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Mali: Faire semblant et rien d’autre? (fin)

L’année suivante, en 2016, le Conseil cite ces activités illicites, mais pour souligner que « la responsabilité de lutter contre ces menaces incombe aux pays de la région » et va même jusqu’à se féliciter « de l’effet stabilisateur de la présence internationale au Mali, notamment la MINUSMA » comme si un changement quelconque avait été observé. C’est ne pas craindre le ridicule, et c’est encore évidemment une nouvelle fois faire semblant de traiter le problème, car pour tout observateur informé, ne pas lutter contre ces trafics, c’est protéger les sources du financement des groupes armés et des seigneurs de guerre, qu’ils soient ou non signataires, qu’ils soient ou non djihadistes.En pratique, la MINUSMA –et Barkhane tout autant– ont évidemment des moyens d’observation qui leur permettent de repérer les convois, mais on les laisse poursuivre leur route. Dès son premier rapport, le groupe d’experts a eu connaissance d’un affrontement entre le GATIA et la CMA, le 13 avril 2018, à propos d’un convoi qui aurait acheminé de la drogue.

En 2017, le Conseil de sécurité aborde le problème de la même façon que deux ans plus tôt, renvoyant la lutte à une meilleure coordination des Etats. Pourtant quelques mois plus tard il doit constater « l’intensification des activités criminelles telles que le trafic de drogues et la traite d’êtres humains dans l’ensemble du pays » et donc il prie « le Gouvernement malien de se doter des moyens de répression nécessaires » et invite « les acteurs internationaux, régionaux et sous-régionaux à aider le Gouvernement malien dans cette entreprise » : autrement dit, au lieu d’engager la force qui dépend directement de lui, la MINUSMA, le Conseil se contente d’énoncer les sanctions qu’encourent les personnes qui se livrent à ces trafics.Et comble de la légèreté, le Conseil de sécurité revient une troisième fois sur le sujet au cours de la même année 2017, pour demander aux Etats du G5 Sahel « d’inclure la question de l’égalité des sexes dans l’élaboration de stratégies globales de lutte contre la menace posée par le terrorisme et la criminalité organisée (notamment la traite des personnes, le trafic d’armes, de drogues et de ressources naturelles et le trafic de migrants) ». Il est clair qu’il s’agit là seulement de faire apparaître les mots que certains membres du Conseil souhaitent lire sans se préoccuper du sens général des phrases ! Le Conseil de sécurité se montre ici sous son plus mauvais jour, en diluant les priorités de telle sorte qu’elles deviennent illisibles !

Dans sa dernière résolution en date, n° 2480(2019), le Conseil de sécurité, « Exprimant sa vive impatience face aux retards persistants pris par les parties dans l’application intégrale de dispositions clefs de l’Accord » supprime complètement l’engagement des Nations-Unies en matière de lutte contre les trafics au Mali : il est simplement demandé à la MINUSMA d’apporter un « appui technique aux institutions judiciaires maliennes s’agissant de la mise en détention des personnes soupçonnées d’infractions liées au terrorisme, d’atrocités criminelles ou d’activités liées à la criminalité transnationale organisée (y compris la traite des êtres humains, le trafic d’armes, de drogues ou de ressources naturelles et le trafic de migrants) risquant de déstabiliser le processus de paix » (art 28 a 3), où les six derniers mots, parce qu’ils exigent une appréciation, ne peuvent qu’affaiblir un peu plus la probabilité de quelque action que ce soit sur les ressources des mouvements armés.

Ainsi, cinq ans après le début de la crise malienne, le Conseil de sécurité aura laissé sourdre dans ses textes la réalité des liens de dépendance entre les trafics et les ressources des groupes armés, mais il ne se sera pas encore souvenu qu’il existe dans le système des Nations-Unies une organisation spécialisée dans la lutte contre la drogue et la criminalité internationale, une organisation qui proclame fièrement sur la première page de son site : « L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) est à la tête de la lutte mondiale contre les drogues illicites et la criminalité internationale. Il est en outre chargé d’appliquer le programme phare des Nations Unies contre le terrorisme. »Un programme phare ? On aurait bien voulu le voir se déployer au Mali ! Non, l’ONUDC détourne manifestement les yeux de ce théâtre trop voyant et de ces collusions trop évidentes.

