L’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, Alioune Tine, a animé un point de presse par vidéoconférence, ce mardi 16 août 2022 à Dakar, pour présenter les conclusions de sa dernière mission du 1er au 12 août 2022 au Mali.
Du 1er janvier au 30 juin 2022, la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) a enregistré 1 304 cas de violations de droits humains et atteintes à ses droits, rapporte Alioune Tine, l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali. C’est une hausse de 47,17% par rapport à la période précédente (1er juillet au 31 décembre 2021) au cours de laquelle la MINUSMA avait documenté 886 violations des droits humains et atteintes à ces droits.
« Je suis extrêmement préoccupé par la persistance des violations et atteintes graves aux droits humains », a déclaré l’expert indépendant. Et d’ajouter que ces violations ont été principalement documentées dans le Centre, suivi du Nord et enfin du Sud.
La crise et les violences armées, toujours selon Alioune Tine, continuent d’avoir un impact considérable sur le respect et la protection des droits fondamentaux des femmes, avec une inquiétante récurrence de cas de violences basées sur le genre ainsi que sur les droits des enfants, notamment le droit à l’éducation.
« Selon les informations qui ont été partagées avec moi, les groupes extrémistes violents continuent d’être les principaux auteurs présumés de la majorité des violations et atteintes aux droits humains au Mali. Ces groupes continuent de mener des attaques contre les populations civiles, de tuer et d’enlever les civils ; d’imposer leur interprétation de la charia prélevant la « zakat », imposant aux femmes le port du voile (noir) et aux hommes le port de la barbe et des pantalons courts (dont la taille ne doit pas dépasser la cheville), interdisant le programme classique dans les écoles qu’ils autorisent en les transformant en écoles coraniques (madrasas), exigeant la séparation des hommes et des femmes dans les moyens de transport en commun et les espaces publics, punissant les personnes qui se retrouvent en dehors de mosquées à l’heure de la grande prière du vendredi etc. »
« Des traces visibles de tortures atroces, cruelles et barbares »
Dans son exposé, Alioune Tine a fait savoir que le Mali doit permettre aux organisations et institutions nationales et internationales d’avoir accès aux espaces et lieux ou des violations ou atteintes aux droits humains ont été commises pour enquêter de manière indépendante et impartiale et faire des rapports conformément à leur mandat.
« J’ai vu de mes propres yeux des victimes portant sur leurs corps des traces visibles de torture atroces, cruelles et barbares qu’elles auraient subies aux mains des forces de défense et de sécurité maliennes. Leurs témoignages étaient difficilement soutenables. En vue d’obtenir de leurs victimes des aveux, les auteurs présumés de ces actes auraient soumis leurs victimes à des actes tels que la simulation de noyade et auraient forcé d’autres à se coucher nus sur des tôles chauffées au soleil, avec comme effets pervers de bruler les victimes de manière atroce. Ces actes ne doivent absolument pas rester impunis », a-t-il témoigné.
Le ministre malien de la Justice et des Droits de l’Homme a insisté sur le fait que la lutte contre l’impunité était au cœur de l’action du Gouvernement malien. Mais Alioune Tine est convaincu que la poursuite judiciaire va montrer la bonne foi des autorités.
Exercer une influence indue sur les candidats…
L’expert a salué la mise en place d’une commission de rédaction de la Constitution en date du 10 juin 2022 ainsi que l’adoption par les autorités maliennes d’un calendrier de la transition d’une durée de 24 mois, assorti d’un chronogramme détaillant les différentes étapes menant aux élections et au retour d’un régime civil, la promulgation en date du 24 juin 2022 d’une nouvelle loi électorale qui prévoit la mise en place d’un organe unique et indépendant de gestion des élections, dénommé Agence Indépendante de Gestion des Elections (AIGE).
Ayant rencontré tous les acteurs rentrant dans le cadre de sa mission, Alioune Tine a indiqué que les partis politiques et la société civile ont salué l’approche participative adoptée par la commission de rédaction de la Constitution, qui organise des activités pour informer et recueillir les contributions de tous les acteurs maliens.
« Cependant, ces acteurs politiques et de la société civile se sont plaint de la méthode de désignation par tirage au sort de leurs représentants sur la base d’une liste de candidats retenue par les autorités maliennes pour choisir les représentants de différentes forces vives de la nation malienne au sein de l’AIGE. Ces acteurs craignent que la méthode du tirage au sort permette aux autorités d’exercer une influence indue sur les candidats qui les représenteront au sein de l’AIGE », a-t-il expliqué.
Recommandations
A l’issue de cette mission, l’expert indépendant recommande fortement aux autorités, à la communauté africaine et internationale d’entretenir un dialogue constructif global pour garantir la stabilité et la sécurité du Mali et renforcer la protection des droits fondamentaux des populations civiles et éviter l’isolement du Mali.
Aux groupes armés, il a lancé un appel à « cesser immédiatement toutes les hostilités et les attaques dirigées contre les civils, et de respecter les droits humains et les libertés fondamentales des populations civiles ».
Au gouvernement malien et les partenaires internationaux, notamment les membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies, Alioune Tine recommande d’agir de manière à faire de la protection des droits humains des populations, une priorité absolue qui fait l’objet d’un consensus qui ne souffre d’aucun obstacle à son accomplissement.
Cryspin Laoundiki
Lefaso.net