uestafnews – Les magistrats maliens, qui observent une grève depuis le 31 août 2018 ont fini par paralyser l’ensemble de la justice du pays. Parmi les conséquences les plus visibles de cette grève, le report des législatives dont le 1er tour était initialement prévu le 28 octobre 2018 avant d’être reprogrammé pour le 25 novembre 2018.
La raison invoquée pour le report de ce scrutin est la non disponibilité pour les candidats de certains documents administratifs délivrés par la justice pour composer leur dossier de candidature. Selon le ministre malien de l’Administration territoriale, Mohamed Ag Erlaf, il s’agit du certificat de nationalité et du casier judiciaire qu’on ne peut pas avoir présentement à cause de la grève illimitée des magistrats.
Malgré ces perturbations du calendrier électoral, les magistrats campent toujours sur leur position, et le gouvernement peine à les convaincre de reprendre le travail.
Parmi les principales revendications des magistrats, figure la «revalorisation» de leurs salaires, un point sur lequel ils ne comptent pas céder.
«L’année dernière (…), le gouvernement nous a accordé quelques avantages financiers et il était écrit que le reste de nos prétentions financières sera examiné lors de la relecture du statut de la magistrature», confie Mamoudou Kassogué, Secrétaire général du Syndicat autonome de la magistrature (SAM) dans un entretien accordé à Ouestafnews.
Cette relecture du statut des magistrats a été par la suite validée par le gouvernement et le texte devrait, en principe, être transmis à l’Assemblée nationale, selon le secrétaire général du SAM.
«Il était prévu que le document soit déposé sur la table des députés le 31 mai 2017, mais cela a traîné. Nous avons relancé plusieurs fois mais le travail n’a pas été fait», souligne le syndicaliste.
Pour Kassogué, le fond du problème résulte d’une promesse non tenue de l’Etat qui veut aujourd’hui adopter le nouveau statut sans la nouvelle grille salariale.
Pendant les deux mois de grève, le pays a organisé un scrutin présidentiel qui a vu la réélection d’Ibrahim Boubacar Keita. Les deux syndicats de la magistrature au Mali – le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLIMA) font un tir groupé sur le gouvernement depuis. Et ils ne comptent pas lâcher prise, affirment-ils.
Le 18 septembre, ces deux syndicats ont refusé les propositions de Tiéna Coulibaly, nouveau ministre de la Justice qui leur demandait de suspendre la grève, en attendant que le gouvernement trouve des solutions.
«Le nouveau ministre nous a demandé de reprendre le travail sans conditions et qu’il allait voir, au niveau du gouvernement, ce qu’il peut trouver pour nous», souligne M. Kassogué, non sans qualifier d’« injurieux » les propos du ministre.
Pour le secrétaire général du SAM, il n’est pas question de voter le nouveau statut sans la nouvelle grille salariale.
«Ce que nous avions obtenu avec le ministre Konaté (prédécesseur de M. Coulibaly au ministère de la justice), a tout d’un coup été renié par le gouvernement», explique Hady Macky Sall, président du SYLIMA, cité par RFI au sortir de la rencontre avec le ministre de la Justice.
Toutefois, le gouvernement qui ne s’est pas beaucoup exprimé sur cette affaire, a décidé d’opérer une retenue sur salaire à partir de septembre 2018. Ouestaf News a tenté en vain d’avoir une réaction officielle du gouvernement à travers M. Samby Touré du service de communication de la présidence.
Nous avons tenté en vain d’obtenir une réaction officielle du gouvernement par l’intermédiaire de son service de communication
Ce n’est pas la première fois que les magistrats maliens observent un mouvement d’humeur . En janvier 2017, une grève illimitée avait été déclarée pour exiger, là aussi, une revalorisation salariale.
Un article produit par Africa Check montre que le magistrat malien est financièrement moins bien loti que ses collègues de la sous-région.
«C’est inacceptable que l’on perçoive la moitié du salaire du magistrat nigérien débutant qui est de 700.000 FCFA environ (…). Au Mali, il faut 16 ans de carrière pour toucher 500.000 FCFA à la fin du mois », expliquait Dramane Diarra, le chargé des relations extérieures du SAM, cité par Africa Check.
Atteintes aux droits de l’homme ?
Aujourd’hui, aux doléances financières se sont ajoutées des exigences sécuritaires au regard de la situation chaotique qui règne dans le nord et aussi le centre du Mali.
Les syndicats rappellent, à cet effet, le cas de Soungalo Koné, le président du Tribunal de Niono à Ségou, qui n’a plus donné signe de vie, après avoir été enlevé à son domicile, le 16 novembre 2017. Une situation qu’ils imputent au gouvernement.
Cette grève, qui dure depuis deux mois, suscite l’inquiétude des organisations de défense des droits de l’Homme.
Le président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), Me Malick Coulibaly, est d’avis que cette grève « impacte négativement sur la situation des droits de l’homme ».
«Dans les unités de police et de gendarmerie, des gens sont gardés à vue. Ils ne peuvent pas être déférés et on ne peut pas non plus les mettre en liberté au regard des faits qui leur sont reprochés (…). Il y a des comptes bancaires qui sont bloqués par ce que il n’y a pas d’audience de référé pour la mainlevée des saisies », a regretté le président de la CNDH dont les propos ont été largement relayés par la presse en ligne malienne.
«Nous sommes sensibles à ces inquiétudes. Mais en réalité, nous en amputons l’entière responsabilité au gouvernement qui n’a pas respecté ses engagements et nous a obligés à nous mettre en grève », a réagi M. Kassogué.
MN/on/ad