ENTRETIEN. Ancien Premier ministre du président IBK, Moussa Mara s’est confié au « Point Afrique» sur les événements en cours dans son pays.
Toujours égal à lui-même. Moussa Mara a été le plus jeune Premier ministre nommé par le président Ibrahim Boubacar Keïta, à tout juste 39 ans. Mais l’expérience aura été de courte durée, neuf mois seulement jusqu’à l’épisode de Kidal. Les Maliens s’en souviennent certainement plus que les autres. Kidal est une ville du nord du Mali, tombée au début de la guerre, en 2012, sous la coupe des rebelles touareg puis des djihadistes. Malgré l’intervention française en 2013, puis celle des Nations unies, ce grand désert est resté un carrefour pour tous les types de trafics, entre le Niger et l’Algérie. Jusqu’en 2014, ce territoire qui restait interdit à l’armée malienne et aux militaires internationaux, Moussa Mara voulait en faire un symbole de la reconquête du pouvoir politique. Ce fut un échec. Son voyage à Kidal ce 17 mai 2014 a occasionné la mort de plusieurs préfets et de militaires. Au retour, Moussa Mara démis de ses fonctions prend ses distances avec IBK. Ces deux-là ne se sont plus jamais côtoyés. C’est d’une voix sereine que cet opposant à la tête du parti Yéléma et élu de Bamako a répondu aux questions du Point Afrique.
Le Point Afrique : Comment réagissez-vous aux derniers événements qui ont précipité la démission du président IBK ?
Moussa Mara : D’abord, il faut condamner ce coup d’État parce qu’un coup d’État est un acte condamnable qui mérite d’être condamné pour tout démocrate qui pense que le pouvoir doit être dévolu à la suite des suffrages des élections.
Ensuite, permettez-moi de constater que le président a démissionné, quelles que soient les conditions dans lesquelles il a démissionné, c’est un fait qui ouvre des perspectives pour une transition.
Et notre exigence est qu’il y ait une transition inclusive qui puisse nous permettre de rétablir l’ordre constitutionnel le plus rapidement possible.
Est-ce que vous ne pouvez pas condamner avec un peu plus de force ce qui vient de se passer ?
Je ne sais pas ce que vous appelez condamner avec plus de force, mais au sein de Yéléma nous avons condamné dès le jour même cet acte et pris position dans toutes nos communications. Maintenant, il faut que le pays avance.
N’est-ce pas aller trop vite en besogne que d’évoquer la transition alors que la communauté internationale s’est prononcée pour un retour à l’ordre institutionnel ?
Les militaires qui ont pris le pouvoir l’ont fait dans un contexte de crise particulier. La situation était déjà très compromise et cela depuis très longtemps. À partir de là, la transition doit être à la fois inclusive et civile. Les militaires l’ont confirmé.
Ce coup d’État a été mené par des officiers supérieurs de l’armée qui savent que le contexte actuel dans le monde et sur le continent africain en particulier ne leur permet pas de s’installer durablement au pouvoir. Ça n’existe nulle part. Je ne vois pas en Afrique dans ces cinq ou dix dernières années un pouvoir militaire qui s’est installé, et ça sera de moins en moins le cas. Donc le pouvoir sera transmis aux civils très rapidement.
Déjà en 2012, lors du précédent coup d’État, le pouvoir a été transmis aux civils avant même la tenue des élections présidentielles et législatives, même si la présence des militaires a été plus longue que prévu et plus visible. Aujourd’hui, il s’agit de faire un transfert de pouvoir aussi vite que possible avec un cadre organisationnel de la transition que les Maliens doivent définir de manière complètement souveraine.
La Cedeao, qui sera sur place samedi 22 août, a demandé la libération et le retour au pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta…
Très sincèrement, la Cedeao est dans son rôle. Elle a des textes, elle a un protocole de bonne gouvernance et de démocratie, des protocoles additionnels complètent son arsenal, c’est normal. Maintenant, après avoir condamné, après avoir pris toute une batterie de sanctions, la Cedeao va quand même venir au Mali et discuter avec les forces vives maliennes. Et nous allons échanger et définir quelle est la meilleure stratégie pour retrouver cet ordre constitutionnel que nous, Maliens, devons chercher.
La communauté internationale qui est sur le terrain pour combattre le terrorisme n’a-t-elle pas son mot à dire ?
J’ai beaucoup apprécié la réaction de la communauté internationale, depuis les Nations unies jusqu’à l’Union européenne, l’Union africaine et des pays comme la France qui connaissent bien les réalités du Mali. J’ai particulièrement apprécié la prise de position du président français qui a dit que le coup d’État était condamnable, mais aussi qu’il faut désormais que les Maliens se réunissent entre eux et définissent de manière souveraine les termes de la transition. Nous sommes sur la même ligne.
