Dans la 5è région en proie à des troubles, les populations vivent avec le sentiment qu’à tout moment un drame peut survenir. Mais fatalistes, les gens vaquent à leurs occupations
Vaste zone de culture, d’agriculture, d’élevage et de pêche, la Région de Mopti n’est plus que l’ombre d’elle-même. Agressées, les populations quittent leur terroir, abandonnent leurs champs et regardent, impuissants, leurs troupeaux emportés par des bandits. Beaucoup ont décidé de prendre des armes, déterminés à assurer leur propre défense.
Impossible de chasser de son esprit le sentiment d’angoisse sur la route de Mopti. Pourtant, de la capitale Bamako jusque dans la Venise malienne, dans le bus, aucun contrôle physique des passagers et des bagages. Les postes de sécurité ont tout des passoires. Moins rassurant encore, le visage ensommeillé de ce militaire en poste à l’entrée de Sévaré, assis sur une chaise, déchaussé, arme sur les genoux. Que dire de ce véhicule 4×4 croisé au rond-point de Sévaré, transportant 2 fûts de carburant et quatre occupants ? Une bombe ambulante.
« Nous sommes en guerre », ne cessent de répéter les autorités politiques. Rien, pourtant, de notre comportement ne colle avec cette situation grave. Les coffres du car nous transportant n’ont pas été fouillés une seule fois durant le trajet. Pourtant, régulièrement la presse fait état de saisies de matériels militaires dans les cars de transport. Négligence ou fatalisme ?
à l’évidence, le fatalisme est le sentiment dominant chez les populations de cette région en proie à une insécurité qui va crescendo malgré tous les efforts en cours. Les gens vaquent à leurs affaires, visiblement indifférents à la situation sécuritaire tendue. La chanson du coq ne veut pas forcément dire que le soleil se lève. « Vous savez, on ne peut pas se permettre de rester à la maison parce que les bandits circulent au dehors. Nous sommes obligés de chercher le prix du condiment », laisse entendre Ibrahim, commerçant d’articles divers à Somadougou, petite bourgade située à vol d’oiseau de Sévaré.
à l’entrée de la ville de Sévaré, on ne manque pas d’être impressionné par l’aéroport. Un avion militaire est visible au milieu du tarmac. Des conteneurs sont superposés à perte de vue. Ce port sec est l’une des installations des Nations unies. à côté, une colonne de blindés estampillés « UN » agresse la vue. Les miradors sont tenus par des soldats impeccablement habillés, fusil mitrailleur au poing. La Minusma est installée dans une véritable forteresse. à quelques centaines de mètres, un camp superbement tenu force l’admiration. C’est encore la Minusma. Des tentes militaires dressées au beau milieu, des maisonnettes préfabriquées servent de dortoir aux soldats de la paix. L’ONU sait faire les choses en grand.
ROUTE DANGEREUSE- Plus loin, nos militaires tiennent un check-point. Pas de hangar, pas de véhicules en vue. Certainement pour des raisons de prudence en cas d’attaque surprise. Ils sont sur leurs gardes. Les voyageurs ne manquent pas de faire des gratifications à ces hommes et femmes engagés pour notre sécurité. Des gestes de reconnaissance bien mérités.
Au gouvernorat de la région, en l’absence du chef de l’exécutif en déplacement, le chef de cabinet évacue les instances. En cette matinée, Kantara Diawara, administrateur civil, sort d’une réunion portant sur le dénouement heureux du rapt des enseignants de Korientzé. Les ravisseurs, avant de se retirer avec cinq enseignants du village, avaient fait un autodafé avec le matériel scolaire et les cahiers des élèves.
Happy end pour les otages, libérés après quelques jours de détention. L’administrateur civil, parcourant un courrier, sans lever la tête, confie sans ambages que la situation sécuritaire reste précaire dans la région. Selon lui, les méthodes des assaillants évoluent et s’adaptent aux opérations militaires dans la zone. « Dambe », une opération militaire d’envergure, est en cours sur le terrain. Depuis quelques jours, elle donne des résultats encourageants. Les FAMa viennent de détruire des bases logistiques et ont mis hors de combat des terroristes. Nos militaires opèrent en bonne intelligence avec les partenaires français de Barkhane.
