après 10 ans d’autoproduction, Aminata Danioko de son nom d’état civil, a signé sur le label Othantiq AA de l’artiste Blick Bassy. Il a proposé les instrumentales et Ami Yerewolo s’en est saisie pour parler, en bambara et en français, de persévérance, de foi, de préoccupations sociétales ancrées dans son expérience. Un album lumineux, entraînant, dont l’artiste nous parle depuis Bamako.

RFI Musique : Après Ma naissance et Mon combat, AY porte vos initiales et sonne comme une affirmation. À quel moment de votre carrière arrive-t-il ?
Ami Yerewolo :
 À un moment où j’étais très fatiguée d’être à la fois rappeuse, productrice, manageuse… Et j’avais la sensation de ne toujours pas pouvoir faire le rap dont j’avais envie. Finalement je me perdais. Quand Blick Bassy m’a entendue, il m’a dit : “j’aime ton rap, et j’aime ton rap en bambara”. Enfin, je rencontrais quelqu’un qui n’avait pas envie de m’étiqueter ou de me transformer.

Dans quelle mesure rapper en bambara a pu être un obstacle ?
La question de la langue n’était qu’une excuse, il n’y avait simplement pas de place pour le rap féminin. Plusieurs personnes m’ont conseillée de rapper en français. Mais je pense surtout que c’était nouveau pour le Mali de voir une femme rapper en bambara.

C’est un album qui s’ouvre par un titre phare Je gère. À qui s’adresse-t-il ?
Ça fait 10 ans qu’on me dit quoi faire ou non, sans vraiment m’entendre. J’avais juste envie de dire : “écoutez- moi, j’ai quelque chose à apporter à la culture malienne”. J’ai toujours refusé de rentrer dans les cadres, et pour cela on m’a calomniée, boycottée, discriminée. J’ai continué à me battre et aujourd’hui j’ai un label qui comprend mon rap et m’accompagne. Je gère ma vie ! C’est important de le dire, aussi aujourd’hui.

Le terme de “guerrière” revient souvent. Qu’est-ce qu’être une guerrière ?
Toute ma vie je me suis battue. Je suis arrivée à Bamako à 17 ans pour mes études. Pour me consacrer à ma carrière d’artiste, j’ai dû quitter ma famille. J’ai dû apprendre à me débrouiller. Il y a des jours où je n’avais pas à manger, où je ne pouvais pas payer mon loyer… Je n’ai pas abandonné. J’avais ma musique et Dieu. Le rap a été ma famille. J’aurais pu facilement mal tourner. Mais je me répétais que je pouvais y arriver. Quand je rappe, je guéris. Je me sers de mes expériences ; si j’ai pu traverser tous ces obstacles, toi aussi tu peux le faire.

Cet album puise, on l’entend, dans plusieurs influences musicales africaines. Comment le définissez-vous ?
Je ne me dis pas que je dois rapper tout le temps. Parfois j’ai envie de chantonner, d’autre fois de slamer. J’essaie d’adapter toutes les instrumentales, qu’elles soient maliennes, ivoiriennes, camerounaises à mon style. Avec mon rap, je t’emmène dans mon monde. Je joue avec les mots en bambara. Je crée aussi un style d’écriture.

En 2017, vous créez le festival “Le Mali a des rappeuses”. Quel est votre regard sur la scène hip-hop féminine malienne ?
En 2009, nous étions une dizaine de filles. Elles ont toutes arrêté, disant : “c’est impossible, on te critique, on t’insulte…” Je me suis dit qu’il fallait qu’on montre que si tu as du talent, personne ne peut t’interdire de l’exercer, que tu sois homme ou femme. Mais j’ai compris que le talent ne suffit pas. Tu auras toujours quelqu’un pour te dire que tu es une femme et que tu n’as pas le droit de rapper. Puis d’autres rappeuses sont arrivées, et elles aussi ne faisaient qu’un an ou deux avant d’arrêter. J’ai sacrifié toute ma vie pour le rap, je me devais de créer quelque chose pour que les jeunes filles ne soient plus obligées de quitter leur famille, de se faire insulter et de supporter tout ce que j’ai enduré parce qu’elles ont une passion. J’ai créé le festival pour qu’on partage nos histoires, pour se soutenir et s’encourager.

Il y a quelques mois vous avez sorti le titre Lettre ouverte adressé au président malien.
Je rappe pour dire les problèmes de ma société, en tant que citoyenne malienne… À l’époque, le président avait instauré le couvre-feu en raison de la pandémie. Comment vivre et survivre au Mali si tu ne peux pas sortir pour travailler alors que 80% de la population vit au jour le jour ? Et les enfants ne pouvaient pas aller à l’école alors que le système éducatif est déjà catastrophique. Dans ce titre, je parle aussi de tous les jeunes diplômés sans travail. J’ai la chance d’avoir le microphone pour m’exprimer, je suis la voix de toutes ces personnes qui ne peuvent pas parler. Sans faire de la politique. Exceptionnellement je me suis adressée au gouvernement pour que, lui, s’occupe vraiment de la politique.

Pourtant vous êtes souvent défini comme une “artiste engagée”…
Je me suis engagée dans le rap, je me suis battue, j’ai fait des sacrifices. Je suis engagée pour la cause des enfants, oui, ce sont eux l’avenir du pays. Quand on me décrit comme féministe, moi je dis d’abord que je suis humaniste. C’est en tant qu’être humain que je me bats pour qu’on ne m’indexe pas sur ce que je fais, sur comment je m’habille, sur ce que je dis… Si d’autres femmes se retrouvent dans ces combats, tant mieux !

RFI

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