Réélu à 67%, Ibrahim Boubacar Keïta, dit “IBK”, est pourtant contesté. Les accusations de fraude et son premier mandat très critiqué fragilisent son image.
Après des élections chaotiques, le Mali a élu son président pour les cinq ans à venir. Malgré l’opposition dénonçant une élection truquée, Ibrahim Boubacar Keïta est reconduit pour un second mandat. Mais de plus en plus contesté, le président malien est face à de nombreux défis. Divisé par les conflits internes et la menace terroriste, le Mali s’impatiente. Celui que l’on surnomme “IBK” va devoir se mettre au travail au risque de paraître totalement dépassé par les réalités de son pays.
Au lendemain de sa réélection, alors que l’opposition le poursuit de ses accusations pour fraudes électorales, IBK, lui, savoure ce qu’il considère comme une victoire. Il se délecte des félicitations de ses voisins, venues du Sénégal, du Tchad ou de la Mauritanie. En Afrique de l’Ouest, IBK est connu et reconnu par ses pairs. Ce sont, pour la plupart, des amis. La génération au pouvoir dans la région subsaharienne se connaît depuis les années 1970. À cette époque, l’élite africaine va faire ses études à Paris. Diplômé de l’université Panthéon-Sorbonne, IBK est alors membre de la Fédération d’étudiants d’Afrique noire en France. Il y rencontre notamment l’actuel président guinéen, Alpha Condé.
Il sera ambassadeur, ministre des Affaires étrangères, Premier ministre, avant de se lancer dans la course à la présidence en 2002 puis en 2007. La chance lui sourit enfin en 2013. Il a alors 68 ans. IBK appartient à une génération de dirigeants d’Afrique de l’Ouest arrivée âgée au pouvoir.
“Près de 60% de la population a moins de 25 ans au Mali. A un moment, cette différence va être trop forte pour que cela fonctionne”, pointe Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef du “Monde Afrique” et professeur à Sciences Po.
“Déconnecté des réalités”, “inactif”, “n’ayant pas conscience de la situation socio-économique…”, c’est ainsi que ses opposants qualifient le président malien. Les plus virulents lui prêtent même une certaine fainéantise. A lui seul, IBK représente le décalage dont souffre le Mali. Sa population jeune est rongée par la pauvreté et le chômage. Dans le Nord et le Centre du pays, minés par le terrorisme et les groupes armés, l’insécurité atteint des sommets. Un tableau noir qui n’a pas semblé effrayer l’homme pendant sa campagne. Confiant, IBK n’a cessé de marteler “les bons résultats économiques“ du Mali (en fait sa croissance de 5%), faisant fi des critiques.
“Plus sénateur que foudre de guerre”
“Il fait l’érudit en citant Victor Hugo, il aime les vieux fauteuils Louis XVI, confie le journaliste François-Xavier Freland, auteur de “Mali, au-delà du Jihad” (Anamosa éditions). Il adore jouer au monarque français.”
Cette attitude interroge le peuple malien. Ibrahim Boubacar Keïta est loin de chercher à tordre le cou aux rumeurs. Il est, au contraire, le premier à revendiquer sa culture française, acquise durant ses études. L’homme que l’on dit très attaché à son image et friand de bon vin, assume. Pour Moussa Mara, son ancien Premier ministre, il s’est même “monarchisé”. IBK exerce une politique à l’ancienne. Tout est réglé en catimini, avec quelques poignées de mains.
“C’est plus un sénateur de la IVème qu’un foudre de guerre”, résume Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l’Afrique.
Mais avant la déception, il y a eu l’espoir. Quand, en 2013, un an après le putsch qui a fait basculer le Mali dans le chaos, IBK est élu, sa victoire ne suscite pas l’ombre d’une contestation. Soumaila Cissé, déjà son adversaire au second tour, vient le féliciter avant même l’annonce des résultats. Aujourd’hui, en revanche, l’opposant refuse d’accepter sa défaite.
Du côté de la communauté internationale, la réaction est également différente, du moins en Europe. La France se montre très discrète, contrairement à 2013. L’actuel président malien pouvait alors se targuer d’avoir le soutien de François Hollande.
“Ils s’envoyaient régulièrement des SMS, j’ai moi-même pu le constater, révèle Francis Kpatindé. Ce n’est pas un hasard si le dernier déplacement d’Hollande était à Bamako, sous les ovations.”
L’amitié qu’entretient IBK avec de nombreux responsables de la gauche française n’est pas secrète. Ce milieu socialiste, il le côtoyait pendant ses études. Un réseau utile, mais qui ne fait pas tout. “Au bout d’un moment, son incapacité à mettre en place l’accord de paix [passé avec les rebelles touaregs afin d’enrayer la montée du djihadisme, NDLR], a commencé à énerver Hollande”, rappelle François-Xavier Freland. En juin dernier, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a dénoncé son “manque de volonté politique” dans le nord du pays où sévit le conflit. Militaires français et casques bleus de l’ONU sont sur place depuis 2013 pour tenter de sécuriser la région. Pendant les élections, il n’y a eu aucun signe du côté du quai d’Orsay. L’Etat français s’est-il décidé à laisser le peuple malien choisir lui-même ?
“Ils préfèrent surtout un diable qu’ils connaissent, qu’un ange qu’ils ne connaissent pas. C’est la même chose pour les Maliens”, analyse Antoine Glaser.
Ibrahim
“Pas conscience des enjeux”
Le Mali est réticent au changement et IBK l’a bien compris. Il sait parfaitement surfer sur cette vague, enfilant le costume du vieux sage. Pourtant, outre son bilan pas fameux, il traîne de plus avec lui des casseroles qui abîment son image : une affaire de corruption avec le magnat corse Michel Tomi et les accusations de fraude qui entachent sa victoire. “Il n’y a sûrement pas eu de fraudes en tant que tel, mais c’est pratique courante de donner des consignes de votes en échange de petits arrangements. Surtout dans un pays où l’on a du mal à se nourrir”, remarque François-Xavier Freland.
“Plus de 70 % de la population est analphabète et ne possède aucune éducation civique, constate Francis Kpatindé. Comment voulez-vous que les élections se déroulent bien ? Le pays n’est pas prêt !”
Lors du second tour de l’élection présidentielle, plus de 60% des Maliens se sont abstenus, fragilisant la légitimité du président.
Le prochain mandat d’IBK ne s’annonce pas de tout repos. Ses soutiens se font de plus en plus rares. La communauté internationale est lassée d’intervenir militairement. Les religieux l’ont abandonné alors que le pays est plus que jamais menacé par la montée du djihadisme. “Le Nord est une région désertique. Il n’y a aucune institution étatique et, progressivement, les gens se tournent vers les religieux”, s’alarme François-Xavier Freland. Même inquiétude du côté d’Antoine Glaser : “Il donne le sentiment de ne pas prendre conscience des enjeux.”
Les plus bienveillants à son égard, eux, le définissent plutôt comme un homme “réfléchi” qui “prend le temps de la décision”. Le temps, c’est justement ce dont il manque. Le Mali souffre et peut basculer à tout moment. Le chantier qui attend Ibrahim Boubacar Keïta pour les cinq années à venir, est tout aussi grand que lorsqu’il avait entamé son premier mandat en 2013. Un gouffre qu’il se doit de combler.
Romain Bizeul
L’Obs