Vous vous faites remarquer par votre engagement en faveur du développement agricole du continent. Dites-nous que représente réellement l’agriculture pour vous ?
Pour moi, l’agriculture c’est la vie. C’est un secteur multifonctionnel qui, entre autres, nourrit, lutte contre la pauvreté et le chômage, mais aussi maintient et développe les relations humaines. Et c’est ce qui est à la base de ma passion pour ce secteur. A mon avis, c’est le socle du développement de notre continent. Je crois que c’est aussi la vision de certains dirigeants africains comme le Président Alpha Condé de la Guinée. Ils sont nombreux aujourd’hui ces dirigeants africains qui font de l’agriculture une priorité dans leurs programmes de développement. Et je suis d’accord avec eux. Je crois qu’il faut davantage donner de possibilités aux paysans, je veux dire au monde rural, de sortir de la pauvreté à travers l’agriculture, l’élevage et l’aquaculture.
Pouvez-vous nous expliquer davantage cette vision de l’agriculture que vous partagez avec le Président Alpha Condé ?
Il faut dire que c’est un programme qui incite à la fois les jeunes diplômés et la classe moyenne à investir dans l’agriculture. C’est très important pour la Guinée. Et je crois que tous les pays africains devraient s’inspirer d’un tel programme. Le monde rural est le cœur de l’agriculture en Afrique. Ce n’est pas le monde des favorisés, mais c’est le monde « des vrais gens ». Ceux-là qui nous font manger grâce à leurs productions. Voilà pourquoi nous estimons qu’ils méritent mieux. Et pour les aider à sortir de la pauvreté, il faut miser sur la modernisation de l’agriculture et de l’élevage. Cette modernisation ne veut pas dire faire forcément comme en Europe ou en Amérique du nord. Nous n’avons pas les mêmes terres et les mêmes réalités que ceux-ci. Dans certains cas, il s’agit de mettre la technologie et les intrants au profit de notre secteur agricole. La modernisation signifie aussi le développement de la chaîne de valeur.
Développer la chaine de valeur optimise non seulement la production mais contribue à la création de nouveaux emplois dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage. En tout cas, le développement du secteur agricole africain est une nécessité. Selon la Banque Mondiale, il y aura plus de 2 milliards d’Africains en 2050. Il y aura donc autant de bouches à nourrir. L’année 2050 n’est pas aussi loin qu’on peut être tenté de croire. C’est maintenant qu’il faut faire impliquer plus d’Africains dans l’agriculture afin d’éviter de dépendre davantage de l’extérieur. Il faut éviter de confier son ventre aux autres quand on a la capacité et les conditions pour produire.
Selon vous, comment peut-on minimiser les effets de la crise de COVID-19 sur le secteur agricole africain ?
Il est évident que la crise n’a pas épargné les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Mais, avec de bonnes réflexions suivies d’actes concrets, on peut parvenir à minimiser les effets de cette crise. En tout cas, face à la pandémie, on s’est posé des questions comme : comment lancer la campagne agricole dans un contexte de crise sanitaire comme la crise du coronavirus ? Jusqu’où le numérique peut nous aider dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage ?
Comment éviter une aggravation de la situation alimentaire dans nos pays ? Voilà entre autres questions que nous nous sommes posées et dont les réponses ont orienté et continuent d’orienter nos travaux durant cette période de crise. Au même moment, il faut préparer l’après COVID-19. Heureusement que nous ne sommes pas les seuls à y penser. Les Etats, les institutions multilatérales, les ONG et les entreprises travaillent vraiment sur l’après-pandémie. Je crois que c’est cette union des efforts que nous avons besoin pour éviter à la région Ouest-africaine et au reste du continent une crise alimentaire qui pourrait avoir des répercussions durables sur la vie de plusieurs millions d’Africains.
Revenons sur un de vos questionnements. Comment éviter une crise alimentaire à nos pays ?
Nous croyons qu’éviter une crise alimentaire à nos pays nécessite un double travail : travailler à la fois pour maintenant et pour l’après COVID-19. Nous devons maintenant réfléchir sur la gestion de nos stocks alimentaires. Il faut une gestion rationnelle des ressources disponibles, mais aussi une gestion qui évite les pertes à la production et pendant le transport. Il faut encourager les producteurs en leur proposant des prix encourageants sur place. Cela évitera la sortie frauduleuse de certains produits. Dans le domaine de l’élevage, il y a lieu de structurer davantage la chaine de valeur en optant pour l’abattage local… Dans l’agriculture comme dans l’élevage, il faut savoir quelle est la quantité de produits qui doit sortir et celle qui doit rester.
Quel avenir pour l’économie agricole ?
Nul ne peut prévenir l’avenir. Mais on peut la préparer. C’est pourquoi je dirai que l’avenir de l’économie agricole va dépendre de ce que nous faisons aujourd’hui. A mon avis, nous devons être ingénieux et être capables de capitaliser de nos acquis. Sur ce dernier point, il faut souligner que cela passe par la continuité et non l’éternel et stérile recommencement.
Parlant de l’ingéniosité, il faut dire qu’on va devoir proposer d’autres modèles de production plus autonome de l’extérieur pour garantir un approvisionnement des marchés locaux. Le défi pour les producteurs sera surtout de s’adapter au revenu d’une population en crise sanitaire ou qui vient de sortir d’une crise sanitaire avec des impacts sur leurs entreprises ou leurs emplois. L’autre défi majeur sera celui de l’exportation. Si la crise peut être une opportunité pour développer les productions et la consommation locales, on doit se préparer à des difficultés dans les exportations de certaines productions comme le café, cacao, anacarde, hévéa. Personnellement, je crois qu’on peut bien se tirer d’affaire.
Source : Seneweb