Faire semblant d’ignorer les liens entre groupes signataires et groupes non signataires affiliés à des intérêts étrangers est devenu l’attitude commune de tous les acteurs : Conseil de sécurité, gouvernement du Mali, mouvements armés signataires… Ce sont les deux récents rapports du groupe d’experts qui le montrent en analysant l’évolution du rapport des forces, la conquête territoriale et les ressources mobilisées.

D’abord, le experts admettent que depuis 2015 les mouvements signataires perdent du terrain face aux mouvements armés non signataires. L’année 2018 a été même marquée par l’échec d’une tentative de coordination entre la CMA, la Plateforme et le MSA-D, en réaction contre ce recul. L’échec du directoire qu’il était question de créer est imputé non seulement aux dissensions entre Arabes (plus précisément entre hiérarchie bérabiche du MAA- Plateforme/Tombouctou d’Ould Moulaye et la fraction Lemhar d’Ould Ali et Ould Mataly du MAA-Plateforme/Gao), mais aussi à la collusion manifeste entre certains éléments du HCUA et le JNIM (autrement dit GSIM), dont on sait que, sitôt constitué, il a fait allégeance à Al-Qaida. En particulier, lors des discussions sur la constitution du directoire, il a été remarqué que, au terme de sérieuses altercations, Alghabass Ag Intalla (HCUA), Hanoune Ould Ali (MAA-Plateforme/Gao) et Harouna Toureh (Plateforme) refusaient de s’engager à lutter contre les groupes terroristes, révélant par là les liens entre le HCUA et Ansar Eddine d’une part, entre le MAA-Plateforme/Gao et Al-Mourabitoun de l’autre. De leur côté, « les groupes armés terroristes ont pu mener à bien leur stratégie d’expansion, en conjuguant leurs forces au sein d’une nouvelle alliance, dite Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) (QDe.159) » et en poussant devant eux le HCUA et le MAA. Cette situation explique la pression du HCUA sur Talataye, puis Ménaka et sur le Gourma.

Ainsi, pour commencer, « le HCUA et la famille Ag Intalla ont assis leur emprise sur toute la région de Kidal et sa capitale, sur fond d’assassinats ciblés, notamment d’anciens de la ville de Kidal, perpétrés au grand jour en 2018. Le HCUA a consolidé son pouvoir principalement aux dépens du MNLA, dirigé par Bilal Ag Cherif, dont l’ancien homme fort, Mohamed Ag Najim […] n’occupe désormais plus qu’une position essentiellement symbolique à la tête du conseil de sécurité et militaire de la CMA ». Dans la foulée, « la CMA a pris depuis octobre 2018 diverses mesures pour se donner les moyens de sa mission de sécurité publique et d’application de la loi et asseoir sa crédibilité […], institué une commission de magistrats chargée de superviser le système judiciaire, […] et déployé progressivement à Anéfis, Tin- Essako, Tin Zaouaten et Talhandak des équipes mobiles de sécurité »qui s’étendront en mai 2019 jusqu’à Talataye, pour bien montrer qu’il s’agit de « préserver l’hégémonie militaire de la CMA jusqu’au-delà de la région de Kidal » et parce que le MSA-Douassak en a été définitivement chassé. Il resterait à demander aux experts qui a chargé la CMA d’une mission de sécurité publique et d’application de la loi !

