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Mali : « il est urgent que les décideurs, analystes et autre membres de la société civile s’interrogent sur cette multiplication de bases militaires occidentales à travers leurs pays respectifs » .

Tout le Sahel, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Niger, est affecté par le terrorisme, malgré une présence massive de Casques bleus et la mise sur pied d’une force multinationale régionale (G5-Sahel), appuyée par la force française Barkhane ainsi que par l’armée américaine l Abdelkader Abderrahmane, analyste, consultant géopolitique et enseignant universitaire, explique pourquoi le plus dur est à venir dans cette partie de l’Afrique. –

 

Au nom de la lutte antiterroriste, 4500 soldats français de l’opération Barkhane auxquels il faut ajouter les 13 000 Casques bleus de la Minusma sont déployés au Sahel depuis 2013. On y compte aussi la présence de forces d’autres pays, comme celles des Etats-Unis. Malgré l’importance des moyens engagés, l’insécurité ne recule pas dans la région.

Les attaques terroristes sont presque quotidiennes au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Peut-on parler d’enlisement ou d’échec de la stratégie de lutte antiterroriste qui y est mise en place ?

Parler d’échec aujourd’hui pourrait paraître prématuré.

Mais encore faudrait-il s’accorder sur le terme d’échec !

L’histoire récente en Irak et en Afghanistan nous enseigne que la force militaire, qui plus est, émanant de l’extérieur, n’est nullement la réponse adéquate aux problèmes sécuritaires et terroristes.

Sinon, comment expliquer ces attaques récurrentes et la mort récente de 49 soldats maliens, lors de l’attaque d’Indelimane ainsi que celle, quelques jours plus tard, d’un convoi minier au Burkina Faso lors de laquelle 37 civils ont été tués ?!

Ceci dit, il ne fait aucun doute que les forces militaires en action au Mali et au Sahel dans leur globalité sont dans une situation d’enlisement dont on ne voit pas la fin.

A cet égard, il faut souligner que cet enlisement avait été annoncé par certains analystes au fait de la région et dont je fais partie, avant même l’opération Serval de janvier 2013.

 

– Comment expliquez-vous que près de 20 000 soldats étrangers ne parviennent pas à venir à bout de 3000 terroristes ? Pourquoi, selon vous, la communauté internationale n’arrive pas à pacifier la région et particulièrement le Mali ? Cela s’explique-t-il uniquement par le caractère asymétrique du conflit et l’importance du théâtre de crise ?

Encore une fois, l’Irak et l’Afghanistan sont là pour nous rappeler que la guerre contre le terrorisme ne se mène pas et surtout ne se gagne pas seulement avec des armes et des Mirage 2000.

Comme vous le soulignez, nous assistons à une guerre asymétrique dans laquelle les terroristes semblent avoir toujours un temps d’avance. Et malgré les pertes de leurs troupes, parfois lourdes, ceux-ci, à l’image de l’Hydre de Lerne, continuent de se multiplier afin de se propager toujours un peu plus à travers le continent.

Aussi, malgré leur nombre et leurs moyens militaires et technologiques, ce ne sont pas les forces occidentales qui mènent le bal mais bel et bien les terroristes. Ce sont ces derniers qui donnent le tempo en frappant où et quand ils le décident. Eux agissent alors qu’en réalité, les forces militaires en place ne font que réagir.

– Que pensez-vous de ceux qui disent que la Minusma risque de ne servir à rien si son mandat n’est pas davantage musclé ?

Renforcer les capacités militaires de la Minusma ne fera qu’accroître l’internationalisation de cette crise polyforme qui sévit au Sahel et plus encore, ne fera que conforter la position de la France et de l’Union européenne dans leur approche militaire pour une sortie de crise au Mali.

Pourtant, les pays du Sahel et la «communauté internationale» peuvent déployer autant de militaires qu’ils le souhaitent, cela ne ramènera ni la paix ni la stabilité dans la région.

Il faut sans nul doute déloger et neutraliser les terroristes présents au Sahel. Mais au-delà de ce paramètre, il faut surtout s’interroger sur les raisons profondes et nombreuses qui leur ont permis de trouver refuge dans cette région. La crise malienne ne date pas de 2012, mais depuis les premiers jours de l’indépendance du pays.

