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MOHAMED AMARA, sociologue, revisite les différents accords « De façon générale, ces accords ont échoué… »

Selon le sociologue et professeur à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako, Mohamed Amara, au Mali, depuis que nous sommes confrontés à cette rébellion, on signe les Accords dans la précipitation pour la bonne conscience, en se débarrassant littéralement du conflit et en gommant le désaccord, ce qui a conduit à la création des groupes qui se sentent exclus du jeu. Le sociologue déplore que la société malienne a tendance à nier le désaccord pour se comporter dans les apparences. Pour lui, la difficulté d’accepter les désaccords, les opinions divergentes porte en elle-même le risque d’une fabrication des extrémismes politiques et religieux.

M.Amara estime qu’il est important de situer le contexte de ces différents accords entre le Mali et les rebelles. Il affirme que la première rébellion du Mali indépendant qui a abouti à des accords de paix date du régime parti unique de Moussa Traoré sous la IIe République. “Sans aller dans les différents accords, je peux juste dire que, de façon générale, ces accords ont échoué dans leur finalité première qui est le retour de la paix”, dit-il. Par ailleurs, selon M. Amara plusieurs raisons expliquent l’échec de ces différents accords.

La première est la méconnaissance des réalités locales par les acteurs impliqués dans la résolution du conflit, à commencer par les Maliens eux-mêmes. Cette méconnaissance, affirme-t-il, suscite beaucoup de méfiances des communautés locales maliennes à l’égard du pouvoir de Bamako qui est souvent désigné comme étant le premier responsable du choix des personnes censées le représenter.

Ainsi, donc le pouvoir à Bamako a souvent été accusé de complaisance avec le mouvement rebelle. A l’en croire, le fait que des ex-combattants rebelles soient intégrés majoritairement dans l’armée malienne et dans l’appareil d’Etat au mépris des membres des mouvements de résistance sédentaires, est perçu comme une sorte d’injustice générant des tensions entre les populations nomades et les sédentaires.

La deuxième raison, conséquence de la première, est le sentiment d’abandon des populations sédentaires par le pouvoir à Bamako dont un des effets immédiats est l’érection d’une distance sociale entre Bamako et le reste du territoire. Il se traduit par un manque du pouvoir politique à l’égard des communautés, sans oublier l’omerta autour des processus de négociations.

Il rappelle qu’en 1990 après les premières attaques rebelles sur la ville de Tindermène (Ménaka) et la réponse militaire des autorités de la IIe République, sous le président Moussa Traoré, il y a eu une option pour la négociation avec les mouvements rebelles en sollicitant la médiation de l’Algérie, du Niger et de la Libye.

Dans ce cadre, le chef d’Etat-major des armées, représentant de l’Etat malien, et les représentants des mouvements rebelles ont élaboré une “feuille de route”, qui a servi de fil rouge pour les négociations. La suite, c’est la signature des Accords de Tamanrasset en janvier 1991. Ces accords, explique-t-il, prévoient de manière générale l’allégement du dispositif de l’armée malienne dans les régions du Nord, comme la suppression de certains postes militaires.

Selon notre sociologue, ce qu’il faut retenir, c’est que dans le fond, les Accords de Tamanrasset constituent un pas important vers la paix, mais pas dans la forme, c’est-à-dire que les Maliens, politiques, citoyens, dans leur grande majorité n’avaient aucun moyen de savoir le contenu de ce qui se négociait.

Le contenu des accords de Tamanrasset a été dévoilé après leur signature. En un mot après la révolution de mars 1991, ce qui signifie que la loi du silence a primé sur la transparence.

  1. Amara estime que la troisième et avant-dernière raison de l’échec des Accords de paix entre les mouvements rebelles et l’Etat malien, c’est la compétition entre pays médiateur ou pays tiers pour aider le Mali à retrouver le chemin de la paix. Il explique que des pays comme l’Algérie, le Burkina Faso, la Mauritanie ou la Libye se livrent à une bataille de leadership dans la médiation pour la défense de leurs propres intérêts géostratégiques à la place de ceux du Mali. Et la compétition est telle que la résolution du conflit malien devient secondaire.

