- Ce papier est la suite de la publication parue dans les “Echos Hebdo” n°1490 du 16 mars 2018, sous le titre : “Création d’emplois et lutte contre les inégalités sociales : les mines une vision, une stratégie pour transformer l’économie”. Visiblement si l’Afrique n’est pas maudite, elle n’est pas à mon avis bénie.
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I- COMPRENDRE “L’INDUSTRIE MINIERE EXTRACTIVE”.
Il est important de bien comprendre une activité pour identifier les incohérences, les points forts et ponts les plus faibles pour proposer des solutions d’amélioration.
Nous avons acquis certaines expériences dans le secteur des mines à travers des missions de commissariat aux comptes, en Tunisie, dans des sociétés comme la Compagnie tunisienne de Forage (CTF), spécialisée dans le forage sous-marin avec de gigantesques machines appelés RIG, la Société tunisienne de Fluor et de Barytine (FLUOBAR) SA, spécialisée dans l’extraction du fer et la TRAPSA SA, une société de pétrole et de gaz dans le Sahara, à la frontière algérienne.
Au Mali, nous assurons des mandats de commissariat aux comptes dans des sociétés minières.
L’activité industrielle classique consiste à transformer des matières premières en produits fabriqués et les écouler. Les cycles d’exploitation sont généralement courts. Les activités industrielles classiques sont généralement encadrées par le Code des investissements. Celui-ci prévoit, compte tenu de l’importance des sommes investies, et des zones d’implantation (décentralisation industrielle), des avantages fiscaux, douaniers et financiers.
L’industrie minière consiste à rechercher des substances minéralogiques, solide (or, diamant, fer, uranium, cobalt, bauxite, et), liquide (généralement les hydrocarbures) ou gazeux. Entre le commencement des recherches et le début de l’exploitation des réserves découvertes, il peut s’écouler banalement entre 10 et 15 ans.
Lorsque les recherches n’aboutissent pas, les sommes importantes investies sont purement et simplement passées en “Pertes”. .
Lorsque les recherches aboutissent, une “Société d’exploitation” est créée pour exploiter les “réserves découvertes”. Compte tenu de la lourdeur des investissements et du caractère très aléatoire de la recherche, les activités minières sont encadrées par un Code d’investissement spécial : les Codes miniers et les Conventions d’établissement signées avec chaque société.
Pour préparer ce papier, nous nous sommes plongés dans des vieux cartons, pour sortir des feuilles de calculs, vieux de plus de vingt ans, du “Compte de Résultat par RIG” à la CTF, des feuilles de calculs du “coût de stocks de minerais à FLUOBAR”, les “feuilles d’inventaires” et de “valorisation des stocks de baril” à la TRAPSA.
Les industries minières extractives et pétrolières tournent autour des activités suivantes :
Les forages. L’exploration et la recherche minière font appel à d’intenses activités de forages, qui rapportent énormément. En effet, faire des forages sur des dizaines, voire des centaines de mètres de profondeurs coûtent excessivement chers. Sur son site de maillage, une Société minière en fait beaucoup.
Les explosifs. Les entreprises de forage utilisent des quantités d’explosifs pour casser des roches, les plus dures à des profondeurs inimaginables. Les activités de fabrication et de distribution d’explosifs rapportent énormément.
Les laboratoires d’analyse. Les roches issues des forages sont testées dans des laboratoires pour en connaitre les teneurs en substances minéralogiques. Ils constituent une branche d’activité très importante de l’industrie minière. Beaucoup de tests sont réalisés hors des frontières du pays.
Les hydrocarbures. Les hydrocarbures sont des consommables indispensables à toutes les industries. Dans l’industrie minière, les factures d’hydrocarbures représentent un poids relativement importants dans la structure du coût de revient. A titre d’illustration, une industrie minière qui consomme 1000 000 de litres de carburant par jour, au prix de 500 F CFA le litre, le montant annuel de la facture s’élève à 182 500 000 000 F CFA (1000 000 x 365 x 500).
Les services de concassage et d’escapade. Ils représentent des sommes importantes dans le Compte de Résultat des sociétés minières valant des centaines de millions, voire des milliards de F CFA.
Les services de maintenance et de réparations de l’usine et des équipements. Ils sont très importants dans la structure du coût de revient.
Le raffinage. Les minerais bruts sont traités dans des usines de raffinage. C’est le stade ultime de la production. Les factures de raffinage constituent des sommes très importantes dans la structure du coût de revient des productions et fabrications minières.
Ces activités peuvent atteindre 70 à 80 % des coûts de revient dans les industries extractives. Il est important que l’Etat mette en place une politique minière permettant à lui-même et aux sociétés nationales de s’approprier d’une part importante de ces activités.
