Ce n’est pas un repentir, mais c’est tout comme. Le général démissionnaire de l’armée malienne n’entend plus d’autre langage que celui du changement, qui passe à ses yeux par la guerre au régime d’IBK. Celui qui avait activement contribué à l’élection du président actuel estime que son bilan avant terme est déjà en deçà des espoirs ainsi que des attentes populaires ayant présidé aux suffrages massifs dont il a bénéficié en 2013. Pour lui, l’incapacité du pouvoir à juguler le défi sécuritaire s’apparente à une vacance de pouvoir, ni plus ni moins. Moussa Sinko Couibaly appelle par conséquent les Maliens à la mobilisation en 2018, un rendez électoral qu’il juge vital, indispensable et, faute de quoi, le pays court le risque d’une disparition.
Le Témoin : Général, on peut dire que votre choix est clair; c’est qu’il faut un changement au Mali
Mousse Sinko Coulibaly : Je pense que je ne suis pas le seul. Le constat est partagé par au moins neuf Maliens sur dix, je dirais même dix Maliens sur dix. Tout le monde fait le constat aujourd’hui que l’équipe en place – c’est-à-dire le président Keïta et son gouvernement – n’a pas été capable, depuis plus de quatre ans, de redonner espoir au peuple malien. Et l’année prochaine on a un rendez-vous important, en particulier l’élection présidentielle; il est important que tous les Maliens se mobilisent pour se donner toutes les chances d’avoir une autre équipe dirigeante qui pourrait reprendre la destinée de ce pays en main et nous permettre progressivement, mais sûrement, de sortir de la crise. Je me suis fait une opinion définitivement qu’avec cette équipe on ne fera que s’enfoncer dans la crise. La chance est là, l’année prochaine, de pouvoir choisir des hommes et des femmes qui ont envie de travailler et de consacrer toute leur énergie à aider le pays. Ce que fait l’équipe actuelle n’est pas du tout la voie qui va nous mener à une résolution de la crise. Au contraire, on est en train de s’enfoncer tous les jours dans les problèmes, il faut qu’on mette un frein à cela.
LT : Et que reprochez-vous concrètement à la conduite des affaires par l’équipe actuelle ?
MSC : Ce ne sont pas des reproches mais des constats que tout le monde peut faire, à commencer par la situation sécuritaire. Il y a beaucoup de villes du Mali où il est difficile de s’éloigner de cinq ou kilomètres. C’est difficile de faire Sevaré-Gao, par exemple, etc., et cela est un fait. En 2013, si on pouvait raisonnablement penser que l’insécurité était localisée dans des parties spécifiques du pays, aujourd’hui elle est généralisée. C’est partout : ici à Bamako et dans toutes les localités. Quand vous faites le constat, en fin 2013, l’administration malienne était présente sur l’ensemble du territoire malien; aujourd’hui le constat est qu’elle est absente dans la moitié du territoire malien. Ce ne sont donc pas des reproches mais des faits vérifiables et il fait qu’on y trouve une solution.
LT : Et dans quoi voyez-vous la solution et qu’avez fait dans la position qui est la vôtre pour qu’on n’en soit pas là ?
MSC : Comme je l’ai dit dans ma lettre de démission, je pense que j’ai servi mon pays en tant militaire et je vais servir mon pays partout où besoin sera. Je vais continuer à servir mon pays. Partout où je suis passé, que ça soit ici à l’Ecole de Maintien de la Paix ou au gouvernement, j’ai essayé de faire de mon mieux possible. Vous pouvez constater ici à l’Ecole de Maintien de la Paix, tout marche parfaitement bien. Je puis dire donc, pour le domaine qui m’a été confié pendant tout ce temps, que tout marche très bien.
Mais, je me suis dit que je vais ne pas me limiter seulement à ce domaine car je pense que je peux contribuer dans beaucoup d’autres à trouver effectivement des solutions. C’est pourquoi j’ai décidé de me libérer de mes charges militaires; je pourrais à ce moment parler de processus de paix, parler de processus électoral, de renforcement de la démocratie et bien d’autres sujets. Je pense aussi qu’il faut aujourd’hui que tous les Maliens se mobilisent, chacun dans les différents domaines dans lesquels il peut apporter des contributions, pour qu’ensemble on trouve des solutions. Cette solution ne peut être efficace que si l’équipe dirigeante est préoccupée par les sujets au niveau national. Or l’actuelle équipe dirigeante – le président et son gouvernement – est plus préoccupée par leurs propres carrières que par les problèmes des Maliens. Nous ne lui faisons plus confiance et pour l’année prochaine nous voulons une équipe qui va s’occuper des problèmes des Maliens.
LT : Éprouveriez vous le regret d’avoir contribué à l’avènement d’IBK à la magistrature suprême ?
MSC : Disons que le président IBK a été élu par une majorité des Maliens et une fois élu il est devenu le président de tous les Maliens. Et en tant que président de tous les Maliens, tout le monde avait espoir que les choses s’améliorent, changent progressivement ou au moins que ça ne se détériore pas. Hélas!, encore une fois, le constat est là. Mais il ne s’agit pas de dire on regrette ou on s’est trompé mais de trouver les voies et moyens pour tirer les leçons des échecs de ses quatre dernières années et de s’assurer qu’on a les solutions pour les années à venir. Et je pense qu’une des solutions c’est de changer d’équipe dirigeante pour se donner la possibilité d’avancer.
