Mondafrique a rencontré un des chefs de l’Alliance pour le Salut du Sahel (ASS), un mouvement politico-militaire créé dans le centre du Mali.
À plus de 700 km de Bamako, dans le centre du Mali, au pays dogon, dans des zones où l’autorité de l’État est quasi-absente, des affrontements meurtriers opposent les communautés peul et dogon depuis des mois. Les Peuls accusés de pactiser ou d’avoir intégré les rangs des djihadistes luttent contre les Dogons, défendus par la milice dozo (chasseur) «Dan na Ambassagou», qui a juré de protéger les populations dogons.
Ce conflit ethnique d’une violence inédite a fait nombre de victimes et placé des milliers de personnes sur les routes. Dans ce climat infernal d’attaques et de représailles qui pourrait faire voler en éclats la cohabitation ancienne entre ces deux ethnies, un nouveau groupe armé, l’Alliance pour le Salut au Sahel (ASS), a annoncé la semaine dernière son existence et le début de ses opérations dans la zone. Ce mouvement politico-militaire qui entend jouer sa partition dans la kyrielle de mouvements armés déjà présents dans le centre du Mali, a pour objectif premier la défense des populations peules contre les exactions des chasseurs dozos, mais affirme aussi cibler toutes les forces qui veulent nuire aux communautés qui vivent dans ces zones.
Son leader, Bacar Sow (le nom a été modifié.), un Peul qui se présente comme un financier et tient à conserver pour le moment un total anonymat, a néanmoins accepté d’expliquer à Mondafrique, les objectifs, les missions, les soutiens et la capacité opérationnelle de ce nouveau mouvement, qui fort d’une centaine d’hommes en armes, affirme pouvoir ramener l’ordre dans ces zones en proie à un vide sécuritaire, mais aussi œuvrer au développement de ces localités, abandonnées depuis longtemps, par les pouvoirs publics. Interview.
Quand a été créée l’ASS et quels sont vos objectifs ?
L’ASS a été fondée par un comité de réflexion composé de personnalités politiques et militaires. L’ASS existe depuis environ 8 à 9 mois, on se préparait en coulisse. Actuellement, nous sommes suffisamment prêts en hommes et en armes. Nous nous sommes levés et nous avons commencé à passer à l’action avec l’objectif principal d’éliminer la milice dozo qui est en train de tuer de paisibles citoyens. Nous sommes un mouvement politico-militaire qui défend les Peuls ainsi que toutes les communautés marginalisées du centre et du nord est du Mali.
Pourquoi créer un énième mouvement armé pour défendre les Peuls et ces communautés marginalisées ?
Les Peuls sont accusés d’être des djihadistes, des pro-djihadistes ou des complices des djihadistes, alors qu’ils sont autant victimes des djihadistes que les autres communautés. Dans le centre, toutes les communautés sont considérées comme faisant partie du Pulaaku (ensemble de valeurs socioculturelles et de règles de vie individuelle et collective chez les Peuls – NDLR -), car on a les mêmes cultures et on a les mêmes valeurs. D’ailleurs, la langue la plus parlée dans le centre, c’est la langue peule. Les Dogons sont pour nous comme des frères, mais on constate ces derniers temps qu’il y a des gens qui instrumentalisent les Peuls et les autres communautés. Donc, nous nous sommes levés pour dire halte aux amalgames et pour sécuriser nos villages, nos biens, contre tout agresseur, que ce soit la milice dozo ou d’autres forces qui veulent attaquer nos paisibles communautés.
Vous savez, les zones où nous opérons sont abandonnées depuis l’indépendance. Dans ces zones, il y a un manque d’eau, d’électricité, d’infrastructure et de développement. Il n’y a pas d’école, il n’y a pas de route, pas de centre de santé. Tout ce qui est nécessaire au développement de l’homme manque cruellement chez nous. L’État central n’est jamais intervenu efficacement pour développer ces zones-là. Depuis 1960, les différents gouvernements n’ont rien fait et un désordre social total s’est installé.
Vous avez des solutions pour y remédier ?
Nous ne sommes pas seulement une milice qui est là pour défendre une seule communauté, une seule localité ou un seul village, notre mouvement a des ambitions plus larges. Nous avons une vision, un programme pour le développement de nos localités, pour la solidarité, pour l’éducation. Mais il nous faut d’abord parvenir à sécuriser et à éradiquer l’impunité, tout ce qui peut nuire à notre développement. Nous nous considérons comme délaissés par l’État central, il est de notre responsabilité de vraiment créer des possibilités et des initiatives de développement pour nos parents.
Le drapeau de votre mouvement est noir, rouge et blanc, que symbolise ce choix de couleur ?
Le noir symbolise la souffrance humaine dans ces zones, le rouge, les massacres et tueries qui sont devenues monnaie courante dans le Centre du Mali et le blanc, naturellement, va avec nos coutumes, nos traditions et les valeurs cardinales du centre.
D’où viennent les combattants de votre mouvement, combien sont-ils et où sont-ils basés ?
Pour le moment, ils sont une centaine, mais ça va augmenter dans les jours à venir, ils opèrent de Nampala jusqu’à Bambara Maoudé et Boulkessi. Certains proviennent d’autres mouvements armés et nous ont rejoints. Nos combattants sont aguerris et nous avons confiance en eux. Ils ont les moyens d’opérer et ils sont déjà en train de travailler, de faire des patrouilles aujourd’hui dans les localités, ils sont en train d’empêcher la milice dozo ou d’autres combattants de nuire.
