Mon poste de Secrétaire Général de la FEPACI (Fédération Panafricaine des Cinéastes), m’oblige à un devoir de réserve. Mais l’appel irrespectueux et inacceptable d’Emmanuel Macron à nos chefs d’État me fait sortir de cette réserve. Impossible de faire autrement.
Monsieur le Président de la République française,
Vous vous offusquez des voix africaines qui s’élèvent contre votre Etat dans la partition qu’il joue dans la tragédie que les populations du Sahel vivent. Vous exigez de vos homologues africains qu’ils fassent taire ces voix, au moment où l’expression plurielle des Français se fait entendre dans vos rues contre votre politique. Cette liberté chèrement acquise par le Peuple de France vous contraint au dialogue avec la société civile. La société civile africaine selon votre philosophie de ce continent ne mérite que la chicotte comme sous le colonialisme. Et devant vos contradictions et vos conflits avec vos Pairs de l’OTAN à Londres vous trouvez une échappatoire en déversant votre courroux sur le Sahel pour vous donner une image de chef.
« L’habitude coloniale française a été préservée » dixit le député Jean Paul Lecoq dans son intervention à l’Assemblée Nationale française. Et pourtant M. le Président vous avez eu une belle occasion à la cérémonie d’hommage du 2 décembre pour appeler avec élégance à une réunion de mise au point ou plus simplement en parler avec votre homologue du Mali IBK présent à ladite cérémonie.
Monsieur Le Président,
Nos voix s’élèvent contre la politique de l’Etat français parce que le doute est permis sur sa sincérité à nous aider à sécuriser nos pays dans leur intégrité territoriale et leur souveraineté.
Chaque jour que Dieu fait renforce ce sentiment de doute depuis le jour où Kidal violé, martyrisé et enfin libéré pour employer les mots du Général De Gaulle à la libération de Paris en 1944, fut fermé aux Forces Armées du Mali, à l’Etat et livré aux rebelles et à leur mouvement, le MNLA qui avait été totalement défait et éparpillé au Burkina Faso et en Mauritanie. Vous n’êtes pas sans savoir que dans ce même Kidal, votre compatriote Christophe Sivillon représentant la Minusma s’est particulièrement distingué au Congrès du MNLA où il n’aurait pas dû se trouver. Son discours mensonger, militant pour le MNLA est une insulte à la souveraineté de notre pays.
Quelles autres preuves vous voulez ?
vle 26 janvier 2012, 2 jours après le massacre de 100 soldats à Aguelhoc par le MNLA allié aux terroristes d’Ansar Eddine de Iyad Ag Aly, le Ministre des Affaires Étrangères Alain Juppé déclare sur Europe 1 Je cite; « Le MNLA est en train d’enregistrer des succès éclatants sur le terrain ». La France de Sarkozy n’a pas dénoncé ce massacre.
vJean Yves Le Drian, ministre de la Défense, a dit sans ambages en 2013, je cite: « Je le dis pour aujourd’hui et pour demain, les touareg sont nos amis ».
vLes visas d’entrée en France sont ouverts à toutes leurs demandes. L’Assemblée Nationale française invite et reçoit une délégation du MNLA reçu plus tard par le Parlement européen.
vLes nombreux massacres au Burkina Faso, au Mali et au Niger sans aucun soutien de Barkhane au moment de l’attaque étonnent quand on sait les possibilités qu’une puissance comme la France peut avoir en ces temps de nouvelles technologies.
Mais qu’à cela ne tienne. Nos chefs d’État semblent avoir décidé d’aller à Pau où le risque d’une mobilisation des familles des soldats français morts au Mali est grand. Nous vous mettons en garde contre une telle éventualité tout comme nous ne nous opposons pas à ce voyage de nos Présidents parce que nous savons ce dont est capable l’Etat français revanchard. Nous avons en mémoire la politique de la terre brûlée en Guinée Conakry en 1958 après le NON historique de Sekou Touré. Tout y avait été détruit.
Nous attendons de nos Présidents de poser clairement les points suivants :
1.Vous libérez Kidal comme dit
2.Vous vous expliquez sur votre refus de nous communiquer les attaques depuis leur préparation. Vous avez les outils technologiques par satellite et avec des drones pour une surveillance de tout le Sahel au mètre carré près.
3.Vous enlevez vos hommes de la gestion de la Minusma. Christophe Sivillon vient de nous éclairer sur votre parti pris. Parce que, plus que l’habitude coloniale française dénoncée par le député Jean Paul Lecoq, c’est « l’habitus colonial », une disposition d’esprit faite de complexe de supériorité et de mépris souverain à l’égard de peuples dominés, exploités par le colonialisme français, qui est ancrée, cultivée et entretenue depuis des lustres au sein de la classe dirigeante française. Vous revendiquez cet héritage car nous constatons que vous ne ratez aucune occasion pour le vivifier – par plaisir et par devoir. Le show de Londres et c’est bien le cas, malgré le respect que je vous dois, en est un exemple. Il a été précédé d’un autre à l’Université de Ouagadougou et ailleurs sur les femmes africaines. Qui ne se rappelle pas de la sortie de Sarkozy à Dakar ?
4.Vous devez respecter l’Afrique qui est si humaniste, tolérante, respectueuse et fidèle .
Monsieur le Président,
Les dirigeants français et européens manquent-ils d’intelligence ? Ils ne comprennent pas le mieux qu’ils peuvent tirer de bonnes relations avec notre continent assurément le plus riche et le plus proche de vous par la culture et la distance. Vous avez les finances, la science et les technologies dont nous avons besoin. Nous avons les ressources humaines (70% de nos populations ont moins de 35ans), la terre, l’eau et d’énormes potentialités dans le sous sol toutes choses qui font de notre continent le coffre fort du monde.
Comment ne pouvons-nous pas coopérer dans des échanges mutuellement avantageux et dans le respect de l’un et de l’autre. Nous ne sommes plus en 1885. Vous voulez le beurre et l’argent du beurre. Vous ne voyez même pas que nos Peuples sont debout sur les remparts pour leur liberté et pour la démocratie qui suppose des droits.
Nous attendrons nos Chefs d’État pour juger de leur patriotisme et pour juger de la sincérité de la France. Et les Peuples du Sahel qui sont entrain de se mettre ensemble décideront de l’avenir de nos relations et de l’avenir de nos pays.
Très haute considération.
Cheick Oumar Sissoko