Les Maliens ont bien compris que ce qui vient de se passer concerne au-delà de leur pays, le Sahel, la sous-région et la communauté internationale avec son implication sur le terrain. Donc nous devons agir en connaissance de cause et très rapidement pour remettre l’État sur les rails pour enfin s’attaquer aux vrais défis de l’insécurité, du terrorisme, de l’unité nationale, il faut que toutes ces luttes puissent être menées de manière efficace. Mais sans un État droit et géré correctement avec le soutien des Maliens, rien ne sera possible.
Les Maliens sont conscients de cela et je pense que les autorités militaires aussi.
Ce coup d’État remet-il en question la présence de l’opération Barkhane ?
Je ne pense pas que ce soit le souhait de la majorité des Maliens, il y a toujours une partie bien sûr qui exprime un sentiment antifrançais très développé, mais la majorité des Maliens comprennent quand même que l’opération Barkhane est une opération que le Mali a souhaitée. C’est une opération qui nous aide à renforcer nos propres dispositifs. Donc nous avons encore besoin de la présence de la communauté internationale dans sa diversité et nous sommes conscients que nous devons faire des efforts pour nous remettre à niveau rapidement au niveau de nos forces armées et de sécurité afin de pouvoir prendre le relais totalement et de manière souveraine, mais ce n’est pas encore le cas.
Ce départ du président IBK, s’il est définitif, représente-t-il une opportunité pour vous ?
C’est d’abord une opportunité pour le Mali, qui peut de nouveau imaginer établir les conditions d’une certaine refondation. Il est connu que les transitions sont toujours propices aux réformes les plus profondes. Et celle-ci n’est pas différente, elle va nous permettre de définir un cadre de réforme multidimensionnel : en matière électorale, en matière de gouvernance, il nous faut également des réformes par rapport aux questions de sécurité.
C’est une chance pour le Mali et c’est une chance pour nous, évidemment.
Mais vous étiez aux affaires en 2014, pourquoi n’avez-vous pas mené ces réformes ?
J’étais en poste au tout début, pendant 9 mois sous l’égide d’un chef d’État qui était, lui, aux affaires principalement. Au Mali, le Premier ministre est un outil du président. Pour résumer, si ce dernier et son chef de gouvernement ne sont pas d’accord, les projets ne se font pas, tout simplement. Je dirai que j’ai manqué et de temps et de possibilités, je n’avais pas de marge de manœuvre pour faire tout ce que je voulais faire. C’était il y a 7 ans ou 6 ans. Je pense qu’il faut ouvrir une nouvelle page avec un rajeunissement de la classe politique ainsi que des forces de sécurité et de défense avec un nouvel état d’esprit pour remettre le Mali sur le droit chemin. Nous avons un grand défi, mais je pense que nous allons tous réussir.
Le Mali n’en a donc peut-être pas fini avec les coups d’État…
Je le concède, un quatrième coup d’État en 60 ans d’indépendance, avec un 4e président qui est renversé sur les cinq que nous avons eus, c’est un triste record pour le Mali. Ce qui vient de se passer au Mali est une défaite pour nous tous. Les facteurs propices à ce coup d’État étaient présents depuis des mois, voire des années. Sous cet angle, le coup d’État devient une conséquence et non la cause de l’instabilité. Nous devons maintenant nous pencher sur ces facteurs, les identifier et les combattre.
Qu’est-ce que cela dit des institutions du pays ?
Il faut des institutions plus fortes qui permettent d’assurer une gestion vertueuse du pouvoir avec peut-être des dispositifs pour obliger le président élu à tenir compte des critiques. On peut à l’avenir penser à mettre en place des textes institutionnels pour démettre un président sans justement passer par cette phase de coup d’État. Tout ça passe par la bonne gouvernance. Le Mali est justement en train de s’inventer un nouveau destin, cette question sera au cœur des discussions.
Dans ce destin qu’est en train de réaliser le Mali, quelle place auront les leaders religieux comme l’imam Dicko ?
L’imam Dicko l’a déjà dit, il retourne dans sa mosquée, s’occuper de ses fidèles, comme il l’a toujours fait. Mahmoud Dicko tout comme les autres religieux de manière générale sont des thermomètres, c’est-à-dire que quand la situation est mauvaise, ils ont toute la latitude pour s’exprimer, et ça a toujours été comme ça. C’est au président d’être exemplaire, de travailler dans l’intérêt du peuple. Je peux vous assurer que si le président va dans ce sens, les imams resteront dans leurs mosquées, l’imam Dicko compris.
Propos recueillis par Viviane Forson
Le Point.fr