« La collusion entre le JNIM et le HCUA s’est révélée au grand jour à Talataye, où l’on a assisté à une nette recrudescence d’attaques terroristes contre le seul MSA-D, revendiquées par le JNIM entre février et avril 2019 […] »Quant à la conquête de Ménaka, « le déploiement envisagé d’équipes mobiles de sécurité dans la ville de Ménaka, dirigées par Ag Bouhada, commandant militaire du HCUA, officiellement annoncé aux forces internationales le 14 juin 2019, a été présenté comme la reprise du déploiement de patrouilles conjointes ». Toutes les arguties mensongères sont donc bonnes, puisque tous les acteurs font semblant ! Cela dit, la zone militaire d’influence du JNIM comprend désormais Ménaka et Talataye, alors que la présence de plusieurs groupes membres de l’EIGS y est également avérée, ce qui signale que les deux organisations terroristes (Al-Qaida et EIGS) coopèrent. Enfin dans le Gourma, malgré l’assassinat du chef de la katiba AAA affiliée au JNIM, un groupe se reconstitue qui aurait reçu d’Iyad Ag Ghali –qui a fait, ne pas l’oublier, allégeance à Al-Qaida– la mission de chasser le GATIA de ses positions.

Parallèlement, plusieurs personnalités du HCUA ont été mises en cause par le Niger pour leur participation à des activités terroristes dans ce pays. Bohada Ag Hamzata, chef de la sécurité de l’actuel gouverneur de Kidal, aurait été impliqué dans l’attaque terroriste de Midal, en juillet 2017, dans la région de Tassara, à Taoua. Alhousseini Ag Ahmedou, alias Goumey, a participé à l’attaque de mai 2017 près de Tongo Tongo, où 27 soldats nigériens ont été tués. Le matériel pris à l’armée nigérienne à Inates en juillet 2019 a été réceptionné dans la vallée d’Inadar par Achafghi Ag Bohada, chef d’état-major du HCUA. Alghabass Ag Intalla lui- même, le frère de l’actuel Amenokal de Kidal, est cité dans le même document. Quant à Hamad Ali, chef de poste de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), il aurait dirigé une réunion avec des émissaires d’Abou Walid al-Sahraoui (ancien du Polisario, devenu djihadiste au Mali sous la bannière d’EIGS, chef d’un groupe basé près de Ménaka) dans le but d’instaurer la charia à Ménaka, affaiblir le MSA et le Gatia, et créer ainsi une zone tampon pour mener des attaques d’envergure en direction du Niger et de ses partenaires.

Quant aux moyens qui rendent possible ces conflits, ce sont les trafics, et plusieurs personnalités qui viennent d’être citées sont également évoquées à propos des trafics, par exemple Oul Mataly ou Ould Ali, et leurs nombreux comparses (des gens comme Ben Ahmed Mahri, alias Mohamed Rouggy, gendre de Ould Mataly, ou Ben Ahmed Moulati, etc.) ; les trafics fournissent à certains chefs de tribus (par exemple les chefs de la tribu arabe des Lehmar) des ressources abondantes, grâce aux véhicules et aux armes qu’ils ont amassés à cette fin, et qui leur servent à protéger leurs convois et leurs routes et à étendre leur emprise territoriale; et ce sont des éléments de la Plateforme et de la CMA (ou se revendiquant comme tels) qui convoient la drogue sur différentes étapes de l’itinéraire de trafic en territoire malien ; mais le groupe d’experts affirme sans ambages « Mohamed Ben Ahmed Mahri utilise les revenus tirés du trafic de stupéfiants pour soutenir des groupes terroristes armés, notamment Al-Mourabitoun, entité sous le coup de sanctions (QDe.141) ».

