Le peuple doit juste prendre garde, car c’est lui qui se fait manipuler dans cette histoire. Voici exactement le schéma : amis d’hier, ennemis aujourd’hui, selon les circonstances, on se livre la guerre ou on dîne ensemble pourvu que les intérêts de part et d’autre soient comblés. A bon entendeur, salut !
Le poids des religieux sur la scène politique malienne est incontestable. Ils ont une influence considérable et deviennent dans certaines circonstances des jokers dans le jeu politique. Pour le blogeur Issouf Kone, le spectacle que les acteurs politico-religieux nous livrent, depuis quelques années, est tout sauf anodin pour tout esprit averti. Il estime que le peuple est emballé dans un jeu qui ne dit pas son nom et qu’il doit y prendre garde.
Les leaders religieux, musulmans surtout, ont de l’influence au Mali. C’est un fait. En 2013, ils se sont positionnés en acteurs, bien qu’étant alors hors du champ politique, avec une importante capacité de mobilisation populaire, devenant ainsi de « grands électeurs » qui donnent des consignes de vote. Leur implication n’a été cachée à personne dans le processus politique, lors du scrutin de 2013, qui a vu le Chérif de Nioro, Mohamed Ould Cheicknè, dit « Bouyé » et l’imam Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique, s’allier pour soutenir Ibrahim Boubacar Keïta, qui a bénéficié d’un raz-de-marée électoral, engrangeant 77,6% des suffrages exprimés.
Même si, en 2018, le Chérif de Nioro qui avait prédit la chute d’IBK, à qui il avait retiré son soutien, suivi dans cette posture par Mahmoud Dicko, n’a pu faire barrage à sa réélection.
Des influenceurs
Les leaders religieux sont respectés par une grande partie de la population. Les trois poids lourds qui dominent la sphère religieuse, à savoir Bouyé (hamalliste d’obédience soufi), Dicko (wahhabite, considéré comme un réformateur) et l’imam Haïdara (leader de Ançar Dine, à ne pas confondre avec celui de Iyad Ag Ali), du fait de leur capacité de mobilisation populaire, sont presque vénérés.
Les politiciens maliens ne peuvent rien faire sans eux et se sentent parfois obligés de forcer leur amitié pour s’assurer une alliance solide. Au Mali, en tant que politique, mieux vaut être allié à un leader religieux influent plutôt qu’à un autre politicien, apparemment.
Le professeur Issa Ndiaye, ancien ministre de l’Éducation et de la Culture et président du forum civique, un espace de réflexion et d’action pour la démocratie, estime dans une récente interview que « depuis un certain nombre d’années, les politiques se sont mis à courtiser les religieux et c’est ce qui les a amenés à sortir des mosquées et à envahir les places publiques ». Il ajoute : « le gouvernement lui-même a créé un ministère du Culte. Ce glissement permet aux religieux de jouer un rôle sur l’échiquier politique alors que ce n’est pas leur lieu. La dérive du religieux vers le politique constitue un danger pour la République ».
Ils font trembler le pouvoir et décident de l’application ou pas de certains programmes. On l’a vu avec le projet gouvernemental d’éducation sexuelle complète, qui a suscité une vive polémique sur fond d’accusation par les religieux, Mahmoud Dicko en tête, de faire la promotion de l’homosexualité au Mali. Et l’assassinat de l’imam Yattabaré, vice-président du Haut conseil islamique qui plus est, a donné lieu à une passe d’armes d’une virulence rare entre gouvernement et religieux. L’imam aurait été tué par un homosexuel, et ces derniers se sont sentis alors sur la défensive, rendus plus vulnérables.
Dans une récente analyse publiée sur un blog qu’il anime sur le Sahel, le chercheur et enseignant américain, Alex Thurston, explique que le meeting du 10 février 2019, qui a mobilisés 60000 personnes selon certains médias, peut être analysée comme une façon pour les religieux d’être de nouveau à l’offensive. Pour lui, la question de l’homosexualité leur a permis de retourner sur un terrain où ils sont forts, celui des questions sociétales, sur lesquelles ils ont l’habitude faire plier le pouvoir.
Énième démonstration de force
La dernière affaire en date, celle des 50 millions refusés par Mahmoud Dicko, prouve à quel point le pouvoir fait bon marché des Maliens dans ce pays. 50 millions proposés à un homme, fut-il président d’une institution, pour soi-disant soutenir une initiative, un meeting de prière pour le Mali ! Le plus grave, c’est que personne ne pose des questions sur la traçabilité de cet argent.
Pour bon nombre de Maliens, je le pense aussi, cette affaire était une tentative de corruption. Le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, vu le climat de méfiance qui règne entre le gouvernement et certains membres du Haut conseil islamique, notamment son président Mahmoud Dicko, a eu cette idée pour essayer de les amadouer, conscient du fait que lors du meeting, il serait visé. Ce qui a été le cas, puisque le représentant du Chérif de Nioro a demandé son départ de la primature, au bord du Djoliba. « Ce qui choque avec cette histoire de 50 millions, c’est le fait que le gouvernement dise l’avoir fait comme ça. Prendre 50 millions de nos francs et le donner comme ça, comme si ça appartenait au Premier ministre, qui oublie apparemment qu’il n’est pas élu mais nommé », dénonce un avocat bamakois, ayant requis l’anonymat.
Le peuple doit prendre garde
Le Premier ministre, qui s’est senti obligé de répondre sans plus tarder à l’acte de Mahmoud Dicko, a montré à mon avis qu’il n’avait pas toujours la sérénité du « Tigre » qu’on lui prête habituellement. La guerre entre les deux camps est là. La peur du gouvernement et la pression que lui met le HCI étaient bien lisible dans la réponse de celui que les Maliens appellent par son acronyme, « SBM ».
Source: Benbere