« Les soldats ont mis le feu maison par maison », raconte Gaji Bukar au milieu des ruines du petit port de pêche de Baga, dans l’extrême nord-est du Nigeria, où quelque 200 personnes seraient mortes dans un épisode tragique de la lutte contre les islamistes.
Au coucher du soleil, le 16 avril, des combats entre militaires nigérians et militants islamistes faisaient rage dans les rues de cette localité bordant le lac Tchad, se souviennent des habitants encore terrorisés deux semaines plus tard.
Le lendemain matin, les affrontements avaient cessé mais les soldats sont revenus et le bain de sang a repris, expliquent-ils à un groupe de journalistes autorisés à se rendre sur place pour la première fois depuis le massacre.
« Mon quartier a été brulé le lendemain matin, en plein jour, par des soldats qui sont allés de porte en porte pour mettre le feu aux maisons et tout le monde les a vus », se souvient Gaji Bukar.
En raison du manque d’information, différentes versions circulent sur ce qui s’est réellement passé dans cette localité de la région de Maiduguri, fief du groupe islamiste Boko Haram qui mène une insurrection meurtrière dans le pays le plus peuplé d’Afrique.
Les journalistes de l’AFP autorisés à pénétrer dans Baga sous la supervision de soldats ont vu une ville encore largement désertée où, au milieu des maisons et véhicules incendiés, des habitants accusent les militaires d’avoir recommencé à massacrer la population alors que les insurgés avaient déjà pris la fuite.
Le témoignage de Gaji Bukar a été corroboré par d’autres, recueillis par Human Rights Watch qui dit avoir dénombré grâce à des photos satellite 2.275 bâtiments détruits dans la localité, des habitations en grande majorité. HRW a réclamé une enquête de la Cour pénale internationale.
Des secours et des responsables locaux rapportent qu’entre 187 et 228 personnes ont été tuées : soldats, insurgés mais aussi des dizaines de civils. Soit le plus grave massacre à ce jour dans l’ensemble des violences qui ont déjà fait 3.600 morts au Nigeria, tous camps confondus, depuis leur début en 2009, selon l’organisation HRW.
L’armée ne reconnait que la mort de 37 personnes : 30 militants, six civils et un soldat, et nie avoir délibérément tiré sur des civils et provoqué les incendies qui ont détruit près de la moitié de la localité.
« Nous ne sommes pour rien dans les incendies », se défend le général Austin Edokpayi, dont les hommes guident les journalistes dans les rues poussiéreuses où les décombres noircis restent partout visibles.
« Des gens sous la coupe des terroristes »
Il raconte que quatre heures de combats ont commencé le 16 avril au soir avec une intervention contre une attaque imminente. Un communiqué militaire explique que les soldats sont revenus le lendemain au matin pour une « opération de ratissage ».
Le général reconnait que Boko Haram contrôle une partie de l’Etat de Borno, coté nigérian, un aveu étonnant de la part des forces de sécurité qui assurent généralement que les islamistes sont sur la défensive.
« Certaines zones sont aujourd’hui dominées par ces terroristes et les gens vivent sous leur coupe », dit-il, décrivant Baga comme paralysée par la peur, où « personne n’ose dire quoi que ce soit » contre Boko Haram.
Suant à grosses gouttes tout en rassemblant des débris de sa maison rasée par le feu, Usman Mohammed, 42 ans, raconte que des dizaines de ses voisins continuent de se cacher de peur d’une reprise des violences.
Boko Haram a mis en garde contre une reprise des attaques et « beaucoup de gens sont toujours dans la brousse », dit-il.
Certains quartiers restent interdits aux journalistes, ceux qui auraient été les plus touchés.
Dans une des zones visitées par l’AFP, deux rangées de tombes fraichement creusées étaient visibles.
« Ils devraient vous laisser visiter les deux autres cimetières où la plupart des victimes ont été enterrées », dit un habitant, Adamu Bulama.
Des législateurs nigérians ont demandé une enquête indépendante tandis que Human Rights Watch soupçonne l’armée nigériane de chercher à masquer l’ampleur des abus qu’elle y aurait commis.
Sur le terrain, plus de 640 personnes sont accueillies dans un camp de fortune.
« Même ceux qui veulent revenir ne l’ont pas fait car leur maison a été détruite par le feu et ils n’ont nulle part où loger », note Usman Mohammed.