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les manœuvres des mouvements qui font semblant aujourd’hui d’apparaître comme les meilleurs défenseurs de l’accord d’Alger. Ainsi tout récemment a été publié un communiqué signé de Sidi Brahim Ould Sidatt de la CMA et de Me Harouna Toureh au nom de Plateforme, et par lequel les deux mouvements « réitèrent leur attachement à l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali et à sa mise en oeuvre intégrale et appellent la Partie gouvernementale à ne pas céder à la tentation de s’écarter du cadre de l’APR », se disent soucieux du retour de la paix et de la sécurité » et prétendent notamment avoir convenu « de mutualiser leurs efforts pour la sécurisation des personnes et de leurs biens », etc.Malheureusement, le porte-parole de la Plateforme, Moulaye Ahmed Ould Moulaye protestera aussitôt en affirmant que son mouvement n’a pas rencontré la CMA, n’a pas signé de communiqué conjoint, et « se désolidarise totalement du contenu du communiqué dit conjoint signé par Harouna, ex porte-parole défroqué ». C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre que la CMA ait décidé fin septembre de quitter le « dialogue national inclusif » au motif que le Président IBK envisagerait désormais l’éventualité d’une révision de l’accord d’Alger. On sait aujourd’hui que le Président IBK a capitulé le 13 décembre en acceptant que le dialogue national n’aborde pas la question de l’accord d’Alger : en conséquence, la CMA participe à cette réunion, mais pas l’opposition. Et c’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre que circule à nouveau le bruit que le gouvernement du Mali serait en train de négocier avec Iyad Ag Ghaly. Chacun fait semblant de vouloir la paix, chacun réfute haut et fort les accusations criminelles qui le visent, chacun veut paraître dirigeant politique ou religieux irréprochable, mais les chefs de guerre aux mains sales règnent sur le pays (voir l’annexe : état du dépeçage des régions du Nord du Mali).

Faire semblant de signer des accords locaux de paix, tel sera le troisième exemple. Des accords de paix sont signés depuis quelques temps entre des représentants des milices en présence sur le terrain et des représentants de la population, sous l’égide de l’administration ainsi que du Centre pour le Dialogue Humanitaire (HD), « organisation internationale de diplomatie privée ». En voici un cas concret : Kouakourou, chef-lieu de la commune de Kewa, dans le cercle de Djenné. Un « accord entre les communautés peulhs et bozos de la commune de Kewa pour la levée du blocus de Kouakourou (région de Mopti) » y a été conclu le 19 janvier 2019 sous l’égide du HD Centre. Il consigne l’engagement des parties à :

« – prendre toutes les dispositions nécessaires pour lever le blocus de Kouakourou et pour la réouverture de la foire hebdomadaire de Kouakourou dans les plus brefs délais ;

« – faciliter l’accès non discriminé de toutes les communautés à la foire hebdomadaire et au centre de santé de Kouakourou ;

« – ne pas contribuer à entraver la libre circulation des personnes et de leurs biens;

« – lutter contre le banditisme sous toutes ses formes

« – accepter le retour des déplacés et œuvrer avec les autorités pour leur réinsertion dans la vie active;

« – condamner fermement tout acte pouvant remettre en cause les dispositions du présent accord ;

« – privilégier la voie de la médiation et du dialogue pour régler à l’amiable tout différent pouvant opposer les parties. »

Tout cela est bel et bon ! Mais qui s’engage ? et sur quoi exactement ?

Les signataires de ce document sont deux représentants de la communauté peulh (deux chefs de village) et deux représentants de la communauté bozo. Sont-ils, les uns ou les autres, responsables du blocus de Kouakourou ? Pas du tout ! Dès janvier 2016, on savait à Djenné que les gens de Koufa étaient installés à Kouakourou. En septembre 2017, la presse bamakoise en a fait état et a rapporté l’origine du blocus. Un jeune du village a raconté que les djihadistes de Koufa faisaient la loi dans Kouakourou depuis 2014 : femmes voilées, école fermée, musique interdite, comme l’alcool, les cigarettes, les préservatifs, etc…, football « haram », et djihadistes en armes dans les rues.

Le 2 septembre 2017, les jeunes ont manifesté leur exaspération en faisant sauter des pétards, selon certaines versions, ou en tirant des coups de feu en l’air, selon d’autres. Les djihadistes se sont immédiatement présentés chez le chef de village pour demander qu’on leur remette les coupables. La population s’étant rassemblée en nombre devant la maison du chef de village, les djihadistes ont donné 24 h à ce dernier pour s’exécuter. Ce délai a permis d’avertir les autorités qui ont envoyé un détachement le 3 septembre ; mais comme aucun djihadiste ne s’est manifesté ce jour-là, le détachement est reparti le 4 septembre après quelques patrouilles dans le village. C’est alors que les djihadistes ont instauré le blocus de la ville : les pêcheurs ne pouvaient plus sortir sur le fleuve sans être fouillés et rackettés, les riziculteurs ne pouvaient plus aller à leurs champs, et personne ne pouvait entrer dans la ville ni en sortir. Les élections communales de 2016 n’ont pas pu être organisées. Et puis ce sera le cheptel enlevé, les rizières incendiées au moment des récoltes, etc., le sac de riz qui atteint des prix inaccessibles…

