L’ensemble de la classe politique malienne devrait tirer les leçons de ce scrutin présidentiel.
Le 20 août, la Cour constitutionnelle du Mali a confirmé la victoire du Président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, élu avec 67,16 % des suffrages. Comme lors de l’élection de 2013, il a encore affronté, au second tour, Soumaïla Cissé, crédité de 32,84 % des voix. Alors que l’opposition rejette ces résultats et menace de reprendre les manifestations, de nombreuses leçons devraient être tirées de ce scrutin.
La sécurité a de nouveau constitué une importante préoccupation. Malgré la signature de l’accord pour la paix et de réconciliation en 2015 entre le gouvernement malien et les anciens groupes rebelles armés, la situation sécuritaire sur le terrain demeure volatile.
Les chiffres fournis par les autorités maliennes démontrent que c’est surtout dans le Centre que l’insécurité a eu un impact significatif sur le déroulement du scrutin. Sur huit millions d’inscrits, plus de 200 000 électeurs n’ont pas pu voter au premier tour et environ 130 000 au second.
Comme en 2013, la sécurité a de nouveau constitué une importante préoccupation
L’insécurité a gagné du terrain dans cette partie du pays au cours des dernières années, avec la multiplication des attaques perpétrées par les groupes extrémistes violents – qui ne sont pas partie au processus de paix – et la recrudescence des conflits locaux sur fond de compétition autour des ressources naturelles, accentuée par l’absence ou la faiblesse de l’État.
De nombreux incidents attribués aux groupes extrémistes violents, notamment des intimidations, le saccage de bureaux de vote ou encore la destruction de matériel électoral, ont émaillé les deux tours du scrutin. Dans la région de Tombouctou, le président d’un bureau de vote a été tué par des hommes armés le 12 août.
Lors de ce scrutin, 24 candidats étaient en lice pour accéder à la magistrature suprême, contre 28 en 2013. La plupart d’entre eux ont exposé leurs visions à travers la présentation de projets de société pour faire face aux immenses défis auxquels le Mali est confronté. La participation à cet exercice, autrefois boudé, représente une avancée qu’il faut saluer, notamment dans la perspective d’un approfondissement de la démocratie.
Y a également contribué l’interdiction des pratiques publicitaires à des fins politiques et commerciales (la fourniture de tissus, de tee-shirts, d’ustensiles de cuisine, de stylos, de porte-clés et de calendriers). Néanmoins, ni l’élaboration de projets de société ni même cette interdiction n’auront suffi à susciter des débats d’idées et des confrontations de programme entre les candidats ou leurs représentants.
Malgré un paysage médiatique relativement ouvert, le débat d’idées reste le parent pauvre des processus électoraux au Mali. Cette lacune est en partie liée aux insuffisances de la loi électorale – qui ne prévoit aucune obligation de débats contradictoires entre les candidats – et à l’échec des partis politiques en matière de formation civique de leurs militants.
Le débats d’idées reste le parent pauvre des processus électoraux
La législation malienne n’encadre pas le financement et les dépenses de campagne. S’y ajoute le décalage des moyens, y compris médiatiques, entre un candidat-président et ses adversaires. L’absence de contrôle strict creuse l’asymétrie entre les candidats et favorise la collusion entre milieux d’affaires et acteurs politiques. De ce fait, cette situation réduit les engagements de lutte contre la corruption à de simples incantations.
Ce scrutin a été l’occasion de rappeler, une fois de plus, que l’argent demeure déterminant dans la conquête du pouvoir. Les trois candidats arrivés en tête lors du premier tour, à savoir Keïta, Cissé et Aliou Boubacar Diallo, sont probablement ceux qui ont dépensé le plus lors de la campagne électorale.
Dans un pays aussi vaste que le Mali (1 241 238 km2) équipé d’un réseau routier en très mauvais état, les déplacements des candidats pour aller à la rencontre de leur électorat et s’assurer le soutien de grands électeurs, tels que les autorités traditionnelles, dépendent beaucoup des moyens financiers dont ils disposent.
Selon la Cour constitutionnelle, sur un corps électoral estimé à un peu de plus de huit millions de personnes, 43,06 % ont voté au premier tour et seulement 34,42 % au second. La faiblesse du taux de participation demeure une constante au Mali, en particulier lors des scrutins présidentiels. Elle soulève des interrogations sur les limites des processus électoraux comme mécanisme de légitimation politique, en particulier dans un contexte d’insécurité croissante.
L’hivernage, les accusations de fraude et d’irrégularités portées par une grande partie des candidats à l’encontre de l’administration ont probablement contribué à la démobilisation des électeurs au second tour. Cette situation illustre surtout les dysfonctionnements du système politique malien ainsi que le fossé grandissant entre les électeurs et la classe politique.
Le Mali a besoin d’un organe unique, permanent et autonome de gestion des élections
La participation est en baisse par rapport à 2013, où les taux s’élevaient respectivement à 48,98 % et 45,78 %. Après un mandat mitigé du Président sortant et l’impression générale que l’élection de 2013 n’a pas permis de résoudre les nombreux problèmes du pays, la participation a drastiquement chuté.
Le Mali réunit l’essentiel des attributs d’une démocratie formelle, avec, entre autres, l’organisation régulière d’élections présidentielle, législatives et municipales, la séparation théorique des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et la liberté d’expression reconnue par la Constitution. C’est donc surtout l’incapacité des gouvernants à répondre aux besoins et aux attentes des populations qui est à l’origine de cette désaffection.
Au moins quatre acteurs dont la Commission électorale nationale indépendante, la Délégation générale aux élections, le Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation (MATD) ainsi que la Cour constitutionnelle sont impliqués dans le processus électoral.
Le MATD – donc le gouvernement – joue toutefois un rôle central dans le dispositif à travers l’organisation matérielle du scrutin, la centralisation des résultats provisoires et leur proclamation. Cette prépondérance de l’administration dans l’organisation des élections génère de la suspicion et donne l’impression qu’elle est au service du pouvoir qui l’a nommée.
L’impartialité de la Cour, qui examine les recours éventuels et proclame les résultats définitifs, a également été remise en cause. Compte tenu de certaines incohérences et irrégularités procédurales relevées par les observateurs nationaux et internationaux dans de nombreux bureaux de vote au nord et au centre, la rapidité avec laquelle elle a examiné les résultats a renforcé la méfiance.
Le manque de confiance dans les institutions responsables de l’organisation des élections affecte autant la crédibilité du processus que celle du vainqueur. Afin de crédibiliser davantage les scrutins futurs, d’importantes réformes sur le plan électoral seront nécessaires, notamment la création d’un organe unique, permanent et autonome de gestion des élections, l’encadrement stricte des dépenses de campagne et l’amélioration du fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Dans l’immédiat, l’abstentionnisme qui a marqué ce scrutin devrait inciter le pouvoir élu à une démarche inclusive et de rassemblement pour affronter les multiples défis auxquels le pays est confronté dont les chantiers de la paix et de la réconciliation nationale.
Ibrahim Maïga, chercheur et Khadija Maïga, chercheuse boursière,
ISS Bamako
Cet article est d’abord paru sur le site de l’Institut d’études de sécurité
Source: Le Pays