Parmi la pléthore de préconisations parfois contradictoires du catalogue de vœux pieux du pseudo DNI, figure comme action prioritaire de court terme, l’organisation des élections législatives d’ici le 2 mai 2020, date correspondant à la fin de la seconde prorogation anti constitutionnelle de mandat des députés. Dans la foulée, le DNI a également recommandé de sursoir au découpage administratif jusqu’à l’installation de la nouvelle Assemblée nationale.
L’idée derrière cette posture, est que les législatives prévues en 2020 vont se tenir sur la base des circonscriptions électorales de Cercles et de communes du District de Bamako telles que prévues par la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés. Ce qui n’est pas sans soulever quelques interrogations. En effet, le statu quo observé au niveau des circonscriptions électorales de Cercles fait planer des incertitudes quant à la régularité de ce scrutin législatif en voie de programmation.
Certes, il est compréhensible que les chantiers inachevés de la réorganisation territoriale ne puissent constituer des entraves au regard de la problématique des circonscriptions électorales telles qui mentionnées dans la loi n°02-010 du 5 mars 2002 portant loi organique sur les députés. En revanche, deux situations juridiques entrent en conflit ouvert avec cette loi organique vétuste. D’une part, des anciennes circonscriptions administratives de Cercles y sont citées en tant que circonscriptions électorales alors même qu’ils ont juridiquement perdu ce statut qui ne fait par ailleurs l’objet d’aucune loi de régularisation. D’autre part, de nouvelles circonscriptions administratives de Cercles légalement constituées et opérationnelles n’y figurent pas.
La Loi organique sur les députés frappée de caducité
Ces deux situations symbolisent bien la problématique fondamentale de la caducité qui frappe aujourd’hui la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés.
Son article 1er dispose ainsi qu’il suit : « Le nombre des députés à l’Assemblée Nationale du Mali est fixé à cent quarante-sept (147), répartis entre les cercles et les communes du District de Bamako à raison d’un député pour soixante mille (60 000) habitants. Il sera attribué un siège supplémentaire de député pour toute tranche comprise entre quarante mille (40 000) et soixante mille (60 000) habitants. Toutefois, les circonscriptions électorales de moins de quarante mille (40 000) habitants ont droit à un siège de député ».
En annexe de cette loi organique, figure un tableau de répartition des députés entre les Cercles et les communes du District de Bamako.
Signalons au passage que l’article 2 de la loi organique en question doit être lue en relation avec l’article 158 de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée portant loi électorale aux termes duquel « pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale, les circonscriptions électorales sont constituées par les cercles et les communes du District de Bamako ».
Il résulte clairement de la lecture croisée de la loi organique n°97-011 du 12 février 1997 et de la loi électorale modifiée n°2016-048 du 17 octobre 2016 que les circonscriptions électorales des législatives ne sont pas à proprement parler une invention de ces deux textes de loi. En réalité, les deux textes ne font que se référer simplement à la législation sur les circonscriptions administratives de Cercles et les communes du District de Bamako qui font office de circonscriptions électorales pour les scrutins législatifs. C’est ce qui explique qu’au Mali, les circonscriptions électorales des législatives épousent la ligne de configuration des circonscriptions administratives de Cercles et des communes du District de Bamako. Au regard des bouleversements juridiques ayant affecté le champ de l’organisation administrative de l’Etat, la configuration des circonscriptions administratives de Cercles sur laquelle s’adosse la loi organique sur les députés ne tient plus la route et contribue à l’entacher de caducité. En l’état, la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés est inapte aujourd’hui à servir de fondement juridique à la répartition des députés entre les Cercles.
Des Cercles sans statut juridique vont-ils servir de circonscriptions électorales ?
C’est la question qui se pose pour les anciens Cercles de Nioro, Dioïla, Bougouni et Koutiala mentionnés en tant que tels dans la loi organique sur les députés.
Dans quelle mesure ces anciens Cercles transformés en régions administratives avec leurs gouverneurs nommées et installés, peuvent-il continuer à se prévaloir du statut juridique de Cercles ?
Au regard de la loi n°2012-017 du 02 mars 2012 portant création de circonscriptions administratives, la réponse à cette question est négative d’un double point de vue.