Or, en septembre 2017, déjà, on pouvait envisager une solution, le retour du maire de Kouakourou, parti au Hadj et bloqué à Bamako sans pouvoir regagner son village. « Il sait comment négocier avec les djihadistes et a compris que si on ne se mêlait pas de leurs affaires, on pouvait vivre tranquille. Mais c’est aussi un problème politique », révèle un habitant, car « l’opposant au maire de Kouakourou, qui voulait sa place, est celui qui a mobilisé pour mettre sur pied cette résistance ».

Il a fallu presque deux ans pour que cette solution se concrétise, mais en juin 2019, comme l’accord signé en janvier n’avait eu aucun effet, une délégation de Kouakourou s’est rendue discrètement à Mourrah, pas loin (une quinzaine km à vol d’oiseau) de l’autre côté du fleuve, où chacun sait que se trouve le quartier général du mouvement de Koufa. Elle est revenue avec la liste des nombreuses conditions à accepter pour que le blocus soit levé par les djihadistes : femmes voilées, pas de musique (même pour les mariages), ni radio, ni TV dans la ville ; marché de Kouakourou approvisionné en marchandises venant de Mauritanie ; les habitants de Kouakourou ne s’occuperont pas de la guerre des djihadistes contre les militaires maliens, et si un seul s’en rend coupable toute la ville sera considérée comme responsable ; interdiction totale de tout symbole et toute activité de l’Etat (école, administration, santé, mairie…) ; pas d’exactions envers les peuls qui ne devront être jugés que par les djihadistes selon la charia ; accord limité à la ville de Kouakourou, laissant aux djihadistes la possibilité d’attaquer les villages voisins.

Localement, il est clair que le rapport des forces est en faveur des gens de Koufa. Il n’est pas tenu compte de cette situation, ni des exigences de ce groupe, dans l’accord qui a été signé en janvier sous l’égide de HD Centre. C’est un accord pour les besoins de la communication politique, pour faire semblant ! Pourtant les acteurs du business de la résolution des conflits se montrent catégoriques dans leurs prétentions : « Nous savons quels sont les facteurs à l’origine des conflits, et nous connaissons les outils les plus efficaces pour y répondre. HD est en mesure de mobiliser rapidement ses équipes afin de juguler les flambées de violence et construire une paix durable. Les résultats que nous obtenons sont mesurables. »Tant d’exagération parvient sans peine au ridicule !

Pour ces raisons, un nouvel accord a probablement été conclu en juin, à la suite de la visite à Mourrah de la délégation évoquée ci-dessus. De cet accord, on ne parle pas : il consacre effectivement la mainmise des gens de Koufa sur Kouakourou. Les conditions des « gens de la brousse » ont été acceptées, et les contraintes ont été un peu desserrées. Et d’autres accords du même type ont été conclus par exemple dans la commune de Mondoro, dans le cercle de Douentza, dans la commune de Dinangourou, dans le cercle de Koro, sur des bases variées : non agression et mobilité limitée des forces de défense, engagement à ne plus fermer les écoles classiques, reconnaissance et promotion des écoles coraniques (médersas), etc.

Conclusion

Il y a d’innombrables façons de faire semblant de stabiliser le Mali, et de ne s’engager qu’a minima. A celles dont il vient d’être question on pourrait en ajouter beaucoup d’autres, par exemple :

– accorder une grande importance au « premier procès ouvert à la CPI pour un crime de guerre allégué à raison de la perpétration d’attaques ayant délibérément visé des monuments religieux et historiques à Tombouctou » alors que les chefs de guerre les plus connus bénéficient de protections; ou encore évoquer ici un quota en faveur des femmes, ailleurs la protection du patrimoine religieux, etc… pour faire plaisir aux pays du Nord, qui voteront la résolution, et au risque de multiplier à tel point les objectifs de l’action gouvernementale qu’aucune priorité véritable n’apparaisse finalement dans les faits ;

