Il y a quelques jours, se tenait à Lyon, en France, la 6e Conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose. Le Fonds a atteint son objectif : récolter 14 milliards de dollars, pour mener ses programmes pendant les trois prochaines années. Sur la dernière période, plus de 70% des ressources étaient destinées à l’Afrique. Pour les associations, ces fonds sont essentiels. Le docteur Bintou Dembélé, directrice exécutive de l’ONG Arcad-Sida Mali, parle même d’une question de vie ou de mort, pour les populations africaines. Son organisation est active depuis plus de 10 ans, dans la lutte contre le Sida au Mali, et pour l’accès des malades aux traitements. Elle est notre invitée.
RFI : Qu’est-ce que c’est, vivre avec le sida au Mali, aujourd’hui ?
Bintou Dembélé : Mon pays est un pays de faible prévalence, 1,1%, mais les personnes les plus affectées sont les personnes les plus vulnérables. Ce sont les personnes marginalisées, parce qu’elles sont les populations clés qui sont aujourd’hui plus infectées que la population générale. Donc cet argent va contribuer à nous aider – organisations de la société civile – à mettre en place des stratégies innovantes pour accéder à ces personnes qui sont les plus concernées aujourd’hui par la maladie dans mon pays.
Vous, associations, vous faites quelque chose. Le Fonds mondial aussi. Est-ce que l’État fait sa part ?
Je pense qu’aujourd’hui on peut dire que tout le monde s’y met un peu. Nous, organisations de la société civile, souhaitons que nos États s’investissent davantage, parce que nous n’avons pas encore atteint les 15% alloués à la santé, dans mon pays. Donc j’exhorte les leaders de mon pays – les dirigeants de mon pays – à atteindre cet objectif-là. Le Fonds mondial reste une contribution importante, je l’avoue, mais cela reste une contribution. Donc nous devons tout faire pour aider le Fonds mondial à nous aider.
Quelles actions menez-vous avec votre association ?
Mon association est une association de lutte contre le sida qui est vraiment investie dans l’accès aux soins. Nous avons mis en place des unités de prise en charge. Nous en avons seize actuellement pour accompagner le ministère de la Santé. Et ces seize unités arrivent à distribuer les médicaments antirétroviraux à environ 25 000 patients infectés par le VIH-sida au Mali. Donc mon ONG est vraiment un partenaire stratégique du ministère de la Santé pour aider à ce que davantage de Maliens puissent avoir accès aux traitements antirétroviraux.
De quoi avez-vous le plus besoin ?
Aujourd’hui, nous avons plus besoin, déjà, d’être financés pour la continuité des services. La subvention actuelle s’arrête à la fin de l’année 2020. Donc il est indispensable que nous ayons nos subventions du Fonds mondial, pour continuer ce que nous savons faire depuis plus de dix ans. Il est aussi essentiel que l’État nous accompagne dans ce processus-là. Le rêve, pour nous, serait qu’il y ait un budget d’État qui accompagne le budget du Fonds mondial, pour que nous ayons un système de santé communautaire renforcé et résilient.
Depuis plus de dix ans, qu’est-ce qui a changé ?
Nous avions au début une séroprévalence de 1,7. Maintenant, nous avons une surprévalence de 1,1. Malheureusement, l’épidémie reste concentrée auprès des populations les plus marginalisées. Et c’est vraiment le défi que nous devons relever. Ce défi-là, je pense que c’est avec les organisations de la société civile que nous sommes, que nous arriverons vraiment à toucher ces populations d’accès difficile.
Comment on touche ces populations ?
Je pense qu’aujourd’hui nous travaillons avec les personnes bénéficiaires elles-mêmes. Nous avons mis en place des cliniques de santé sexuelle. Il y a une clinique de santé sexuelle à Bamako et dans quatre régions du Mali. Il y a Mopti, Ségou, Sikasso et Kayes. Les personnes les plus marginalisées – que ce soit les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes que ce soit les professionnels du sexe, que ce soit les personnes usagères de drogues – nous arrivons à les voir, à les aider à sortir un peu de la clandestinité pour les dépister et les traiter. Je pense que c’est essentiel pour que l’épidémie s’arrête. Parce que – si l’on remarque bien – qui est le client de la travailleuse du sexe ? Cela vient de la population générale. Qui est le partenaire sexuel d’une personne usagère de drogues ? Cela se trouve dans la société, dans la population générale. Nous savons aussi que, la plupart dans 60% des cas, selon une étude, les personnes homosexuelles sont aussi bisexuelles. Donc ils ont aussi des partenaires féminins. Il est indispensable que personne ne soit laissé de côté et qu’enfin que nous puissions gagner la fin de la lutte contre le sida d’ici 2030.
Comment fait-on pour changer le regard de la société, pour faire diminuer les discriminations ? Est-ce que vous avez vu au cours des dernières années une évolution des mentalités ?
L’évolution des mentalités, je l’avoue, est très lente. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, dans mon pays, les associations de personnes vivant avec le VIH Sida ont donné un visage à la lutte contre le sida. Parce qu’il y a des personnes qui ont témoigné pour dire, pour affirmer leur séropositivité sur les antennes et de façon publique. Donc je pense que cela a un peu fait avancer les mentalités. Mais c’est loin d’être fini. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous avons un contexte social, culturel, religieux, très peu tolérant pour ces populations, qui sont les populations marginalisées.
Le Mali connaît une situation d’insécurité depuis plusieurs années. Est-ce que vous sentez ces répercussions sur votre secteur à vous ?
Bien sûr. Parce que les personnes qui viennent investir au Mali ne viennent plus au Mali. Donc nous, organisations de la société civile, nous avons directement cet impact-là sur nous. Parce que, si personne ne vient investir dans notre pays, cela veut dire que nous, qui sommes dans la communauté, nous n’allons rien avoir. Donc nous sentons cet impact-là. C’est pourquoi nous pensons que la crise sécuritaire et la lutte contre le VIH-sida sont un peu liées, d’une certaine façon.
RFI