Dans une interview exclusive, le porte-parole de la milice Dan Na Ambassagou, Marcelin Guenguéré, explique sans ambages, la situation qui prévaut au centre du pays. Selon lui, cette situation est beaucoup plus inquiétante aujourd’hui que l’on ne le croyait et que même 10.000 militaires ne suffisent pas pour sécuriser la zone. Quant à Dan Na Ambassagou, Marcelin Guenguéré a affirmé qu’elle est et restera une milice d’auto-défense tant que le pays dogon existera. Dans cette interview, le porte-parole de Dan Na Ambassagou aborde également le rapport entre ses combattants et l’armée malienne, ainsi que les autres milices présentes sur le terrain. Après avoir déclaré que son organisation ne pourra en aucune manière être dissoute, Marcelin témoigne qu’elle est actuellement le maillon incontournable pour le retour de la paix au centre du pays et dispose des armes de guerre afin de protéger les populations et leurs biens dans l’ensemble du pays dogon. Lisez plutôt l’interview !
Ziré-Hebdo: M. Guenguéré, comment devrait-on vous appeler aujourd’hui ? Chef d‘un groupe armé ? Votre mouvement qui est hors la loi, vu qu’il a été dissout le 24 mars 2019 par legouvernement, ne fait-il pas de vous, tout simplement, le leader d’un groupe de rebelles ?
Marcelin Guenguéré : Tout d’abord, je refuse qu’on dise que Dan Na Ambassagou est une milice dissoute. Non, on existe. Le mouvement Dan Na Ambassagou n’est donc pas dissout et nous sommes un mouvement d’auto-défense. Nous sommes là pour combler un vide que l’Etat a laissé, pour jouer un role que l’Etat ne joue pas. Il s’agit de la protection des personnes et de leurs biens dans notre zone, à savoir le pays Dogon et une grande partie de la région de Mopti.
Aujourd’hui, comment le mouvement évolue-t-il sur le terrain ?
Notre mouvement évolue très bien sur le terrain. Nous jouons pleinement notre rôle de défense et de protection des populations en attendant que l’Etat ne vienne prendre le relais, car c’est son rôle réel à lui.
Alors, pour l’instant n’avez–vous pas un cadre de collaboration avec l’armée malienne ?
Nous allons vers ça, même si nous constatons un sentiment de méfiance de part et d’autre. Ce qui est sûr, nous resterons toujours fidèles à notre engagement patriotique. Nous faisons le maximum de nous-mêmes pour qu’il n’y ait jamais d’affrontement entre l’armée et nos combattants.
Le 10 juillet 2019, dans un communiqué signé par vous-mêmes, Dan Na Ambassagou a accusé l’armée malienne d’avoir attaqué l’une de ses positions au centre du pays. Qu’es-ce qu’il s’est réellement passé ?
Effectivement, nous avons été victimes d’une attaque qui a été perpétrée par l’armée malienne, notamment l’armée de l’air qui a usé d’un hélicoptère et qui a frappé l’une de nos bases qui sert de pré-cantonnement de nos combattants à Ouadouba, le 10 juillet 2019 aux environs de 15 heures. Franchement, nous avons déploré cette attitude de notre armée, sachant que c’est une base qui est bien connue et que tout le monde sait que Dan Na Ambassagou est dans une phase de pré-cantonnement. Nous faisons ces efforts pour pouvoir amener tous nos hommes à être ensemble sur place pour être préparés à remettre leurs armes, parce que quand on parle du DDR, c’est pour que chacun vienne volontairement donner son arme. Mais malheureusement, nous avons été ciblés et c’est quelque chose que nous condamnons fermement.
C’est pourquoi, nous invitons les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour que de tels actes ne se répètent plus.
Est-ce que vous pensez que c’est une défaillance dans les renseignements militaires où alorsc’est juste une erreur ?
Bon, certains disent que c’était une erreur. Mais de Sévaré à Ouadouba, ça fait quand-même beaucoup de villages à traverser. C’est une base qui n’est pas cachée et ce sont des chasseurs qui sont là auprès de leurs villages. Alors, cette hypothèse d’erreur ne nous convainc pas. C’est un acte volontaire et nous déplorons cela.
A cette période où nous sommes en train de tout mettre en œuvre pour que l’armée malienne et nous, puissions collaborer et faire ensemble des patrouilles mixtes avec bien sûr nos frères peuls, (les milices peules) pour combattre ensemble l’ennemi commun qui est dans la brousse, si on nous attaque, ça doit faire peur et cela brise également la confiance qu’il y a entre nous.
Est-ce qu’aujourd’hui on peut dire que la situation au centre est beaucoup plus inquiétante qu’on ne le croyait ?
La situation est beaucoup plus inquiétante qu’on ne le croyait, parce que nos brousses regorgent de milliers de terroristes et leur credo est d’empêcher les travaux champêtres cette année. Ils veulent provoquer et imposer la famine, sachant que la culture agricole est notre activité principale. Nous avons toujours dit que nous sommes disposés à dialoguer, mais quand on nous impose la guerre, nous sommes obligés de riposter et de nous défendre parce que cela va de notre propre survie. Il faut comprendre que nous sommes en position de légitime défense.