– s’en tenir à la lettre de l’accord d’Alger, un mauvais accord bâclé par l’Algérie, mal négocié par le Mali, en restant sourd aux voix qui se sont élevées pour signaler les dangers mortels de nombreuses dispositions qu’il contient non seulement pour la pérennité de la paix (une régionalisation extrême sans pouvoir central capable de redistribuer entre les régions ne pourra qu’exacerber les disparités, d’où d’inévitables nouveaux conflits), mais encore pour l’existence même d’un Etat et d’une Nation (les pouvoirs des régions seront tels que le pays sera immanquablement dépecé en quelques années) ; de fait le dépeçage est en cours sous nos yeux (voir l’annexe I), et si les signataires tentent aujourd’hui de faire front commun, c’est parce qu’ils sont désormais sérieusement concurrencés par d’innombrables chefs de guerre, locaux et étrangers ;

– parler de dialogue national inclusif alors que le Président du Mali refuse obstinément de donner libre cours à l’expression des opinions divergentes des siennes. Déjà en 2017, l’annonce d’une conférence d’entente nationale n’avait été qu’une façon de désamorcer une atmosphère quasi-insurrectionnelle: le Président avait fait semblant d’en accepter le principe, et même l’objet, puisqu’il déclarait que cette conférence devait « permettre un débat approfondi entre toutes les composantes de la Nation malienne sur les causes profondes du conflit au Nord du Mali ». Mais c’était pour se rétracter bientôt en précisant que cette conférence ne serait en rien souveraine, et que les délégués seraient choisis par l’administration. Le même jeu de dupes a repris en 2018-2019, et on comprend que le seul objectif du Président, cette fois-ci, est d’avoir quelque chose à dire à l’assemblée générale des Nations-Unies, la presse l’a déjà signalé.

A force de faire semblant, le gouvernement du Mali et ses partenaires dans ce drame se trouvent avec 63000 candidats à l’intégration dans les forces armées et de sécurité. On a enregistré des candidats avant d’avoir fixé les quotas d’intégration et avant d’avoir tranché un désaccord persistant sur l’attribution des grades des combattants candidats à l’intégration. La CMA a pu se payer le luxe de refuser les cartes d’identification biométriques au motif qu’elles n’indiquaient pas le grade des intéressés : les mouvements armés voulaient obtenir que les grades qu’ils avaient attribués soient automatiquement reconnus. Tout a donc été fait pour que le processus d’enregistrement dérape, et le pire est donc à venir !

Mais a-t-on vraiment bien lu ? Si le nombre de ceux qui ont pris les armes contre leur patrie est celui-là, il est évident que la MINUSMA plus Barkhane plus les troupes du G5 ne font pas le poids, et que ces insurgés, coupables d’un crime imprescriptible, gagneront inéluctablement la partie. Où est la contribution des Nations-Unies à la restauration de l’Etat de droit, lorsqu’on ignore résolument le code pénal malien, où on lit que tout citoyen qui portera les armes contre le Mali sera coupable de trahison et puni de mort?

Il se pourrait cependant que la réalité soit plus prosaïque : que les mouvements armés ne se soient pas privés d’enrôler moyennant finances des hommes qu’ils présentent comme combattants en vue de les voir intégrés dans les forces de défense et de sécurité, une opération financière tout bénéfice pour les mouvements (qui engrangent des recettes) et pour les faux combattants (qui acquièrent un emploi dans les forces armées ou de sécurité). Alors le processus de DDR doit être défendu par les mouvements armés puisqu’il est une nouvelle forme de trafic et leur procure des ressources.