II- ILLUSTRATION DES REVENUS EN “INDUSTRIE MINIERE EXTRACTIVE”.
A titre d’illustration, soit une société minière qui réalise sur un chiffre d’affaires de 2 000 milliards de F CFA, soit le budget du Mali. Le chiffre d’affaires sert à faire face aux charges. L’excédent du chiffre d’affaires sur les charges est le bénéfice.
Soit, 80%, c’est-à-dire 1 600 milliards, la proportion du chiffre d’affaires ayant servi au paiement des charges relatives aux sept activités citées ci-avant. Il reste 400 milliards de FCFA.
Soit 10 %, c’est-à-dire, 200 milliards, la proportion du chiffre d’affaires ayant servi au paiement des salaires, les énormes frais financiers sur les emprunts, et les dotations aux amortissements colossales de l’Usine et des autres équipements. Il reste 200 milliards de F CFA correspondant au bénéfice brut.
Sur ce bénéfice brut de 200 milliards, la société paie l’impôt sur les sociétés au taux de 30 %, soit 60 milliards (200 x 30 %), dans les caisses de l’Etat. Le bénéfice net est de 140 milliards.
Remboursement de 40 milliards correspondant à l’échéancier annuel de l’énorme dette contractée auprès du marché financier international, généralement au taux variable du LIBOR + 2 points. Très généralement, c’est la société mère qui lève les fonds sur le marché financier pour les rétrocéder à la filiale exerçant dans notre pays.
Distribution des 100 milliards de bénéfice net, pour faire simple, la société retient l’Impôt sur les Revenus des Valeurs Mobilières (IRVM) au taux de 10 % pour les Caisses de l’Etat, 10 milliards, c’est-à-dire 100 x 10 %. Le dividende net est don de 90 milliards (100 – 10).
Avec une participation de 20 % au capital, la part de dividende revenant à l’Etat est de 20 % x 90 milliards, soit 18 milliards.
Sur le chiffre d’affaires de 2000 milliards, l’Etat a encaissé jusque-là 70 milliards d’impôt et 18 milliards de dividendes, soit au total 88 milliards.
La TVA, généralement ? il n’y en aura pas. En effet, le principe de la TVA, c’est déduire de la TVA facturée aux clients, celle facturée par les fournisseurs. Or, en phase d’exploration et de recherche, la société ne vend rien, donc, elle est de droit exonérée de la TVA.
En raison de l’exonération des sociétés minières de la TVA, les 1 800 milliards payés aux intervenants (leurs chiffres d’affaires), généralement des sociétés étrangères, ci-hauts mentionnés, sont exonérés de TVA, du fait que leurs clients miniers font des commandes accompagnées “d’attestation de franchise de TVA”.
Il reste grosso modo, les impôts et taxes sur salaires, au maximum 10 milliards les autres impôts et taxes, le montant total encaissé.
Enfin les Conventions d’établissement prévoient généralement des avantages financiers, sous la forme de rapatriements des bénéfices, des capitaux, en franchise de tout prélèvement.
Au final, le montant total encaissé par l’Etat sur le chiffre d’affaires de 2000 milliards de cette société est de 98 milliards de F CFA, soit 4,9 %, un chiffre évidemment faible. Mais quelle solution ?
III- METTRE EN PLACE UNE “VERITABLE POLITIQUE MINIERE” CATALYSEUR DE TOUTE L’ECONOMIE.
Il est vrai que le sol et le sous-sol appartiennent au Mali. On pourrait trouver toute sorte de montage juridique, mais cela ne suffirait pas. Les discours “populistes” qui dressent les populations contre les sociétés minières ont leurs limites.
Les redressements fiscaux tendancieux, à hauteur des dizaines de milliards de F CFA qui ne résistent à aucune analyse devant des juridictions internationales, desservent le pays et l’économie nationale.
La seule solution consiste à faire de l’industrie minière un “pôle de développement”. Aucun pays ne peut tirer profit des mines sans une vraie politique qui met en place des sociétés nationales intervenant en amont du processus d’extraction :
- de forages, comme le cas de la CTF en Tunisie,
- de distribution d’hydrocarbures,
- de laboratoires d’analyse des échantillons de roches,
- de raffinerie, comme le Nigéria. Sans être producteur d’or, Dubaï est devenu une place mondiale du marché de l’or et joaillerie à cause des raffineries.
- de sociétés nationales d’exploitation comme le cas du pétrole en Algérie, Angola, Nigéria, l’or pour le Ghana, du diamant au Botswana,
J’entends des gens en train de dire, nous n’avons pas les moyens et que l’Etat n’intervient pas dans l’activité économique.