On vient nous attaquer. Alors, nous avons l’obligation de nous défendre. Nous sommes sur cette position et cette année nous allons tout mettre en œuvre pour que nous puissions au moins cultiver les terres et s’il faut que nous partions au champ avec nos armes pour cultiver, nous le ferons. Vous avez vu au début de l’hivernage, juste après Soban Dah, à Yoro et à Gangafani, ils sont venus tuer les gens dans leurs champs et parmi ces victimes, il y a des enfants et des femmes qui étaient au champ rien que pour semer.
Vous parlez d’attaques. Qui en est l’auteur ?
Mais, ceux qui sont dans les brousses, les terroristes. Ils nous attaquent et nous n’avons le choix que de riposter. Donc, il nous a été demandé de rester chacun dans son coin, le peul, comme le dogon ; et cela pour que chacun puisse vivre paisiblement. Maintenant, nous allons vers une réunification des deux forces (peuls-dogons) et ceux qui ne feront pas partie de ce groupement, seront considérés comme les ennemis de nos terroirs. L’objectif sera de former un bataillon et nous allons faire des patrouilles avec bien sûr l’armée malienne. Nous allons ratisser toutes les forêts, toutes les grottes et toutes les collines du pays dogon pour que la paix y revienne.
Est-ce que c’est là, l’esprit du cessez–le–feu dont vous avez diffusé le communiqué le 1erjuillet 2019 ?
Justement, c’est ce communiqué que nous avons fait pour aller vers le cessez-le-feu. C’est un communiqué que nous avons élaboré pour dire : que désormais chacun s’abstienne d’attaquer l’autre. C’est à travers ça que nous irons vers un vrai cessez-le-feu, vers la réconciliation et vers une vraie paix dans toute la région de Mopti.
Une délégation du Premier ministre vient d’effectuer une visite de cinq jours dans la région de Mopti, je suppose que vous y étiez. Dites-nous ce que cette visite peut changer dans la situation qui prévaut au centre !
Nous étions de cette visite. Ceux qui y ont été ou qui ont suivi la visite à travers les réseaux sociaux et d’autres médias, ont compris que Dan Na Ambassagou a réservé un accueil triomphal au Premier ministre et à sa délégation. Ce qui veut dire que Dan Na Ambassagou n’est pas dissoute. Le Premier ministre, l’une des plus hautes autorités du pays, est allé saluer les chasseurs. Cela veut dire qu’il y a un signe de paix.
Je pense que l’Etat avait fait l’erreur de dire que Dan Na Ambassagou était dissoute. Ce n’est pas une association ordinaire qu’on peut dissoudre de façon classique. Donc, ils ont finalement compris qu’il faut faire avec Dan Na Ambassagou, car nous sommes le maillon incontournable au centre. S’il y a une vérité à dire, c’est à nous de la dire. Car, c’est nous qui subissons, c’est nous qui repoussons les ennemis et nous savons qui nous repoussons. Donc, le Premier ministre, nous l’avons trouvé très attentif lors de cette visite et surtout très disponible et nous pensons qu’il pourra aboutir au résultat qui est la paix.
Mais, il ne faut pas aller trop vite en besogne, nous allons chercher à le connaître davantage et voir comment nous pourrions travailler de manière harmonieuse avec les autorités pour qu’on puisse sortir de ce grand trou, parce que nous sommes dans un grand trou et nous espérons que le Premier ministre va réussir à apaiser les cœurs et les esprits de toutes les communautés.
Lors de cette visite, Boubou Cissé a également annoncé le redéploiement de 3.600 militaires en supplément au centre. Pensez-vous que cet effectif suffit aujourd’hui pour redonner à la région de Mopti son image d’antan où il faisait bon y vivre dans la paix, dans la cohésion sociale et surtout dans une diversité culturelle ?
Non ! Ça ne suffit pas. Même 10.000 hommes ne suffisent pas aujourd’hui pour sécuriser cette zone. Mais, nous en tant que groupe d’auto-défense, nous travaillerons toujours en complicité avec l’armée malienne. Cette fonction, nous pourrons effectivement l’assurer dans le cadre des patrouilles de ratissage, parce que nous maîtrisons le terroir mieux que l’armée et nous pouvons servir de boucliers, de guides et de combattants. Aussi, nous sommes des patriotes, nous nous battons pour sauvegarder la dignité et la souveraineté nationale, parce que si Dan Na Ambassagou n’avait pas été là, le Mali aurait déjà perdu tout son centre.
C’est pourquoi, nous devons tous saluer les efforts de Dan Na Ambassagou. Nous avons résisté avec nos petits moyens jusqu’ici et nous allons aider notre armée à recouvrer l’ensemble du centre et vraiment en collaboration avec nos frères peuls qui ont compris qu’ils étaient dans l’erreur et qui ont accepté de sortir de cette erreur pour qu’on fasse un front commun capable de ramener la paix au centre du pays.
Est-ce que cela veut dire qu’après la paix retrouvée, Dan Na Ambassagou va disparaître définitivement ?