Pourquoi affronter la milice dozo qui affirme elle aussi vouloir sécuriser le pays dogon ?
On a constaté que dans la milice Dana Ambassagou certains ne parlent ni dogon, certains même ont de la peine à s’exprimer en Bamabara, nous considérons que ce sont des gens qui ne viennent pas de nos localités, nous les considérons donc comme des bandits, des gens qui pillent et qui tuent des citoyens sans discernement. La milice dozo agit comme les terroristes et nous voulons déloger toutes les forces nuisibles dans la zone, nous allons donc les combattre jusqu’à leur dernier retranchement.
Vous comptez défendre par les armes les populations peules contre les exactions de la milice dozo. Qu’en est-il des Fama qui sont aussi soupçonnées d’exactions sur la communauté Peule ?
Nous nous reconnaissons toujours dans le Mali, nous supposons qu’il y a des militaires maliens qui défendent le territoire, qui respectent leur rôle régalien de défendre la patrie et qu’il y en a d’autres aussi qui ont failli à leur mission et qui font des exactions. Nous nous positionnons contre toutes personnes qui créent du désordre dans ces zones.
Les ennemis à combattre dans ces zones ne sont-ils pas plutôt les djihadistes ?
Nous ciblons toutes personnes qui essaient de créer du désordre, qui tuent des gens. Nous nous opposons à toutes les forces qui nuisent à la paix et à la solidarité des communautés, que ce soit la milice dozo ou d’autres forces présentes dans la zone.
Quelles opérations militaires peut-on mettre au compte de l’ASS ?
L’ASS a fait des sorties récemment. À Bouma dans le cercle de Douentza, elle a tué 4 dozos, à Yoro dans le Cercle de Koro elle a aussi tué 4 dozos, mais un élément de l’ASS y est resté.
Quels sont vos soutiens financiers pour parvenir à mener à bien vos ambitions ?
Ce qui importe pour nous d’abord, c’est la volonté et la détermination après les moyens vont venir. Pour le moment, ce qu’on a peut nous suffire, ça nous permet d’opérer sur le terrain. Nous avons le soutien d’hommes politiques et de militaires. L’ASS a une légitimité qui est reconnue et acceptée par tout le monde. Quand je dis tout le monde, je parle de toutes les associations qui aujourd’hui s’expriment. Notre vision de défense des communautés est partagée par tout le monde. Nous disposons aussi du soutien d’autres pays et de la communauté internationale, dans le cadre de la restauration de l’ordre social et de la normalisation des relations entre toutes les communautés du centre.
Ces soutiens politiques et militaires sont-ils prêts à vous soutenir publiquement ?
Pour le moment, tous les soutiens que nous avons ne sont pas officiels, mais les jours à venir vont déterminer tout cela.
Quels sont ces pays disposés à vous soutenir ?
Pour le moment, on ne peut pas citer de pays, mais ce qui est sûr, c’est qu’on a le soutien de la communauté internationale et de certains pays de la sous-région. On est toujours en phase d’échange et de discussions avec d’autres pays qui peuvent nous aider dans notre combat.
Ces militaires et ces politiques maliens, vous soutiennent-ils parce qu’ils s’avèrent impuissants eux-mêmes à résoudre les problèmes dans ces zones ?
L’armée est absente des zones où nous opérons, et même si l’armée est là-bas, elle est inefficace, elle stagne. Nous, nous maîtrisons la zone, nous sommes plus efficaces parce que nous connaissons le terrain par cœur, arbre par arbre, village par village, personne par personne. Nous sommes plus à même de combattre ceux qui sont là-bas, en tout cas plus que l’armée qui est peu ou pas présente. Nous avons le soutien d’hommes politiques et de militaires, parce que justement, nous avons une très bonne connaissance de ces zones.
Avez-vous le soutien des associations peules à Bamako, dont certaines semblent avoir de l’influence sur le terrain ?
Nous, on ne parle pas avec les associations communautaires qui sont à Bamako, elles ont leur vision de ce qui se passe sur le terrain, nous nous connaissons les réalités. Elles peuvent continuer à faire ce qu’elles font, mais ce qui est sûr, c’est que maintenant nous sommes là et que nos actions auront un impact dans les temps à venir.
Êtes-vous liés au mouvement Ganda Izo (milice peule qui opère dans nord du pays) ?
Ganda Izo a un territoire à défendre, Ganda Izo fait partie de la Plateforme qui est signataire de l’Accord de paix d’Alger, nous considérons que la région de Mopti ne fait pas partie de l’Accord d’Alger. On peut avoir la même vision qu’eux, mais ils sont signataires de l’Accord de paix. Nous sommes une nouvelle formation qui opère dans le centre du pays. Nous ne nous retrouvons pas dans l’Accord, on ne se sent donc pas concerné pour le moment, nous n’avons pas de revendication pour une ouverture de l’accord d’Alger. Notre priorité aujourd’hui, c’est d’assurer la défense des communautés et des personnes déplacées dans le centre qui aujourd’hui souffrent.
Aiderez-vous à sécuriser dans les zones où vous opérez le scrutin des élections présidentielles qui auront lieu dans moins de 3 mois ?
Les élections présidentielles ne sont pas notre priorité. On ne peut parler d’élections quand il n’y a pas de paix. Aujourd’hui dans le centre, des villages sont attaqués, des citoyens sont exterminés, donc les élections ne sont vraiment pas dans notre programme.
Un entretien réalisé par Olivier Dubois
Source: Mondafrique
Le Reporter