Nous décidons d’embarquer dans un véhicule de transport en partance pour Bandiagara. Une localité située au cœur du plateau Dogon et réputée être une zone de forte concentration de combattants. à seulement 60 km de la ville de Mopti. Mais le voyage n’aura pas lieu. Une mine artisanale venait d’ôter la vie à deux soldats sur le tronçon la veille. Aucun véhicule de transport ne fera le voyage avant le passage des démineurs.
Deux jours plus tard, samedi 2 novembre, un car transportant une quarantaine de passagers s’apprête à quitter la gare routière de Sévaré pour Bandiagara.
Pour l’apprenti-chauffeur, Madou, le trajet entre Sévaré et Bandiagara n’a jamais été aussi long. Le jeune homme confie que la route est dangereuse. Infestée de bandits, la zone échappe à tout contrôle militaire, dit-il. Une attaque est possible à n’importe quel endroit à partir de la sortie de Sévaré.
Le passager Georges Guindo fréquente cette route une fois par mois pour alimenter son petit commerce dans un petit village niché au flanc d’une colline entre Sévaré et Bandiagara. « Nous ne savons plus quoi faire. Même s’il y a des assaillants, nous ne pouvons pas arrêter de vivre. Heureusement que les chasseurs traditionnels font de leur mieux pour assurer la sécurité sur le plateau Dogon », témoigne le voyageur.
TAXE ILLÉGALE. Dans le véhicule, la peur se lit sur les visages. « On peut sauter sur une mine. On a surtout peur de ça », craint l’apprenti. Le jeune Madou, 18 ans, a déjà été témoin oculaire d’une attaque. Il raconte qu’il y a quelques semaines, entre Koro et Bandiagara, des individus armés ont tendu une embuscade au véhicule de son patron. Immobilisé, le véhicule de transport a été conduit à quelques encablures de la route, entre deux collines où étaient déjà attachés des passagers de deux autres véhicules. Les bandits n’étaient que quatre mais armés jusqu’aux dents, a constaté le jeune apprenti. Obligés de se mettre à plat ventre, tous les passagers ont été dépossédés de leurs biens. Un cadavre gisait dans son sang. Le défunt aurait refusé de laisser un gros paquet d’argent entre les mains des bandits.
Toujours, selon l’apprenti Madou, les combattants des groupes d’autodéfense obligent souvent les véhicules à s’arrêter et procèdent au contrôle des passagers. « Ils ont même des postes de contrôle dans la brousse là-bas », témoigne notre interlocuteur qui déplore que ces combattants font payer des taxes par les transporteurs. Les camions peuvent débourser jusqu’à 10.000 Fcfa.
Un responsable des douanes de la région confirme cette perception illégale et ajoute que les combattants entretiennent aussi des réseaux de contrebande de marchandises.
Dans une station-service, nous croisons un habitant venu s’approvisionner en carburant. « Nous sommes sur le qui-vive. En toute réalité, nous avons la peur au ventre. Le drame peut arriver ici et tout de suite sans que nous ne soyons sûrs d’être sauvés. Personne n’est en sécurité », confie l’automobiliste, résumant le sentiment largement partagé ici. L’homme a son analyse sur la situation. « En réalité, nous sommes victimes d’un complot international. Donc, c’est à l’international qu’il faut dénouer la corde. Seul, le Mali ne peut pas. »
Cet avis est loin d’être isolé aujourd’hui parmi nos compatriotes. Mais puisqu’il ne faut négliger aucune piste pour trouver une voie de sortie de l’ornière, nous ne devons pas perdre de vue aussi notre propre responsabilité dans le pourrissement de la crise qui accable le pays depuis bientôt une décennie.
Envoyé spécial
Ahmadou CISSÉ
Source: L’Essor-Mali