Nous, nous sommes là il y a des siècles. Nous allons continuer à être là tant que le pays dogon existera. Nos ancêtres ont défendu leur terroir, nos pères l’ont défendu, nous le défendons, nos enfants vont le défendre, leurs petits enfants vont également le défendre. Donc, chaque génération va jouer son rôle pour que le pays dogon ne tombe jamais, pour que le pays dogon résiste et reste debout. S’il est debout, c’est le Mali qui est debout. Le pays dogon fait bel et bien la fierté du Mali, parce que c’est grâce à lui que le Mali reste dans le concert des grandes nations. Les gens quittent chez-eux pour venir visiter le pays dogon. C’est une richesse pour le Mali.
Vous voulez parler du tourisme ?
Le tourisme, oui! C’est le socle même de l’économie malienne et aujourd’hui, il n’y a aucune activité dans ce sens au pays dogon. Donc du coup,son économie est brisée, or on ne peut pas parler de paix sans parler d’économie et de développement. Il faut que les activités économiques soient réveillées, il faut que les jeunes trouvent quelque chose à faire de façon quotidienne ou mensuelle. C’est la seule manière de permettre aux gens d’oublier la guerre. Mais tant que tout le monde est ‘’aigri’’, sans travail et dans l’extrême pauvreté, on est obligé de s’adonner à n’importe quelle activité pour pouvoir survivre et c’est pourquoi vous verrez qu’il y a beaucoup de bandits, qui ne sont pas du tout des chasseurs. Parce que un chasseur n’est jamais et ne peut jamais être un bandit.
Aujourd’hui, les gens font n’importe quoi, parce qu’ils portent de tenue de chasseurs et du coup on accuse tous les chasseurs d’être responsables de ces différents forfaits. Le chasseur est un homme assermenté. Son serment est plus fort que celui du président de la République. Le chasseur est issu d’une confrérie où il n’y a que des rites et des mythes auxquels il faut obligatoirement obéir. Quand tu es chasseur, tu es contraint de respecter certaines disciplines de cette confrérie, sinon c’est la colère des dieux qui va s’abattre sur toi et c’est pourquoi le chasseur ne peut pas se permettre de faire certaines choses qui nuisent à la vie humaine.
Il faut que les gens le comprennent : beaucoup de choses se font au centre, comme des mascarades, qui n’ont rien à voir avec les chasseurs. Mais seulement, des personnes se déguisent en chasseurs et font du mal afin de faire porter le chapeau à nos éléments. Cela ne fait qu’envenimer davantage les choses. Il est temps de sortir de cela, il est temps d’ouvrir les yeux et de prendre conscience de notre véritable rôle et de notre dignité que nous devons forcément conserver.
Revenons sur le DDR, vous avez parlé de pré-cantonnement. Combien de vos hommes sont-ils prêts pour ce processus ?
Nous sommes des milliers de combattants qui sommes dans cette disposition de pré-cantonnement et nous avons été les premiers.
Tous ceux-ci ont-ils réellement des armes ?
Mais écoutez, comment vous voulez qu’on aille combattre avec les mains nues ?
Alors ces armées, d’où viennent-elles ?
D’abord, nous avons nos armées traditionnelles. Il n’y a pas une seule famille dogon qui ne dispose pas de fusil traditionnel. Cela fait partie de ce qu’on appelle ”être encré dans la culture”. Dans chaque famille, vous allez trouver au minimum une lance et un fusil, quelle que soit la pauvreté de cette famille. Donc, c’est pour vous dire que nous disposons des fusils traditionnels fabriqués par nous-mêmes. C’est avec ces armes que nous avons commencé nos combats. Maintenant pendant les ripostes, il nous arrive d’avoir de butins de guerre, parce que quand on t’abat, on prend ton arme et c’est comme ça que nous nous sommes dotés en armes de guerre que d’ailleurs nous ne savions pas manipuler au départ. Il a fallu qu’avec le temps nous nous organisions pour apprendre à les manipuler et former tous les autres combattants à les utiliser. Aujourd’hui, nous disposons d’armes de guerre et nous nous défendons avec.
Votre mot de la fin !
Il faut que les populations comprennent que nous, nous ne sommes pas des génocidaires. Vu qu’on nous taxe de génocidaires, qu’on nous accuse d’etre ceux qui ont tué les peuls, tandis que le nombre de dogons tués au centre depuis le début de la crise est dix fois supérieur au nonbre de peuls tués. Et je vous le dis, les peuls qui ont été tués, l’ont été pour de bonnes raisons. Parce qu’ils nous ont attaqués. Si tu nous attaque et que nous avons l’occasion de t’attraper, nous t’éliminons. Maintenant, il faut que la communauté nationale et internationale cesse de s’acharner contre nous. Nous ne sommes que dans un rôle de défense de nos vies, nous sommes en position de légitime défense, nous ripostons aux attaques. Mais, nous n’allons jamais attaquer. Que cela soit compris.
Interview réalisée par Ousmane BALLO et Amadou BASSO
Source: Ziré-Hebdo