En effet, aux termes de son article 4, la loi n°2012-017 du 02 mars 2012 a abrogé au fur et à mesure de sa mise en œuvre qui était échelonnée sur cinq (05) ans à compter de mars 2012, l’Ordonnance n°91-039/ P-CTSP du 08 août 1991 déterminant entre autres les circonscriptions administratives au nombre de 8 régions, 49 cercles et 285 arrondissements. Dès lors que les Cercles de Nioro, Dioïla, Bougouni et Koutiala ont été érigés en régions, avec des actes de nomination et d’installation de leurs gouverneurs ayant eu pour effet d’achever juridiquement leur mutation administrative, ils ont ipso facto perdu, en vertu de l’article 4 de la loi n°2012-017 du 02 mars 2012, leur ancien statut de Cercles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la même loi à prévu en son article 2 que « les Cercles et les Arrondissements composant chaque Région seront déterminés par la loi ». Or jusqu’à ce jour, cette loi n’a jamais été adoptée en ce qui concerne les nouvelles régions opérationnelles de Nioro, Dioïla, Bougouni et Koutiala.
En conséquence et d’un strict point de vue juridique, Nioro, Dioïla, Bougouni et Koutiala ne peuvent plus être considérés comme des circonscriptions administratives de Cercles susceptibles, au sens de la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés, de servir de circonscriptions électorales pour des législatives. Ils demeurent de nouvelles régions ayant perdu leur statut d’anciens Cercles qui ne leur a par ailleurs, pas été légalement restitué.
La situation des anciens Cercles de Douentza, Kita, San, Nara et Bandiagara également transformés en nouvelles régions présente quant à elle, une spécificité par rapport à la catégorie constituée de Nioro, Dioïla, Bougouni et Koutiala. Douentza, Kita, San, Nara et Bandiagara peuvent être considérés comme des nouvelles régions administrativement clochardisées privées de Gouverneurs dans lesquelles le gouvernement s’est pourtant permis de nommer, tout en les mettant en standby sans qu’ils soient déployés, les Directeurs de cabinet et les Conseillers aux affaires administratives et juridiques.
En d’autres termes, à travers une démarche administrativement insensée, le gouvernement a institué un cabinet fantôme sans Gouverneur dans chacune de ces régions.
C’est pourquoi il est difficile de considérer ces entités régionales comme administrativement constituées. En tant que régions administrativement bancales, elles demeurent statutairement des Cercles déjà éligibles sur la liste de répartition de la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés.
Des Cercles créés et fonctionnels seront-il exclus des circonscriptions électorales ?
Pendant ce temps, la caducité de la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés est criarde au regard des Cercles de la nouvelle région fonctionnelle de Taoudenit qu’elle ne prend pas en compte. Dans cet ancien Arrondissement également érigé en nouvelle région, la loi n°2012-018 du 02 mars 2012 adoptée conformément à l’article 2 de de la loi n°2012-017 du 02 mars 2012 portant création de circonscriptions administratives, a créé des Cercles et Arrondissements. C’est ainsi que la nouvelle région de Taoudenit est composée des six (6) Cercles de Taoudénit, Foum-Elba, Achouratt, Al-Ourche, Araouane et Boû-Djébéha. Cette région dispose aujourd’hui de son Gouverneur et de ses Préfets de Cercles nommés et installés. Ces Cercles seront pourtant ignorés par les législatives en vue.
Le cas de l’ancien Cercle de Ménaka transformé en région est encore plus frappant. Conformément à l’article 2 de la loi n°2012-017 du 02 mars 2012 portant création de circonscriptions administratives au Mali, la loi n°2012-018 du 02 mars 2012 a subdivisé la région de Ménaka en quatre (4) Cercles : Ménaka, Anderamboukane, Inékar et Tidermène. Cette nouvelle région de Ménaka est actuellement dotée d’un Gouverneur nommé et installé ainsi que de Préfets également nommés et installés. Autant dire que Ménaka est bien une région totalement fonctionnelle avec son gouverneur, ses Préfets et Sous-Préfets. Néanmoins, en dehors du seul Cercle de Ménaka, aucun des trois autres Cercle (Anderamboukane, Inékar et Tidermène) ne figure sur la liste des Cercles entre lesquels sont répartis les sièges de députés à l’Assemblée nationale telle que fixée par la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés.
Au total, on retiendra le divorce profond entre le droit positif relatif aux circonscriptions administratives de Cercles et le vétuste tableau de répartition des députés entre les Cercles en annexe de la loi n°97-011 du 12 février 1997 portant loi organique sur les députés. L’imbroglio juridique dans lequel cette situation plonge les législatives improvisées qui se profilent à l’horizon, constitue un défi de taille dont le gouvernement aurait bien pu faire l’économie. Il est vain de prétendre construire une démocratie à coups de bricolages juridiques dans lesquels le régime du Président IBK s’est tristement illustré. Un régime malade d’ingestion démocratique qui en est réduit à se faire dicter par un soi-disant DNI, la conduite à tenir rien que pour tout simplement respecter les textes de la République. C’est le comble du ridicule !
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques
et Politiques de Bamako (USJP)
(L’Aube 1116 du jeudi 23 janvier 2020)
Source: L’Aube