Les agents de sécurité du gouvernement du Mali auraient torturé six hommes détenus au secret dans des lieux de détention non autorisés en septembre et en octobre 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités maliennes devraient enquêter rapidement et de manière impartiale sur ces allégations de torture et respecter la procédure dans les poursuites engagées contre ces hommes, inculpés le 3 novembre pour avoir fomenté un coup d’État contre le gouvernement de transition malien.
Les agents de sécurité gouvernementaux ont placé les hommes en détention entre le 6 septembre et le 4 octobre derniers et leur auraient fait subir des chocs électriques, des simulations de noyade et des tabassages répétés pour leur soutirer des aveux et d’autres informations. Les avocats des détenus, des militants maliens des droits humains ainsi que d’autres sources ont décrit les actes de torture et ont fait part de plusieurs inquiétudes quant à la régularité de la procédure, notamment le refus du juge d’instruction de permettre aux détenus de recevoir un traitement médical et psychologique.
« Aucun acte de torture ni mauvais traitement ne devrait jamais être utilisé contre quiconque, nulle part, quelle que soit la situation, a dénoncé Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à Human Rights Watch. Les autorités maliennes devraient immédiatement ouvrir une enquête au sujet de ces allégations et assurer le respect de la procédure pour la tenue d’un procès équitable dans cette affaire. »
Human Rights Watch s’est entretenu au téléphone avec treize personnes connaissant les allégations des détenus, notamment des avocats, des membres de leur famille, des membres de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), des organisations locales de défense des droits et des diplomates étrangers. Human Rights Watch a également pu obtenir les photos de deux des suspects, où les traces de mauvais traitements physiques sont évidentes. .
Ces mauvais traitements présumés auraient eu lieu au siège de la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE), le service de renseignement du Mali, et dans une moindre mesure, au camp militaire de Sundiata Keïta, à Kati, dans la banlieue de la capitale, Bamako. Ces deux lieux sont des centres de détention non autorisés. Des personnes proches des familles des détenus ont indiqué que les autorités avaient refusé de reconnaître la présence de ces hommes dans ces locaux pendant près de deux mois. Or, selon la Convention contre les disparitions forcées, que le Mali a ratifiée, le refus d’indiquer où se trouve une personne détenue par le gouvernement constitue une disparition forcée.
Les six hommes emprisonnés auraient tous subi des mauvais traitements, à divers degrés. Les personnes qui se sont entretenues avec eux affirment que des chocs électriques leur ont été infligés sur les extrémités du corps, sur le torse et les parties génitales, avec ce que certaines sources ont décrit comme des « tasers », des armes à électrochocs. Ils ont également subi des simulations de noyade, la tête immergée dans un seau, voire une fois dans le fleuve Niger, des injections de substances inconnues, des coups d’objets coupants, des passages à tabac. Ils ont en outre été maintenus dans des positions douloureuses, leurs poignets et leurs chevilles attachés serrés pendant des heures, ils ont été privés de sommeil, isolés dans de petites cellules et forcés de fixer des lumières aveuglantes.
Les hommes auraient également subi des actes de torture psychologique. Ils auraient été menacés de mort, notamment via des simulations d’exécution, menacés de mauvais traitements contre leur famille, et dans un cas, forcés de regarder un autre détenu endurer des mutilations. Au moins deux détenus auraient perdu connaissance au cours de ces séances de torture et une détenu continue d’uriner du sang. Certains détenus auraient affirmé avoir une vue amoindrie depuis qu’ils ont été forcés à fixer des lumières éblouissantes.
Une source crédible qui s’est entretenue avec les hommes emprisonnés a déclaré : « Ils ont tous subi de mauvais traitements, mais l’un d’entre eux m’a dit que les agents de sécurité l’avaient attaché à une chaise et lui avaient injecté une substance. Ils lui auraient ensuite attaché les mains et les chevilles, l’auraient déshabillé et électrocuté sur toutes les parties du corps, à de nombreuses reprises. Ils l’auraient ensuite laissé sur le sol, où selon lui des agents se sont mis debout sur son dos et l’ont battu, avant de plonger sa tête dans l’eau. »
Deux sources qui ont rencontré les détenus ont décrit avoir observé des signes physiques de mauvais traitements sur les jambes, les pieds et pour certains d’entre eux, sur les parties génitales. « L’une des victimes m’a dit que la torture lui avait même fait regretter d’être né, a souligné l’une des sources. Ces hommes doivent recevoir des soins médicaux et psychologiques après l’enfer qu’ils ont vécu. »
Le 5 novembre, le procureur du tribunal de grande instance de Bamako a annoncé que les chefs d’accusation retenus contre les six hommes étaient l’association de malfaiteurs et le complot visant à déstabiliser le gouvernement. Les accusés sont le colonel de l’armée Kassoum Goïta, le commissaire principal de police Moustapha Diakité, l’adjudant-chef Abdoulaye Ballo, l’ancien conseiller présidentiel, le professeur Kalilou Doumbia, l’homme d’affaires, Sandi Ahmed Saloum, et Issa Samaké.
Les trois membres des forces de sécurité étaient détenus au camp 1 de la gendarmerie de Bamako, alors que les trois civils se trouvaient à la Maison centrale d’arrêt (MCA), également dans la capitale.
Les sources qu’a rencontrées Human Rights Watch ont décrit plusieurs manquements à une procédure régulière dans cette affaire, à savoir l’interrogatoire des détenus pendant une période allant jusqu’à deux mois sans la présence de leurs avocats, le versement au dossier d’informations obtenues sous la torture, le refus du juge d’accorder les soins médicaux et psychologiques de leur choix aux détenus, le refus du juge d’instruction de fournir une copie du rapport d’enquête préliminaire aux avocats, le refus de nourrir convenablement les détenus, le refus des visites de leurs familles et le refus d’accorder aux détenus l’accès à des informations, par voie radiophonique ou par voie de presse.
Les procédures et les droits élémentaires pour un procès équitable sont décrits dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) que le Mali a ratifié. Le PIDCP et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants interdisent expressément la torture et les mauvais traitements contre quiconque et interdisent l’utilisation de preuves obtenues par de tels moyens dans les procédures judiciaires.
Les directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique (« les principes africains sur le droit à un procès équitable ») de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples prévoient que « tout individu privé de liberté doit être détenu dans un lieu de détention officiellement reconnu. » Ces principes prévoient également qu’un procès équitable repose sur la « garantie que les droits ou obligations de la personne ne soient affectés que par une décision reposant exclusivement sur des éléments de preuve présentés devant l’instance juridictionnelle ».
« Les membres des forces de sécurité maliennes considérés comme responsables de torture, quel que soit leur rang, doivent être dûment poursuivis et mis à pied, a déclaré Corinne Dufka, Les Nations Unies et l’Union africaine devraient presser les autorités maliennes de diligenter rapidement une enquête sur ces soupçons de mauvais traitements. »
Source: hrw