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Mali-Plan d’action du gouvernement: La course contre la montre

L’adoption le 22 février 2021 par le Conseil national de transition (CNT) du Plan d’action du gouvernement (PAG) marque une étape décisive dans la marche de la transition. Ce plan, présenté et défendu par le Premier ministre Moctar Ouane, est resté fidèle aux priorités de la Feuille de route de la Transition. Si le chef du gouvernement rassure sur l’achèvement des différentes actions dans les délais prescrits, des incertitudes subsistent quant à leur mise en œuvre intégrale au cours des 13 mois restants à la transition, dont la réussite sera inévitablement liée aux bons résultats obtenus dans chacun des axes prioritaires du plan. Du renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national à l’organisation des élections générales, la course contre la montre est engagée.

 

« Cet ensemble cohérent d’actions vise à atteindre, dans un horizon précis, des objectifs définis, avec des moyens identifiés, dans le respect du temps imparti et des équilibres macroéconomiques et financiers. La mise en œuvre du Plan d’action du gouvernement contribuera aux réformes politiques et institutionnelles nécessaires à la consolidation de la démocratie, c’est-à-dire à renforcer la stabilité des institutions démocratiques et républicaines et à améliorer la gouvernance », a annoncé d’entrée de jeu le Premier ministre Moctar Ouane le 19 février devant les membres du Conseil national de Transition.

Ce plan de 275 actions au total, dont l’exposé au CNT était fortement attendu, est basé sur 6 axes, déclinés en 23 objectifs, le tout évaluable à travers 291 indicateurs.

 

Le premier axe est centré sur le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, l’accélération du processus de DDR des combattants dans le Nord et le Centre du pays, la dissolution effective de toutes les milices d’auto-défense  et le redéploiement  des forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national sont les priorités dégagées.

L’axe sur la promotion de la bonne gouvernance s’attèlera quant à lui à des priorités telles qu’entre autres restaurer l’autorité et l’utilité sociale de l’État, à travers la fourniture des services sociaux de base, renforcer la lutte contre l’impunité, accentuer la lutte contre la corruption et rationaliser les dépenses publiques en réduisant le train de vie de l’État.

Le PAG envisage également, à travers l’axe de refonte du système éducatif, de négocier un moratoire avec les partenaires sociaux de l’éducation en mettant en place un cadre de concertation régulier.

L’axe consacré aux réformes politiques et institutionnelles se fixe comme priorités non seulement de parachever le processus de réorganisation territoriale et de réformer le système électoral, en prenant en compte les Maliens établis à l’extérieur, mais aussi d’élaborer et d’adopter une nouvelle Constitution et de poursuivre le chantier de la régionalisation.

Le gouvernement entend aussi parvenir à l’adoption d’un pacte de stabilité sociale et procéder à l’organisation des élections générales. Sur ce dernier axe,  l’élaboration d’un chronogramme pour les échéances électorales est l’une des priorités retenues.

Relecture de l’Accord et dissolution des milices

 La transition a érigé en priorité des priorités la sécurité sur toute l’étendue du territoire national, ce qui passe aussi par la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger signé en 2015. Mais, avant cette mise en œuvre, une relecture de certains passages de l’Accord, ce qui est d’ailleurs l’une des recommandations du Dialogue national inclusif de 2019, est primordiale. Le Premier ministre a affirmé que selon les échos de la dernière réunion du CSA, tenue à Kidal, toutes les parties signataires de l’Accord se sont mises d’accord pour aller vers  cette relecture. Le plan prévoit en outre d’autres concertations avec les parties prenantes sur cette question. « Aujourd’hui, compte tenu du contexte national, aller vers l’application de l’Accord en l’état est porteur d’un risque de dislocation même de l’État malien. C’est pourquoi sa relecture est nécessaire. Il faut mettre des garde-fous qui permettrons aux autorités actuelles d’aller vers l’application effective de l’Accord sans pour autant que cela ne débouche sur des velléités de conflits identitaires », relève Ballan Diakité, politologue – chercheur.

Quant à l’épineuse question de la dissolution des milices, le gouvernement de transition compte parvenir à la régler définitivement à travers certaines actions comme le renforcement du programme de réduction de la violence communautaire au Centre et au Nord, l’intensification des campagnes de sensibilisation en faveur du vivre ensemble, des rencontres inter et intracommunautaires et l’intégration des ex-combattants issus des groupes d’autodéfense.Toutefois, la dissolution de ces milices est d’autant plus délicate que le politologue – chercheur estime qu’il faudra nécessairement des préalables. « Avant de pouvoir dissoudre les milices, il faut que l’État s’assume en premier et qu’il y ait la présence des Forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire. Car à défaut on ne pourra y arriver que difficilement ».

Mise en œuvre incertaine

Globalement bien accueilli, avec l’approbation de la quasi-totalité des membres du CNT, le  plan d’action du gouvernement de transition n’en demeure pas pour autant moins  tributaire des interrogations et incertitudes relatives à sa mise en oeuvre.