Sur l’intervention de l’Etat dans les activités économiques, Ceux qui imposent cela, sont aujourd’hui les champions de l’intervention de l’Etat pour soutenir les entreprises nationales.
Les moyens humains ? Notre pays dispose de ressources compétentes dans l’industrie minière.
Les moyens financiers ? Nous sommes pauvres ? Oui nous sommes les moyens pour nous enrichir personnellement, mais de moyens pour développer le pays pour le bonheur collectif.
Selon la Chaine de télévision Africa News, dans un Rapport de 2020, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (Cnuced) estime à près de 89 milliards de dollars, les fuites des capitaux de l’Afrique vers le reste du monde.
“Chaque année, on estime que 88,6 milliards de dollars, soit 3,7 % du Produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique, quittent le continent sous forme de fuite illicite de capitaux, selon le rapport 2020 de la Cnuced”. Ce montant réparti entre 1,2 milliard d’Africains, c’est comme si chaque Africain est privé de 74 000 dollars par an, soit 37 millions de F CFA au cours de change de : 1 dollar égal 500 F CFA.
Il est certain qu’une partie de cette somme, dans le système financier mondial, nous revient sous forme d’emprunts, remboursés avec des intérêts, des services de la dette qui plombent nos économies. Visiblement si l’Afrique n’est pas maudite, elle n’est pas à mon avis bénie.
Nous l’avons dit et redit. Le Mali est un pays de commerçants. L’Etat doit forcément jouer un rôle d’incubateur pour l’émergence d’un tissu industriel. Dans le domaine minier, Il convient, pour commence, de créer :
- une Compagnie de Forage,
- une Société nationale de Pétrole, par transformation de l’Onap.
- un Laboratoire d’analyse, à la place du Programme de Développement des Ressources Minéralogiques (PDRM), capable de mener tous les tests en matière minière,
- une nouvelle école d’industrie minière ou de revoir les programmes des écoles Ecica et Eni, section industrie, génie électrique, mécanique. Des pays pourraient s’associer pour créer une raffinerie commune, cela a l’avantage d’une part de réunir facilement des fonds pour sa construction, d’autre part, d’éviter toute rupture de fonctionnement.
En conclusion, c’est à ce prix que les mines pourraient faire le bonheur de l’économie malienne. Les ressources minières : liquides, solides et gazeuses, ont fait le bonheur de nombreux pays, quasiment toutes les grandes puissances.
La réussite d’un pays, c’est avant une vision, celle des dirigeants qui se succèdent à sa tête. Que voulons-nous en matière agricole, d’éducation, industrielle, de santé, etc. Il est important qu’aux termes de cette transition, qui va faire la refondation de notre pays, que les Maliens ouvriront davantage les yeux, pour ne plus choisir de dirigeants animés seulement de bonnes intentions. Ils doivent être plus regardants sur les projets de société et les programmes politiques qu’on les propose. On ne construit pas un pays avec des catalogues d’intentions et de petites ambitions. Quand on veut aller loin, on est pragmatique et on fixe des objectifs ambitieux. On vise les étoiles./
Siné DIARRA
Expert-Comptable,
Enseignant de Comptabilités, Finances et Audit
Cell : 66 89 69 69 / 76 89 69 69
Site : www.finauditsarl.ml
Références bibliographiques
- L’Ordonnance n°91-065 / P-CTSP du 19 Septembre 1991, Portant Organisation de la Recherche, de l’Exploitation, de la Possession, du Transport, de la Transformation et de la Commercialisation des Substances Minérales ou Fossiles et Carrières autres que les Hydrocarbures liquides ou gazeux sur le Territoire de la République du Mali et son Décret d’application n°91-277 / P-RM du 19 Septembre 1991.
- L’Ordonnance n°99-032 / P-RM du 19 Août 1999 Portant Code Minier en République du Mali et son Décret d’application N°99-255 / P-RM du 15 Septembre 1999.
- La loi n°2012-015 du 27 Février 2012 Portant Code Minier et sn Décret d’application n°2012-0311 / P-RM Du 21 Juin 2012.
- Institut des Hautes Etudes Commerciales, (IHEC), Tunis Carthage 5ème Année expertise comptable Cours de comptabilité approfondie “Les entreprises minières et pétrolières” 1994,
- Ecole des mines de Paris “Cours de comptabilité générale” F. ENGEL, F KLETZ, Mars 2005,
- Normes comptables internationales “IAS / IFRS pour les Mines”, cours de certification aux normes comptables internationales, 2010.
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Mines et développement : Une vision, une stratégie pour transformer l’économie
Par Bamada.net
10/10/2020