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Mali-France : Guerre dans les eaux froides du Djoliba

«Au moment où Paris et Bamako n’échangent en public que par accusations et invectives interposées, le voyage d’Emmanuel Macron au Mali, prévu les 20 et 21 décembre, était un pari risqué». C’est l’accroche d’un article du quotidien français Le Monde, publié le 17 décembre dernier, au lendemain de l’annonce de l’annulation de la visite du chef de l’état français à Bamako. Les deux dirigeants ne s’étaient jamais encore rencontrés depuis l’avènement du colonel Assimi Goïta à la tête de notre pays et c’était là toute l’essence du caractère inédit d’une rencontre qui promettait autant en étincelles qu’en émotions.

 

Sur le plan géopolitique ou sur le plan diplomatique, c’est bien un rendez-vous manqué. Le quotidien français n’a pas tout faux en disant que « Paris et Bamako n’échangent en public que par accusations et invectives interposées ».

À la décharge de la partie malienne, en regardant de près, que retenir de sa part en terme d’invective que la désormais célèbre expression d’ «abandon en plein vol» prononcée par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga à la tribune des Nations unies en septembre dernier. Que peut-elle peser devant des expressions utilisées par la partie française comme «gouvernement né de deux coups d’état», «légitimité nulle», «une honte», « ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement», «s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français».

C’est dire combien la rencontre du 20 décembre était attendue comme un tournant majeur dans la crise diplomatique entre les deux pays et leurs dirigeants respectifs. Il y avait de la matière sur la table des discussions et l’on peut aisément estimer que la dissipation de ces déclarations devait servir de prologue. Et surtout pour aboutir à une décrispation tant attendue par les milieux politiques, diplomatiques et sécuritaires des deux pays et de leurs régions politiques respectives, que ce soit la Cedeao pour le Mali et l’Union européenne pour la France.

Observateurs, analystes et autres acteurs de premier plan devraient attendre, car le dégel n’est pas à l’ordre du jour. Les relations entre la France et son ancienne colonie, le Mali, n’ont jamais été un fleuve tranquille à la différence de celles avec bien de pays de son pré-carré. Il faut avouer que la longue histoire coloniale jonchée de guerres de résistance, la décolonisation ayant abouti à une indépendance tumultueuse entre l’éclatement de la Fédération du Mali et la rupture idéologique aux premières heures de l’indépendance du jeune Mali ont impacté sur l’évolution de ces relations. Et sur leur santé. à quel moment de l’histoire du Mali, la France s’est-elle sentie réellement dans son pré carré au Mali ?

De Modibo Keita à Assimi Goïta, en passant par Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré, Ibrahim Boubacar Keïta, chacun a dit un moment au partenaire français non ! Et avec des tentatives de représailles à la française qui s’en suivent. Le sang soudanais, abreuvé par celui des empereurs et rois, irrigue les artères des Maliens post 1960 et continue. C’est l’ADN malien que laisse des siècles de brassage et de métissage. Faut-il s’en offusquer pour autant quand on est partenaire du Mali ? La France aime rappeler Charlemagne, Jeanne d’Arc, Napoléon Bonaparte, Charles De Gaulle, Pompidou, etc. Le Mali aussi en tant que jeune état se construit. Et l’Afrique et l’Europe ont beau se rencontrer par devers la traite négrière, l’exploration et la colonisation, le métissage n’a pas pris pour faire fondre les différences de cultures et de civilisation.

Tout cela alimente le durcissement politique et diplomatique entre deux pays partis pourtant très récemment pour une longue concorde, sur fond de coopération militaire et sécuritaire anti-terroriste au Mali et au Sahel. Serval et Barkhane n’ont pas pu cimenter ces relations qui s’annonçaient sous de bons auspices en 2013, après l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta et en 2014 avec la signature d’un Traité de coopération en matière de Défense entre les deux pays.

Il est connu de tous les observateurs avertis que les Relations internationales sont bâties, à la lettre, sur le Droit international mais que dans l’esprit ce sont les rapports de force qui s’imposent. Les Maliens citoyens ont regardé dans l’impuissance et avec une amertume certaine le cheminement de la relation franco-malienne post crise de 2012 et qui donne lieu aujourd’hui à un désamour qui a dépassé tout entendement.

Le réchauffement de la coopération entre le Mali et la Russie, marqué par la rencontre entre les deux chefs de la diplomatie, Abdoulaye Diop et Serguei Lavrov,le 11 novembre dernier à Moscou, a l’intention ouverte de faire du volet militaire un maillon central pour appuyer notre pays dans sa difficile mission d’éradiquer le terrorisme sur l’étendue du territoire national tel que le souhaitent la quasi-totalité des Maliens. Cela, comme l’ont chaque fois martelé les autorités, en renforcement des actions entreprises avec les partenaires déjà en place et dont l’action évaluée après plus de huit ans ne semble pas satisfaire à souhait.

Cette option malienne de diversification des partenaires dans le domaine de l’assistance militaire et l’ouverture vers la Russie soulèvent visiblement l’ire des autres partenaires. Le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères du Mali l’ont martelé maintes fois : le Mali ne traite pas avec un quelconque groupe de sécurité privé russe mais bien avec l’état russe ? Mais que nenni ! L’on semble décidé à mettre l’officieux à la place de l’officiel. Il faudrait bien pour les partenaires du Mali se résoudre à accepter que l’assertion selon laquelle les «états n’ont pas d’amis, mais que des intérêts» vaut pour tous les états, qu’ils soient qualifiés de petits ou de grands, de puissants ou de faibles.

D’août 2020 à ce mois de décembre 2021, une guerre froide qui ne dit pas son nom s’est installée en terre malienne, entre les autorités de Bamako et Paris et la Cedeao d’une part et entre Moscou et Paris d’autre part. Les eaux de la Moskva et de la Seine se glacent sous l’effet de l’hiver neigeux et celles du Djoliba ou de l’Issa ber prennent un coup de froid de l’harmattan débutant. C’est la seule similitude de ces cours d’eaux de renom malgré les écarts géographiques. Mais la froideur de ce mois de décembre contraste fort avec les brûlures des relations diplomatiques à fort relent de guerre froide.

Tout compte fait, le Mali amorce un virage historique de son évolution en tant que nation, prise dans l’étau d’un choc entre la lutte anti-terroriste et le positionnement diplomatique de plusieurs puissances sur la sécurité au Sahel et ses importantes ressources naturelles. C’est pourquoi, les Assises nationales de la Refondation qui se déroulent présentement sont considérées comme le gouvernail qui puisse influer sur la trajectoire de ce Mali se débattant dans cette arène internationale et où biches et loups doivent cohabiter.

Ces ANR doivent fixer le cap de la Transition en aboutissant sur une nouvelle architecture politique et sécuritaire en adéquation avec les aspirations profondes des Maliens, tout en prenant en compte le positionnement de nos différents partenaires bilatéraux et multilatéraux. Il est surtout attendu de ces derniers une considération marquée pour les aspirations des populations maliennes et les orientations des autorités de la Transition, toutes dépositaires et garantes de la souveraineté du Mali dans le concert des nations. C’est à ce prix que toutes les parties tireront leurs marrons du feu, dans une partie de billard géopolitique qui n’a pas fini de dévoiler tous ses secrets.

Alassane SOULEYMANE,

Journaliste

Source : L’ESSOR

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