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Moussa Mara: « Que les acteurs politiques se tiennent éloignés de l’exécutif pendant la transition »

Fort de son expérience d’ancien Premier ministre, Moussa Mara, élu député de Bamako en avril dernier et président du Parti « Yelema » (le Changement), nous dévoile son Plan pour organiser au mieux la transition sur une période de 16 mois. En voici les grandes lignes dans un entretien exclusif.

Un quatrième coup d’Etat au Mali en 60 ans d’indépendance, n’est-ce pas inquiétant ?

 

Moussa Mara : Absolument et c’est avec une grande tristesse que j’ai appris ce coup de force qui sanctionne quelque part notre défaillance collective, notamment nous les leaders politiques du pays. Le coup d’Etat est la conséquence de difficultés, ce n’est pas la cause. J’ai toujours affirmé mon opposition à tout changement non constitutionnel de régime. Je condamne donc ce coup de force perpétré par une partie de la hiérarchie militaire. Néanmoins, je prends acte de la démission du Président Ibrahim Boubacar Keita, précédée par la dissolution de l’Assemblée Nationale. J’estime que ces faits ouvrent une perspective de sortie de crise institutionnelle pour le Mali.

 

Vous reconnaissez donc les nouvelles autorités issues du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), mais comment cette transition peut-elle s’organiser à Bamako ?

 

Ancien Premier ministre en 2014 et 2015, passé depuis dans l’opposition au Président Ibrahim Boubacar Keita, je pense avant tout au Mali. Je viens de concevoir un plan pour la transition que je vais bien entendu soumettre aux officiers du CNSP, aux autres partis politiques et à nos partenaires de la société civile et que je me propose de vous détailler point par point. L’objectif est d’organiser une transition au plus vite pour sauver le Mali et éviter les sanctions prises par la CEDEAO qui ne peuvent que nuire à mes compatriotes et à notre économie. La page IBK est tournée puisque lui-même a reconnu avoir librement démissionné et ne plus vouloir revenir au pouvoir. Dont acte ! Il convient en conséquence de donner un contenu à la transition, de la doter d’organes efficaces et représentatifs, puis de s’assurer de sa parfaite mise en œuvre.

 

Quelle instance va concrètement conduire la transition ?

 

Nous devons mettre en place un Conseil National de Transition (CNT), qui sera l’instance suprême et représentative de la transition. Le modèle de la transition de 1991 semble le plus approprié car il est le plus économique pour le pays et permet de satisfaire les rôles d’orientation, de contrôle mais aussi de légifération, dévolus aux instances de la transition. Le CNT élira en son sein son Président qui sera en même temps le Président de la Transition et le chef de l’Etat durant toute cette période. Il disposera pour ce faire d’un cabinet et de l’administration de la Présidence de la République et dirigera le Conseil des Ministres. Un Gouvernement sera mis en place pour conduire les politiques du pays. Constitué de vingt membres, de personnalités compétentes pour le secteur concerné, honnêtes et crédibles, ce Gouvernement ne doit contenir aucun membre de partis politiques et aucun membre du Gouvernement ne pourra participer aux élections générales.

 

Combien de temps cette transition devrait-elle durer ?

 

Une transition de seize mois me semblerait être un bon compromis, nous permettant d’élaborer avec toutes les forces vives et les bonnes volontés du pays une « feuille de route » raisonnable sur cette période courant de septembre 2020 à décembre 2021. Seize mois durant lesquels nous devons nous mobiliser pour le Mali. Pour surveiller que tout se déroule pacifiquement et harmonieusement, il convient de mettre en place une « Charte de la transition » que tous les acteurs politiques comme les membres du CNSP s’engagent à respecter, de suspendre (en partie ou en totalité) la Constitution de 1992 et de dissoudre sans doute certaines institutions dépassées comme le Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) ou le Conseil Economique Social et Culturel (CESC). Voilà pour la forme.

 

Mais revenons au fond. Quels seraient le contenu de cette transition et ses principaux points ?

 

Premièrement, il nous faut faire toute la lumière sur les événements tragiques des 10, 11 et 12 juillet derniers car les morts par balles et les blessés consécutifs à ces événements constituent un fait grave et inédit depuis ceux de mars 1991, il y a presque trente ans ! Il faut donner à cette tragédie une importance particulière afin qu’elle ne se renouvelle plus au Mali. Pour ce faire, une Commission nationale d’enquête doit être immédiatement créée pour faire la lumière sur les responsabilités sur les tueries commises et s’assurer qu’il n’y aura pas d’impunité. C’est le plus urgent. Dotée de larges pouvoirs d’investigation, cette Commission doit être mise en place avant la fin du mois de septembre et rendre son rapport dans un délai de deux mois. La justice prendra ensuite le relais.

 

Que faire de l’accord d’Alger, en grande partie resté inappliqué ?

