Héritées des années d’indépendance, plusieurs entreprises d’État ont fait les beaux jours de l’industrie malienne. Mais leur gestion n’a pas toujours été à la hauteur des espérances. Marqué par des problèmes de trésorerie, leur parcours a souvent conduit l’État à intervenir, en renflouant les caisses. Avec les processus de privatisation plus ou moins réussis ayant conduit à la disparition de certaines, les autres survivent, dans un contexte où les problèmes de gestion se mêlent aux contraintes d’un environnement des affaires qui doit encore s’améliorer.
Pour atteindre une croissance économique durable et lutter efficacement contre la pauvreté, grâce à une amélioration du bien-être, il faut un environnement des affaires propice, comme en conviennent les acteurs. Dans le contexte particulier du Mali, le préalable à ce cadre idéal est aujourd’hui la sécurité. L’une des missions régaliennes de l’État, depuis quelques années sérieusement compromise.
À cela il faut ajouter l’acquisition de sources d’énergie à un coût acceptable, celle de « matériels adaptés aux conditions d’exploitation, la création d’un cadre favorable au partenariat gagnant-gagnant » et profiter des atouts inexploités d’un secteur agro- industriel capable d’assurer un développement économique décent, assure M. Mohamed Kéita, agent administratif à la mairie de Koulikoro et Président de la commission pour la restauration de l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA).
Pour ne citer que l’exemple du coton, qui constitue un produit-phare en termes de potentiel industriel, M. Kéita déplore que notre « capacité de transformation et même d’égrenage pose problème », avec environ seulement 2% de la production, selon les estimations.
L’Huicoma, créée en 1991, dont le capital était détenu par l’État à plus de 96%, transformait les graines de coton et d’arachide et a fait les beaux jours de la deuxième région administrative et même du Mali. Son savon, dont la notoriété ne s’est jamais démentie, son huile alimentaire et son aliment bétail « vendu jusqu’en Espagne », constituent des motifs, pour M. Kéita, de relancer l’usine.
Avant sa privatisation, en 2005, l’unité employait 1 100 personnes et, de 1997 à 2002, sa contribution aux recettes fiscales s’est chiffrée à 40 milliards de FCFA. Son déficit de 2 milliards en 2001 avait été comblé et la société affichait un résultat bénéficiaire de 275 millions de FCFA en 2002, pour un chiffre d’affaire de 27 milliards.
L’État, mauvais entrepreneur ?
L’État, ayant cédé ses actions à un particulier, n’a néanmoins pas pu indemniser tous les travailleurs affectés. Une trentaine d’entre eux, regroupés au sein d’un collectif, ainsi que des Koulikorois, espèrent encore une reprise des activités, stoppées depuis 2014.
Parce le retrait de l’État est souvent souhaité, en raison d’une gestion peu orthodoxe et souvent non conforme à la conception entrepreneuriale, ne permettant pas de réaliser des profits, finalité de toute entreprise, il s’est désengagé de plusieurs structures.
Mais « la réalité est aussi que lorsque l’État réalise des recettes, elles sont utilisées à d’autres fins, différentes des objectifs de l’entreprise », explique M. Abdoulaye Touré, économiste consultant. « Lorsque l’État veut se désengager d’une entreprise, même rentable, il le fait, d’autant plus que, dans notre contexte, il est souvent demandé à nos États de ne pas disposer d’entreprises, alors même qu’en tant que structures économiques naissantes il peut aider certaines entreprises à se consolider et à prendre leur envol », relève encore M. Touré.
Les privatisations nécessitant le respect de certaines procédures, avec des dédommagements pour les travailleurs consentant à la retraite volontaire ou mis en chômage, le problème est « le manque de visibilité dans ces processus », souligne M. Touré. Dans un premier temps, les commissions mise en place pour gérer ces privatisations ne sont souvent pas compétentes et ne respectent généralement pas les règles.
Il n’est donc pas rare que dans certains cas ceux chargés de la privatisation, agents de l’État, se retrouvent actionnaires principaux ou secondaires de l’entreprise privatisée. Les problèmes de gouvernance reprochés aux entreprises publiques reviennent et on revient à la case départ.
