Depuis 2006, l’Unesco a condamné les assassinats de 1.010 journalistes et professionnels des médias. Mais neuf cas sur dix n’ont jamais été portés devant la justice, selon un rapport publié jeudi.
L’agence de l’Onu a décrété le 2 novembre “Journée internationale contre l’impunité pour les crimes contre les journalistes”, en hommage aux Français tués le 2 novembre 2013 au Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
“La lutte contre l’impunité fait partie intégrante de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et de l’accès à l’information. S’en prendre à un journaliste, cela revient à s’attaquer à la société toute entière”, a déclaré à l’AFP la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay.
Jeudi soir, la Tour Eiffel va s’éteindre symboliquement quelques heures à l’initiative de Reporters sans frontières.
“Leur cri nous hante”, lance l’association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Leurs assassinats, mais aussi ceux d’Anna Politkovskaïa en 2006 à Moscou et de Marie Colvin en 2012 en Syrie “interpellent directement les Etats, leurs diplomaties, leurs polices, leurs services de renseignement et leurs justices”, souligne-t-elle dans une tribune publiée dans Libération.
L’enquête piétine cinq ans après l’assassinat des deux Français. Un juge anti-terroriste français s’est rendu pour la première fois au Mali au mois de mars, sans pouvoir enquêter sur les lieux précis de l’assassinat.
En Turquie, l’enquête sur le meurtre de Jamal Khashoggi a au contraire avancé très vite. Sous la pression internationale, l’Arabie Saoudite a fini par reconnaître le 21 octobre le meurtre de Jamal Khashoggi dans son consulat d’Istanbul lors d’une opération “non autorisée”. Mais le royaume wahhabite refuse d’extrader 18 Saoudiens soupçonnés d’implication dans l’assassinat.
Entre le 1er janvier et la fin du mois d’octobre 2018, l’Unesco a recensé le meurtre de 86 journalistes. Si les envoyés spéciaux sont parfois tués sur des terrains de guerre, ce sont les journalistes locaux enquêtant sur la corruption, la criminalité et la politique qui constituent de loin le plus grand nombre de victimes. Ils représentaient 90% des journalistes tués en 2017 selon l’Unesco.
Les femmes, de plus en plus nombreuses dans la profession, sont en outre particulièrement ciblées par le harcèlement sexuel et les abus en ligne.
A Malte, un an après la mort de la journaliste Daphne Caruana Galizia dans l’explosion de sa voiture, l’enquête n’avance pas assez vite, selon son fils Matthew: “trois personnes ont été arrêtées, mais ce ne sont que les exécutants, ils sont tout en bas de la chaîne”.
Le ministre maltais de l’Economie a été mis en cause, notamment pour ses relations supposées avec l’un des assassins, par des journalistes internationaux réunis par l’ONG Forbidden Stories.
Cette initiative pour “dissuader ceux qui voudraient tuer des journalistes” a été lancée fin 2017 par le Français Laurent Richard. Le journaliste d’investigation était arrivé à la rédaction de Charlie Hebdo quelques minutes après l’attaque contre le journal satirique, qui a fait 11 morts en 2015, a-t-il expliqué à l’AFP.
Pour que le meurtre de journalistes devienne “contre-productif”, Forbidden Stories promet de “poursuivre les enquêtes des reporters assassinés” et de leur donner un retentissement international.
L’Unesco a aussi lancé une campagne en ce sens, appelée #TruthNeverDies (“La vérité ne meurt jamais”), pour encourager la publication d’articles rédigés par, ou en hommage à des journalistes tués dans l’exercice de leur métier.
Selon Reporters sans frontières, la Syrie est le plus meurtrier au monde pour les reporters, suivie du Mexique, le pays en paix le plus dangereux.