A l’occasion du 34e anniversaire de l’assassinat de Abdoul Karim CAMARA dit Cabral (17 mars 2014), Moussa Soro SY a déposé à notre Rédaction une contribution riche en enseignements et dont nous vous livrons le contenu.
17 mars 1980-17 mars 2014, il y’a 34 ans que fut assassiné l’une des plus grandes figures du mouvement estudiantin africain, à savoir Abdoul Karim CAMARA dit Cabral. L’assassinat de ce jeune étudiant de l’École normale supérieure (Ensup) de Bamako, en 4e année Philosophie, a consterné toutes les personnes éprises de paix et soucieuses du droit inaliénable à la liberté d’expression.
L’année 1980 a été une année d’épreuves pour le monde estudiantin et scolaire de notre pays. Qualifiée d’année de « braise », elle a été marquée par une répression féroce, commencée en 1979, du pouvoir en place. L’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) profondément éprouvée par les tragiques événements qui l’ont frappé est restée fière et altière, fidèle à son idéal d’émergence d’une société malienne où il ne serait plus tenu grief à quelqu’un simplement pour ses opinions.
En outre, pour l’histoire, il convient de rappeler que ce ne sont pas seulement les élèves et étudiants qui ont subi les affres d’une dictature militaire emmaillotée dans le lange d’une démocratie dont la seule légitimité était l’existence d’un parti unique avec une pensée unique. Ainsi, des cadres civils et militaires sont passés à la trappe. Beaucoup de valeureux fils de ce pays ont été contraints et forcés à l’exil en raison de leurs opinions, leurs convictions et leur volonté inébranlable de bâtir un Mali démocratique. Ils sont partis, non pas par lâcheté ; mais parce que cela était nécessaire pour que l’espoir ne soit pas assassiné par un régime répressif qui ne souffrait la contestation sous aucune forme.
Dans le combat noble, mené au plus fort de la violence policière, Abdoul Karim CAMARA dit Cabral est resté un symbole, une référence.
La question qui se pose est de savoir ce qu’a fait la jeunesse de notre pays, particulière sa frange estudiantine, de ce monument qui a donné sa vie pour qu’aujourd’hui soit.
Au constat, il est permis de soutenir, sans coup férir, sans verser dans la démesure, que le combat a été dévoyé, l’idéal a été trahi. En effet, quand des étudiants au lieu de se former se transforment en opérateurs économiques ; quand ils occupent les meilleurs rangs dans le classement des corrompus et des corrupteurs ; quand chez eux les muscles remplacent le cerveau, il y a lieu de s’inquiéter parce que l’avenir de ce pays est hypothéqué. Cabral doit se retourner dans sa tombe face à ce scandale de l’histoire.
Cette jeunesse qui a eu le privilège de l’instruction devrait dès à présent se remettre en cause ; prendre conscience que c’est sur ses frêles épaules que pèse l’avenir de ce pays ; un pays qui a une histoire de grandeur et pas de médiocrité ; un pays qui a connu de grands hommes et de grands empires. Les jeunes doivent chercher à se surpasser, se sublimer ; ou au moins à égaler leurs pères. La voie la mieux balisée pour ce faire, c’est de faire des facultés un espace d’apprentissage, un pôle d’excellence d’où émergeront les cadres de demain capables de tenir la dragée haute à leurs vis-à-vis et de soutenir le développement de ce pays qui a tant donné à ses fils.
Outre Cabral, d’autres Maliens, qui sont autant de références, ont eu à payer le prix fort de l’idéal démocratique. C’est le cas du père de l’ancien Premier ministre Ibrahima LY. Né en 1936 à Kayes au Mali, brillant étudiant en mathématiques, il s’engage très tôt dans la vie politique du pays en faveur d’une option socialiste du pouvoir. La dictature militaire venue, il connaît de juin 1974 à mai 1978 un enfer qui le hantera à jamais, les geôles du Camp Para, de Taoudenit et de Niono. La raison ? La diffusion d’un tract en faveur de la démocratie. À sa libération, il s’exile au Sénégal puis en France où il poursuit ses études et enseignements de mathématiques et de physique. Il décède en 1999 sans avoir manqué à sa promesse, témoigner de l’horreur des prisons dans son roman, Toiles D’araignées, publié en 1982.
Pendant 23 ans, le peuple malien a vécu sous le joug d’une dictature, des privations des libertés individuelles et collectives, d’une corruption outrageante, des malversations à tout vent. Pendant 23 ans, le lot quotidien des Maliens était les brimades ; la déportation au Grand Nord ; l’humiliation des chefs de famille qui devaient raser les murs parce que ne disposant pas du prix du condiment, des frais d’ordonnances médicales de leurs femmes ou de leurs enfants… C’était cela le vrai visage de la dictature qui n’est hélas que chimère pour une partie de nos compatriotes.
Pour avoir connu les années de braise (1979-1980), non pas en tant que spectateur vautré à la loge VIP ; mais en tant qu’acteur en ligne de mire ; je suis outré des comparaisons perfides souvent établies par certains entre le régime GMT et ceux de AOK, ATT ou celui naissant de IBK. La félonie étant de soutenir, confortablement assise sur sa conscience et la conscience collective, que celui de GMT était le meilleur. Un tel jugement n’est rien moins qu’un jugement de valeur.
Mais ce jugement, volontairement tronqué, aux relents de partisannerie, frise la misogynie politique et la malhonnêteté intellectuelle. Pire, il s’agit d’une négation de l’histoire. Une telle attitude ne devrait se mesurer qu’à l’aune de l’inculture politique de ceux qui ont la prétention de pouvoir insulter l’histoire pour les besoins de la cause, un anachronisme alors même que ses acteurs sont encore de ce monde.
L’AMSUNEEM ainsi que des hommes et femmes soucieux du devenir de notre pays commémorent chaque année le 17 septembre pour immortaliser Cabral ; mais également pour entretenir la flamme de l’espoir d’un Mali meilleur.
Par Moussa Soro SY, journaliste
Ancien de l’UNEEM
Source: info-matin