L’isolement et l’abandon des populations du Nord par le pouvoir central de Bamako et les conditions socioéconomiques des pays de la région en général sont tous des facteurs qui ont nourri frustration, aigreur voire haine envers les politiques.

Sentiments sur lesquels les terroristes savent surfer aujourd’hui et en tirer profit ! Sans compter le chaos libyen créé après l’intervention militaire de l’OTAN…

– Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a appelé, lundi soir, les Maliens à «l’union sacrée» derrière leur armée, alors que l’existence même du pays est, selon lui, en jeu après les attaques les plus meurtrières subies depuis des années des mains des terroristes. D’après vous, le risque de voir l’Etat malien s’effondrer est-il réel ?

Il est difficile de répondre clairement à cette question. Cependant, un début de réponse se trouve dans l’intervention militaire Serval de 2013.

Déjà à ce moment-là, l’Etat malien était en déliquescence, mais les forces militaires françaises sont intervenues pour justement éviter un possible chaos. Je dirai donc que tant que la communauté internationale porte à bout de bras et sous perfusion cet Etat malien, et bien il ne s’effondrera pas. A cet égard, dans son livre Lignes d’horizon, Jacques Attali prophétisait la disparition éventuelle de l’Etat du Mali.

Si cette analyse dramatique pour les Maliens, mais aussi pour toute la région ne s’est pas encore concrétisée, force est de reconnaître qu’il est toutefois de plus en plus difficile de demeurer optimiste pour cet Etat qui est aujourd’hui et sans nul doute profondément affaibli.

 

– Le Burkina Faso est pris depuis près de cinq ans dans une spirale de violences attribuées à des mouvements terroristes, certains affiliés à Al Qaîda et d’autres à Daech. Pourquoi, selon vous, les groupes terroristes s’acharnent-ils sur ce pays ?

Il faut comprendre et surtout sans doute ne jamais oublier que ces groupes terroristes savent très bien ce qu’ils font. Ils sont organisés et ne font rien au hasard. Comme le disait l’historien malien Doulaye Konaté, membre de l’Association des historiens africains : «Qui contrôle le Mali contrôle l’Afrique de l’Ouest, si ce n’est toute l’Afrique.»

Les terroristes ont bien intégré ce point crucial.

Contrairement au G5-Sahel par exemple qui ignore les dynamiques nord-sud et interrégionales, alors même que, comme nous le voyons, les mouvements terroristes se font de plus en plus du nord au sud. Maintenant, si le Burkina Faso est sujet à de nombreuses et récurrentes attaques, c’est pour deux raisons liées justement à cette question de contrôle régional.

La première, ce pays est, après le Mali, l’autre maillon faible de la région. A l’est du Mali, la Mauritanie demeure stable et verrouillée face aux terroristes.

D’aucuns s’interrogent sur un possible accord entre ces derniers et les autorités mauritaniennes consistant en une «paix des braves». A l’Ouest, malgré plusieurs attaques et incursions meurtrières, le Niger ayant pris conscience de la gravité de la situation, semble avoir retrouvé une certaine stabilité dû au renforcement des forces militaires nigériennes sur les frontières Est du pays. La deuxième raison est qu’en sus de ses faiblesses, le Burkina Faso, situé au sud du Mali, n’est autre que le prolongement géographique régional vers les autres pays du Sud, tels que le Bénin, la Côte d’Ivoire ou le Ghana, sur lesquels les terroristes ont des visées claires.

Car ces derniers ne comptent pas s’arrêter aux pays du Sahel, mais ambitionnent bel et bien, sinon de contrôler l’Afrique de l’Ouest dans sa globalité, tout au moins, d’embraser toute la région, voire plus encore. Suivant cette macabre logique, il ne fait aucun doute que le Togo et le Bénin feront donc bientôt régulièrement la une des journaux

– Les groupes terroristes prospèrent généralement sur les difficultés sociales et économiques des pays sahéliens. Le constat ne doit-il pas amener la communauté internationale à envisager des réponses qui ne soient pas uniquement militaires ou sécuritaires ?

Comme je le soulignais précédemment, la crise qui frappe la région du Sahel et même plus largement une grande partie de l’ouest de l’Afrique est multidimensionnelle.

Et penser que l’on réglera les problèmes avec des chars et des drones est un leurre. Encore une fois, les exemples ailleurs parlent par eux-mêmes.