Privatisations mal négociées
Dans la tourmente depuis quelques années, la Compagnie malienne des textiles (COMATEX) a du mal à se retrouver, malgré une privatisation intervenue en 1994. Ses 1 300 travailleurs viennent d’être mis au chômage technique pour une période de 3 mois à compter du 3 août 2020. Raisons invoquées par la direction : difficultés financières et perte de 70% du chiffre d’affaires suite à la crise de la Covid-19. Inacceptable, selon les travailleurs, qui estiment que la société a, malgré les difficultés, toujours fonctionné depuis 20 ans.
La société, qui produit du fil qui ne satisfait même pas la demande, fait en outre des tissus dits « événementiels », confectionnés à la demande, à l’occasion de certains événements. Compte tenu du ralentissement des activités consécutif à la pandémie, la direction justifie sa décision par cette baisse de rentabilité. Pour le fil, elle a aussi mis en avant le peu de marge. Ce qui constitue pour les travailleurs une incohérence. Pour le Secrétaire général du syndicat UNTM de la COMATEX, M. Abdoulaye Diakité, la direction cherche seulement à justifier les licenciements qu’elle compte effectuer.
Si elle acquiert le coton au prix du marché, la COMATEX bénéficie d’une réduction, remboursée par l’État, qui renonce aussi aux taxes sur le carburant. « Cette subvention », selon M. Diakité, qui a atteint 1 600 millions, dont 300 ont été payés, et l’arrêt du contrat de performance, qui n’a pas été renouvelé depuis mai 2020, sont les autres arguments de la direction. Mais si l’entreprise ne peut pas marcher sans subvention ou sans contrat de performance, elle n’a pas de raison d’exister, selon M. Diakité.
Améliorer le climat des affaires
L’analyse de cet environnement global des affaires fait ressortir un besoin impérieux de justice, expliquent les spécialistes. En effet, des structures habilitées à privatiser existent, mais la question du cadre de leur intervention se pose avec acuité. Agissent-elles toujours dans les règles de l’art ? Outre les principes de base qui doivent présider à la gestion des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, demeure la question de la qualité du processus. Les entreprises sont souvent gérées comme des propriétés personnelles, sans respect des règles en vigueur en la matière.
Au-delà, l’accès à l’énergie et sa qualité, qui constituent de vraies entraves à l’installation même des entreprises, et à l’eau ont également des impacts négatifs sur les entreprises naissantes. S’y ajoutent les délais dans la création des sociétés. Même si les réformes ont permis de les réduire considérablement, la création d’entreprise est un parcours du combattant pour l’entrepreneur.
La commercialisation, liée à tout un ensemble de facteurs, est aussi une étape cruciale. Des routes inexistantes aux difficultés d’exportation, avec souvent « de faux frais à acquitter », en passant par le paiement des impôts, la liste des obstacles n’est pas exhaustive. Et le refus d’accepter des chèques non certifiés pour le paiement des impôts entraîne des frais supplémentaires pour les entreprises, explique M. Touré
S’agissant toujours de ces impôts, « ce sont 20% des entreprises qui payent 80% des impôts ». En effet, l’absence de formalisation de la grande majorité des acteurs pèse lourdement sur les entreprises constituées légalement.
Pour s’implanter, les entreprises ont également besoin de permis de construire et d’autres formalités administratives, qui demandent quelquefois entre 3 à 4 mois à leurs initiateurs pour être obtenus, sans compter l’insécurité foncière, au cœur des problématiques.
Si les entreprises privées sont nécessaires dans notre contexte pour favoriser une croissance efficace, il est essentiel que dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, l’éducation et la santé, par exemple, l’État reste engagé et encadre les procédures. L’assainissement des pratiques en matière de marchés publics est aussi l’un des préalables que l’État doit assurer pour garantir la promotion des entreprises. Parce que, malgré les encouragements, comme les abattements fiscaux, sans un climat des affaires assaini peu d’investisseurs continueront à prendre des risques.
Fatoumata Maguiraga
Journal du Mali