La signature d’un accord de paix à Alger, en mai 2015, a permis de contenir les hostilités entre le gouvernement de Bamako et les groupes armés du nord, signataires ou non du texte. Cependant, ce pacte, loin de ramener la tranquillité dans la région, risque de tomber dans l’oubli, ce qui replongerait le pays dans l’embrasement. Certains observateurs parlent déjà d’un texte « en voie d’être caduc », car il n’y a aucune avancée significative dans le processus. Des mesures importantes, censées être prises durants le premier semestre qui a suivi cette signature, n’ont toujours pas vu le jour. En attendant, les différents acteurs se renvoient la responsabilité de l’inertie dans l’application de l’accord.
Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qui en est à son second mandat, a multiplié depuis six ans les rencontres, conférences, consultations et autres initiatives, pour des milliards de francs CFA, sans aboutir à des résultats pertinents et efficaces sur le terrain. Les nombreux changements de Premier ministre (cinq fois, au total) en disent long sur l’incapacité à contenir la situation politique et sécuritaire d’un pays qui est gangréné par une corruption galopante depuis de nombreuses années.
Une profonde corruption
Un rapport commandé par les bailleurs internationaux du Mali, publié par le Canada, fin 2018, épingle ainsi les autorités maliennes pour 741,5 milliards de francs CFA, (1,13 milliard d’euros, soit 44% de l’aide au développement annuelle allouée au pays) dépensés de manière irrégulière – fraude ou mauvaise gestion des ressources publiques; ce chiffre a été obtenu par une compilation des irrégularités financières constatées chaque année par le Bureau du Vérificateur Général du Mali, l’organe chargé de réprimer la fraude et les malversations.
Selon l’ONG Transparency International, 71 % des personnes questionnées au Mali, en 2019, estiment que leur gouvernement ne fait pas un bon travail en matière de lutte contre la corruption. A la mi-juillet, est venue s’y ajouter une déclaration très remarquée de Dietrich Becker, ambassadeur d’Allemagne au Mali qui vient de quitter ce poste, à un journal malien: « Je n’encouragerais pas un Allemand à investir au Mali, vu l’état de corruption de la justice ».
Train de vie somptuaire, face à la misère
Les Etats qui assistent le Mali, d’une manière inédite, depuis la crise de 2012, semblent excédés par ces malversations, alors même qu’il n’y a aucune avancée ni en matière de bonne gouvernance, ni pour l’octroi des services minimums de base aux citoyens, ni pour le retour de la paix. Si l’aide au développement devait être coupée – ce qui a été le cas, il n’y a pas si longtemps, pour une partie de l’enveloppe allouée par l’Union Européenne – ce sont les citoyens qui en paieraient les plus lourdes conséquences.
Alors qu’une minorité citadine gravitant autour du pouvoir déploie un train de vie somptuaire, face à une majorité de Maliens vivant parfois dans le dénuement total, l’ordonnancement du programme de suivi de l’application de l’Accord, avec son lot de sessions ordinaires et extraordinaires, rencontres et décisions restées lettres mortes sur le terrain, ressemble de plus en plus à un trompe l’œil, destiné à diluer le temps et justifier, aux yeux du citoyen mais surtout ceux des bailleurs internationaux, les dépenses colossales consenties.
La jeunesse touarègue désabusée
Ce processus semble avoir eu raison des espoirs d’une jeunesse touarègue désabusée. Après avoir misé sur « les mouvements de l’Azawad » qui brandissaient l’esprit « de Révolution » dans « l’intérêt » du peuple touareg, force est, pour elle, de constater aujourd’hui que, loin d’avoir obtenu des progrès, le peuple touareg est affaibli par les années de rébellion. Les appartenances à tel ou tel groupe armé, affilié à telle ou telle tribu, polarisent les rivalités. Les désirs de monopoliser la représentativité ont exacerbé les dissensions. Les nouveaux leaders, propulsés par les rebellions, sont constamment à couteaux tirés et la situation est susceptible de dégénérer n’importe quand. Il n’y jamais eu autant de morts touaregs que dans le sillage des rebellions.
Sous les auspices d’une Communauté Internationale, plus silencieusement conciliante qu’agissante, la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et le gouvernement malien se rejettent tour à tour la responsabilité de l’immobilisme qui entrave l’application de l’accord et le retour de la paix.
Le subtil retour des groupes terroristes
L’apparition « d’une question Peulh » au centre du pays a fait passer le nord au second plan: le phénomène jihadiste, qui y a débuté, a pris racine dans la région de Mopti (centre), où les communautés Peulh et Dogon, sur fond de communautarisme teinté d’idéologie religieuse, se font justice elles-mêmes, l’administration ayant déserté les lieux.
Cette situation, explosive, aussi bien au centre qu’au nord, a permis aux groupes terroristes, non signataires de l’accord, de réoccuper le terrain, de manière beaucoup plus subtile qu’en 2012, pour l’administrer, – d’une certaine façon – à la place de l’État absent. Ainsi, les populations délaissées qui vivent dans les coins les plus reculés prêtent-elles allégeance aux forces armées présentes – jihadistes , laïques ou milices – pour assurer leur sécurité et leur survie, au quotidien.
Source: lalibre.be