 

Relire l’accord d’Alger, qui date déjà de juin 2015, pour faire le bilan de sa mise en œuvre et identifier les zones d’amélioration et de discussions inter-maliennes me semble également urgent et indispensable pour le remettre sur les rails en finalisant au moins l’étape d’une armée reconstituée et du déploiement de l’administration. Un premier document à ce sujet est à produire avant le 30 octobre prochain, puis des discussions inclusives seront à conduire d’ici la fin de l’année pour arriver à conclure et finaliser une nouvelle mouture de l’Accord et réussir à le mettre en œuvre au plus tard le 20 juin 2021, six ans après la signature de la première version de l’Accord.  Il n’est que temps, mais cela devra être accompagné par un déploiement effectif de l’ensemble des services de l’Etat dans le nord du Mali et sur tout le territoire pour accompagner la sortie de crise. Je profite de ce chapitre pour insister sur les efforts à fournir afin d’obtenir la libération de l’honorable Soumaila Cissaé, enlevé pendant sa campagne électorale au Nord il y a cinq mois.

 

L’Armée n’est-elle pas aussi à reprendre sérieusement en main ?

 

Améliorer la gouvernance du secteur de la défense et de la sécurité apparaît comme une évidence. Une action urgente est à conduire avant la fin du mois d’octobre avec comme but de revoir l’ensemble de la hiérarchie militaire sur des bases objectives pour procéder à des nominations sans aucune autre considération que l’efficacité à tous les niveaux de la chaîne de commandement et sans en dehors de toutes considérations politiques.

Une action permanente sera à mener durant toute la durée de la transition avec pour double objectif de faire cesser les violences intercommunautaires et de réduire l’impact des groupes terroristes. La réforme de ce secteur clé est un grand défi pour rétablir la Paix au Mali.

 

D’importantes réformes institutionnelles ne sont-elles pas également à prévoir ?

Bien évidemment. Nous devons conduire les réformes du système démocratique qui s’imposent pour donner à la démocratie malienne un nouvel élan et mener une réforme constitutionnelle devant aboutir à l’adoption d’une nouvelle Constitution pour la 4ème République. Comme ce travail est immense et urgent, commençons par organiser un forum à ce sujet, puis faisons adopter un projet par le Gouvernement de transition avant de le soumettre à referendum. Nous y reviendrons plus en détail dès que les acteurs chargés de cette réforme de fond se seront mis au travail. Il nous faut un peu de temps pour refondre tout le dispositif démocratique, institutionnel, constitutionnel et administratif.

 

Que faire pour améliorer aussi la gouvernance ?

 

Pour lutter contre la corruption endémique au Mali, le Gouvernement de transition aura toute latitude de constituer des comités ad hoc sur certaines questions, d’y associer la société civile et de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs…

Nous devons conduire des réformes structurelles destinées à insérer dans le système législatif certains principes de gouvernance vertueuse qui amélioreront le fonctionnement des Institutions maliennes. Comme la systématisation des appels à candidature pour doter les postes dans l’administration publique et la systématisation de l’alternance dans la vie publique. Car il nous faut mettre fin au népotisme et au système clanique.

Pour donner un signal fort de changement au peuple, nous devons également accélérer l’instruction des dossiers d’atteinte aux fonds publics, de corruption, d’enrichissement illicite, de blanchiment… de ces quinze dernières années qui ne sont pas prescrites.

Notre volonté est de renforcer les moyens de la justice, de manière exceptionnelle, pour parvenir à ce résultat qui marquera le début de la fin de l’impunité au Mali.

 

Quand de nouvelles élections générales pourront-elles être organisées dans votre pays ?

 

Pour parachever la transition et redonner le pouvoir à des autorités civiles, démocratiquement élues, le Gouvernement de transition mettra en place un cadre partenarial avec les acteurs politiques qui suivra l’ensemble du processus électoral pendant toute l’année 2021. Nous pourrions organiser des élections présidentielles et législatives de manière couplée (premiers et seconds tours) au cours du mois de novembre 2021. Le Président de la République élu entrera ainsi en fonction au 1er janvier 2022 et la nouvelle Assemblée Nationale dans la foulée. Le cycle électoral malien entrera alors dans une phase d’élections générales tous les 5 ans.

Comptez-vous jouer un rôle dans la conduite de la transition pour mener à bien ce vaste programme ?

Pas un rôle actif et je souhaiterais d’ailleurs pour une fois que les acteurs politiques se tiennent éloignés de l’exécutif pendant la transition. Les politiques que nous avons grandement contribué à enliser notre pays. Essayons de donner des idées, de faire des suggestions et laissons les acteurs de la société civile, les personnalités indépendantes compétentes et les militaires conduire les réformes indispensables pour remettre le pays en marche. Préparons-nous pour les élections de fin de la transition.

 

Bruno Fanucchi

icimali

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