Ce sont donc les grands défenseurs de l’accord d’Alger, les responsables du HCUA et de la CMA, qui ont préparé cette bombe du recrutement dans la nouvelle armée. Ce sont eux qui, poussés par leurs alliés étrangers, étendent leur emprise sur les régions de Kidal, Gao, Menaka, Tombouctou et Tessalit, de sorte que maintenant le front se déplace vers le Béledougou où viennent d’apparaître des « prêcheurs armés » et en pays dogon, après avoir fait feu de tout bois pour attiser de prétendus conflits ethniques, à seule fin d’affaiblir la société et de terroriser la population, ce sont désormais les « djihadistes » qui dominent dans le Séno (Koro, Bankass, Douentza). Il faut pourtant aussi s’attendre à un inévitable règlement de comptes entre les groupes terroristes étrangers et les groupes armés nationaux qui ont accepté leur aide, comme le MNLA en a fait l’expérience en 2012.

Ni le gouvernement, ni les députés, ni les dirigeants des partis politiques ne semblent anticiper ces conséquences ; ils n’ont rien fait pour informer la population de ce qui l’attend et pour favoriser et organiser les grands débats politiques à la base, qui seuls auraient pu parvenir à créer un climat politique susceptible d’amener la population à accepter les réformes qui vont s’imposer et à les aménager. Car, quoi qu’il arrive à court terme, l’avenir ne ressemblera pas au passé : une forme de militantisme, ou au moins de discipline, fondée sur l’obéissance et la violence, peut-être une foi aveugle, se seront implantées dans la société malienne, au moins au Nord, mais aussi au Sud sous la houlette d’imams devenus politiciens, les armes auront fait courber la tête aux individualistes, la peur obtiendra la soumission du bon peuple, un droit enfin unifié par le recours aux règles qui valaient il y a un millénaire, mais qui seront à nouveau appliquées par des juges intolérants et des bourreaux dont la main ne tremble pas : le Mali semble prêt à renouer avec son passé de luttes fratricides, sous une bannière islamique amenée cette fois-ci par les pétro-monarchies, prêt à en revenir à un moyen-âge social et politique.

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, vient de le reconnaître lors d’une réunion de haut niveau consacrée au Mali et au Sahel, le 25 septembre 2019, en marge de l’assemblée générale des Nations Unies : “Soyons clairs, nous sommes en train de perdre du terrain face à la violence et au terrorisme”. Et son diagnostic est le suivant « Je crains que nous n’ayons collectivement échoué à enrayer les causes profondes de la crise – la pauvreté, l’impunité, les failles de gouvernance – qui nourrissent la montée de l’extrémisme

violent. Les groupes terroristes instrumentalisent les conflits locaux et se positionnent en défenseurs, quelques fois, des communautés. ». Malheureusement, c’est pour dire ensuite que la solution se trouve dans un dialogue politique inclusif dont il ne semble pas voir combien il est mal parti, dans une révision constitutionnelle dont il ne voit pas à quels conflits elle va donner lieu, dans un renforcement des moyens du G5Sahel dont il ne voit pas qu’il n’en est qu’au tout début d’un très long chemin.

Chaque acteur, on le constate, cherche à ne pas perdre la face : il faut à chacun des activités bien visibles, support d’une communication active, mais il n’est pas question d’aborder le fond du problème. Le fond du problème ? Une région détruite par les trafiquants de drogue et par des groupes armés que manipulent de l’extérieur des Etats ou institutions qui se parent du manteau d’un nouvel islam guerrier. Des accords de mauvaise foi, des négociateurs corrompus par la machine du processus de négociation imposé par la soi-disant communauté internationale, et inondé d’avantages matériels pour les chefs de guerre qui se prêtent au jeu. Des institutions internationales qui, depuis six ans, veulent se donner le beau rôle en évitant d’attaquer les assaillants signataires et non signataires du malheureux accord d’Alger, et sans même s’attaquer au nerf de la guerre. Une classe politique et des organisations syndicales qui ne cherchent depuis plusieurs années qu’à tirer des marrons du feu, avec le plus grand cynisme, face à une opinion publique blasée et d’une immense naïveté à propos des capacités de l’armée ou de l’éventualité d’un sursaut national à la mesure sur défi.

Restera-t-il quelque chose à reconstruire lorsque le Mali aura été totalement incendié et sauvagement pillé ?

 

Source : Médiapart 

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