Autrement dit, il serait difficile de trouver une solution au conflit malien tant que les négociations ne se déroulent pas sur le sol malien. Pour M. Amara, les seules fois où le Mali est parvenu à une signature relativement partagée des Accords, c’est quand les négociations se sont déroulées à Mopti avec le soutien des autorités algériennes.

Cette rencontre entre les rebelles et les autorités maliennes sous la Transition démocratique sous ATT a permis d’abandonner à la fois la référence à l’Azawad comme aire géographique et l’option fédérale comme choix politique avant la signature du pacte national 1992. Ce qui est significatif ici, c’est que lors des négociations, on a pu éprouver l’esprit d’appartenance des acteurs à une communauté nationale, un sentiment d’appartenance à la même communauté nationale malienne et l’implication des populations dans la résolution du conflit. C’est aussi une façon de calmer les ardeurs compétitives des différents pays tiers et qui permet aussi de favoriser.

La quatrième et dernière explication, selon M. Amara, sur l’échec de ces accords, c’est le rapport au temps. Il estime qu’on a un rapport au temps immédiat, produisant la précipitation de la signature des Accords sans avoir pris le temps d’analyser les tenants et les aboutissants du conflit. Par exemple, le Pacte national de 1992 a été signé, selon lui, sans prendre le temps de concerter, de dialoguer et d’impliquer l’ensemble des populations maliennes alors que l’implication des citoyens aurait influencé le contenu de l’accord en question.

Pis, les accords de 2006, suite à la rébellion de la même année se sont déroulés de la même façon. Ces accords illustrent typiquement cette logique d’urgence qui est sans cesse reproduite par les autorités maliennes dans les scénarios des négociations. Il explique que la conséquence immédiate de cette logique d’urgence est la fragilisation des accords, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas durables et ne permettent pas de ramener la paix. On retrouve cette espèce de vulnérabilité dans l’accord préliminaire de Ouagadougou (2013).

Sur le papier, il renoue les Maliens avec eux-mêmes, mais dans son élaboration et sa mise en application, il diverge avec l’essentiel, c’est-à-dire l’association et l’implication des autres communautés, les mouvements locaux du Nord dans le processus de négociation. Une des indications de l’échec de l’Accord de Ouagadougou, malgré son caractère soi-disant inclusif, c’est la hiérarchisation de la négociation politique, devenue un foyer de conflit permanent.

Mohamed Amara pense également que le dernier accord, l’Accord de paix, dénommé Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger signé en 2015 à Bamako, souffre du même problème d’urgence et d’implication de certaines parties des populations maliennes. “Si vous prenez ce dernier accord, c’est-à-dire l’accord d’Alger, il y a un problème de reconnaissance de cet accord par une partie des Maliens qui, de fait, le rejettent et rendent son application difficile alors qu’il a un caractère inclusif. Certes, il y a des points à relire dans cet Accord, mais il pourrait aider les Maliens à faire la paix entre eux”, explique-t-il.

Cependant, en expliquant toutes ces raisons sur les différents échecs, M. Amara entend ainsi donner un sens à ce qu’on appelle démocratie. Une démocratie, selon lui, peut incorporer la dignité, la laïcité, la solidarité, la transparence et la citoyenneté dans un bain éducatif permanent, dans un bain de transmission permanente des valeurs.

“C’est dans une telle perspective qu’on peut donner à voir et à comprendre des actions en termes de visibilité à venir pour plus de responsabilité de chaque citoyen, de chaque Malien de Kayes à Kidal”, insiste-t-il. Il pense aussi que c’est aussi important d’aller vers de nouvelles façons de faire le Mali autrement. Faire le Mali autrement pour lui, c’est redonner espoir aux 21 millions de Maliens en valorisant nos traditions, nos richesses au bénéfice de l’unité, la paix, la liberté grâce à une culture du compromis. C’est ce que nous devons chercher ensemble à faire pour nous sortir de ce guêpier narcoterroriste.

Ibrahima Ndiaye

Mali Tribune

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