LT : Est-ce qu’on peut dire que vous vous êtes trompés sur l’homme IBK ?
MSC : C’est pas moi qui ai élu IBK. On ne refait pas les choses, mais je pense que si c’était à refaire beaucoup de Maliens feraient peut-être un autre choix. J’estime aussi qu’aujourd’hui il faut regarder plutôt dans l’avenir, c’est le plus important. Et surtout ne pas rater le rendez-vous de 2018.
LT : Pensez-vous que ce rendez-vous est possible avec la situation sécuritaire que vous avez décrite plus haut ?
MSC : Ce rendez-vous est vital pour l’avenir de la nation. Il faut des élections l’année prochaine. Je pense que l’un des dangers les plus grands qui pèsent aujourd’hui sur la nation malienne c’est le président actuel et son équipe parce qu’il n’y a aucune possibilité de solution avec cette équipe. Donc l’élection de l’année prochaine est vitale pour là vie de la nation. S’il n’y a pas élection cela veut dire que le Mali court droit vers le chaos, la destruction et même la disparition. On ne peut pas se permettre le luxe de ne pas faire l’élection l’année prochaine et de laisser cette équipe en place avec le bilan ou l’absence de bilan qu’elle a sur les quatre ou cinq années. Donc il est d’une nécessité absolue, à mon avis, qu’on aille aux élections pour que les Maliens décident, par les urnes, de la nouvelle équipe dirigeante qu’ils voudront donner au pays.
LT : Et pourtant, la situation sécuritaire est manifestement telle qu’on ne peut parier sur l’effectivité d’un rendez-vous électoral en 2018. Va-t-on se résigner à constater «le chaos » et « la disparition du Mali », le cas échéant ?
MSC : Il faut prendre les choses dans l’ordre. Il ne peut pas y avoir de résolution à la situation sécuritaire s’il n’y a pas d’équipe dirigeante qui s’en occupe. Il faut d’abord mettre une bonne équipe qui va se charger de gérer ces questions sécuritaires. Aujourd’hui on n’a personne pour le faire et j’ai même envie de dire qu’il y a vacance de pouvoir car cette équipe est dans les agendas personnels et non au service de la nation malienne. Il faut donc commencer par le commencement c’est-à-dire mettre des gens qui vont s’occuper des questions nationales et résoudre progressivement toutes les question de sécurité, de retour de l’administration, de processus de paix, etc.
LT : Parlons de votre démission. Vous avez choisi de démissionner alors qu’une jurisprudence en la matière enseigne plutôt la disponibilité à cause du flou qui entoure les textes sur le statut des officiers supérieurs…Le cas d’ATT par exemple.
MSC : Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de flou dans les textes; les textes sont suffisamment clairs en la matière. La démission me permet de retrouver toute la liberté dont j’ai besoin pour mener toutes les actions que j’ai envie de mener. C’est pourquoi j’ai choisi cette voie. Il y aurait pu en avoir d’autres mais avec des limitations et des réserves. La démission me permet d’être dans la situation où je peux librement participer à toutes les activités auxquelles je veux participer.
Le statut des militaires impose des règles de prise de parole, de participation à la vie associative et aux activités politiques, etc. Pour la cessation de la fonction militaire, il y a un certain nombre de voies dont la démission. Et une fois que vous démissionnez, vous perdez la qualité de militaire actif et à partir de là vous devenez civile et vous recouvrez toutes les opportunités et tous les droits d’un civil. Je pense qu’il n’y a aucun confusion. Militaire, c’est obligation de réserve et limitation; civil vous retrouvez toutes vos facultés.
LT : Vous allez donc entamer une carrière politique ?
MSC : Je ne me mets pas de limitation. Pour les prochains mois à venir, l’objectif clairement affiché, c’est de contribuer au changement en rassemblant tous les Maliens et en les sensibilisant. Aujourd’hui le constat est simple : vous demandez à dix Maliens, neuf vous diront spontanément qu’ils veulent autre chose. Il s’agit donc d’organiser cette masse pour en faire une force électorale et permettre à ce que l’année prochaine toute cette force décide de voter pour le changement.
LT : Auriez-vous l’intention de prendre la tête de rassemblement ?
MSC : Je suis plutôt prêt à y contribuer à 100% et jouer tout rôle qui serait approprié pour apporter le changement
LT : Quel appel particulier au public ?
MSC : C’est l’appel à la mobilisation générale et surtout dire aux Maliens que le changement est possible, qu’il faut croire à ce processus de changement. Si on se met ensemble, nous allons effectivement conduire ce pays à ce processus de changement avec comme dessein de sortir définitivement de la crise.
LT : Que répondriez-vous à ceux qui vous diront que vous avez contribué à cette crise avec le Cnrdre
MSC : Je dirais que nous avons appris la leçon et que ça ne sera que quelque chose de positif pour l’avenir avec un parcours aussi jalonné d’expérience et de leçons. Nous avons beaucoup appris de cette période et ça fait une somme d’expérience que, je pense, peut être utile pour l’avenir.
Réalisée par À Keïta
Par Le Témoin