Pour Oumar Z. Diarra, membre du CNT, le PAG, bien qu’ambitieux, assez complet et révélateur des intentions du Premier ministre quant à la bonne marche de la transition, comporte des zones d’ombres. « Une transition n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes dans le pays. Mais elle doit assurer et rassurer le peuple malien », glisse-t-il.

« Un gouvernement de transition dans un pays comme le Mali devrait avoir juste 3 axes stratégiques. Le 1er sur la question de la sécurité et de la défense. Le 2ème sur  la moralisation de la vie publique et le 3ème sur l’organisation d’élections crédibles et transparentes, avec un plan de sécurisation du processus électoral et un calendrier bien structuré », affirme le politologue Dr. Bréhima Mamadou Koné. Pour ce dernier, le plan d’action du gouvernement s’apparente à un programme décennal pour un pays stable et, pour le Mali, assujetti à une crise multidimensionnelle, la mise en œuvre d’un tel programme peut s’étaler sur 15 ans.

Les moyens financiers et humains dont dispose le gouvernement et sa capacité à réaliser toutes les actions programmées sont également au cœur des préoccupations. Même si le chef du gouvernement assure que le coût du plan d’action représente la majeure partie du budget national, au regard de son extension à l’ensemble des domaines, et sera complété par l’apport des partenaires techniques et financiers, « comme cela se fait habituellement ».

« Pour tous ces axes, l’État dispose déjà des ressources nécessaires pour ce faire, puisque cela a été budgétisé. Cela ressort clairement dans la loi de finances en cours », précise Moctar Ouane, pour lequel le plan d’action n’est pas plus ambitieux que ne l’est la Feuille de route de transition à partir de laquelle il a été élaboré. C’est pourquoi, à l’en croire, le gouvernement, malgré tous les défis que cela représente, mettra tous les moyens qu’il faut pour atteindre des résultats à hauteur de souhait. Même s’il reconnait que le Premier ministre a une certaine volonté de faire bouger les lignes, Dr. Bréhima Mamadou Koné pense qu’il n’a pas en main les véritables leviers du pouvoir pour conduire l’ensemble des actions qui sont inscrites dans son plan.

Tenable dans le temps ?

Pour certains analystes, il sera difficile que toutes les actions que contient le PAG soient effectives dans les 13 mois restants pour la durée de la transition. « C’est pratiquement impossible. C’est pourquoi il est important pour le Premier ministre de faire encore un tri des objectifs pour faire ressortir parmi l’ensemble de ceux énoncés les plus prioritaires », proclame Ballan Diakité.

Il craint par ailleurs qu’à défaut de vouloir appliquer le plan en l’état, le gouvernement ne se retrouve face au dilemme de la nécessité d’appliquer d’une part le plan dans son intégralité et de l’autre de l’exigence de respecter impérativement le délai imparti.« Dans ce cas de figure, soit le gouvernement de  transition sera obligé de dépasser les 18 mois énoncés pour  appliquer ce plan d’action en intégralité, soit il va vouloir coûte que coûte respecter le délai et il n’exécutera peut-être que la moitié de ce qui est prévu », ajoute-t-il.

Par ailleurs, pour l’analyste politique Boubacar Bocoum, l’éventualité d’une prolongation de la transition au-delà des 18 mois initiaux, compte tenu de la multitude d’actions déclinées dans le plan d’action du gouvernement n’est pas à exclure, même si pour lui la question fondamentale réside ailleurs. « Que la transition soit prolongée ou pas, c’est le contenu réel qu’on y met qui est le plus important. Aujourd’hui, les axes qui sont déclinés dans le plan et leur faisabilité objective par rapport à la méthodologie à mettre en place, ce n’est pas clair. Jusque-là, nous sommes  dans des déclarations d’intentions. Le chronogramme réel et la manière dont on veut s’y prendre ne sont pas définis et l’échec peut venir de là », s’insurge celui qui croit que le timing n’est pas essentiel dans ce genre d’exercice, mais plutôt ce qui est fait concrètement.

Pour sa part, le politologue Bréhima Mamadou Koné est catégorique : « le programme que le Premier ministre a présenté prouve à suffisance qu’il y a des intentions inavouées des autorités de la transition d’aller à une prolongation ». « Cela risque de résulter sur des rapports de forces assez conséquent au sommet de l’État et de conduire à une autre crise institutionnelle », craint-il.

Mais, comme pour rassurer tout le monde, Moctar Ouane persiste et signe. « Nous allons mettre les bouchés doubles pour que tout cela se passe dans les règles de l’art. Nous resterons totalement chevillés à ce programme », assure le Premier ministre, rappelant que le Président Bah N’daw a déjà très clairement annoncé son intention de respecter la durée de la transition, qui a été fixée à 18 mois.

 

Germain Kenouvi

Source : Journal du Mali

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