Ce n’est pas parce que l’on a un marteau que tous les problèmes sont un clou ! N’oublions pas qu’une guerre se gagne par les armes à 10-20%, mais surtout à 80% par la politique et la propagande.

En d’autres termes, appliquer la stratégie de pénétrer les cœurs et les esprits (winning hearts and minds). Ceci dit, il y a aussi lieu de s’interroger sur cette propension occidentale à toujours vouloir utiliser la force pour régler des problèmes qui relèvent plus de l’aspect socioéconomique et politique.

Mais cela ne semble pas près de s’arrêter, puisque la France vient d’annoncer la création, avec ses partenaires européens, d’une unité de forces spéciales européenne – l’unité Takuba ou «sabre» en tamasheq – qui sera opérationnelle dès 2020 au Mali. Encore une unité militaire qui s’ajoute aux autres, mais qui n’obtiendra que très peu de résultats tangibles !

– Que faudrait-il donc faire ?

A cet égard, il est urgent que les décideurs, analystes et autre membres de la société civile africaine s’interrogent sur cette multiplication de bases militaires occidentales à travers leurs pays respectifs.

Car ce à quoi nous assistons au Sahel et en Afrique en général, n’est, à mon avis, rien d’autre qu’une guerre idéologico-stratégique conduite par les puissances étrangères, la France à leur tête.

Pour rappel, celle-ci ne serait pas une puissance mondiale sans sa présence et pénétration en Afrique.

L’écrivain américain Alvin Toffler expliquait un jour que «si vous n’avez pas de stratégie, vous faites partie de la stratégie de quelqu’un d’autre».

De par leurs incapacités à comprendre cela, de par leur absence de vision stratégique, les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest se contentent aujourd’hui d’appliquer aveuglément un programme et une stratégie pensés à Paris et Bruxelles.

Tels des taureaux dans l’arène, ces dirigeants africains continuent de foncer tête baissée vers la muleta agitée par le toréro franco-européen, omettant ainsi de voir et de comprendre que l’enjeu dans le long terme n’est point cette étoffe rouge sur laquelle ils se focalisent, mais qu’il se trouve ailleurs.

Ce faisant, ils mettent en danger non seulement l’entière région du Sahel, dans sa définition la plus large, mais aussi une grande partie du continent africain, sinon l’Afrique dans sa globalité !

Aussi, pour revenir à votre première question sur un possible échec des forces militaires étrangères, celui-ci ne pourrait in fine n’être qu’une illusion, masquant ainsi leurs réelles intentions dans le long terme.

– Vous attendez-vous à ce que la guerre contre le terrorisme au Sahel soit longue ?

Le terrorisme au Sahel est là pour durer. Tous les ingrédients sont là pour faciliter l’enracinement des terroristes dans la région. Pauvreté, corruption, mauvaise gouvernance, illettrisme, absence de perspectives pour un meilleur futur et bien d’autres problèmes.

Sans oublier les forces militaires étrangères! Et à l’heure actuelle, les Etats du Sahel ne sont – ou ne veulent – nullement en mesure de répondre aux attentes de leurs populations respectives.

Dans l’intervalle, les terroristes n’ont aucun mal à recruter parmi cette jeunesse désœuvrée, proposant à ces jeunes des salaires mensuels de 800 dollars, voire plus, qu’ils savent pertinemment ne pas être en mesure d’avoir en travaillant.

Non seulement les défaillances des politiques sont rappelées à ces jeunes, mais plus encore, ces terroristes pointent du doigt l’incapacité de ces pays à se défendre, trouvant assistance et protection auprès de l’ancienne puissance coloniale !

D’où la nécessité et l’urgence d’une solution endogène et africaine.

Ceci dit, au-delà de cette lutte officielle de la «communauté internationale» contre le terrorisme, nous devons de toute urgence nous interroger sur cette présence grandissante des forces militaires étrangères sur le continent africain.

Au risque de me répéter, les dirigeants africains n’ont aucune vision, ni stratégie de long terme. Aussi, il va sans dire que les nombreuses bases militaires françaises, américaines, chinoises, émiraties et bien d’autres encore dans chaque pays du Sahel, aux frontières même de l’Algérie, devraient et doivent être source d’inquiétude et de questionnements.

Abdelkader Abderrahmane. Analyste, consultant géopolitique et enseignant universitaire

source : El Watan

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