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Mali : Affaire Kaou N’Djim : la séparation des pouvoirs bafouée par le CNT !

La séparation des pouvoirs implique l’indépendance de la justice, induisant que le juge ne soit soumis à aucune pression, contrainte ou influence quelconque. En substance, ni le législateur actuellement incarné par le CNT, ni le Gouvernement, ne devraient empiéter sur les fonctions du juge indépendant. Cette balise tient essentiellement sa source de la Constitution en son article 81 prônant l’indépendance du pouvoir judiciaire des pouvoirs exécutif et législatif et son article 82 exigeant que le magistrat ne soit soumis dans l’exercice de sa fonction qu’à l’autorité de la loi.
A contre sens de cet article 82, la Résolution n°2021-001/CNT-RM du 4 novembre 2021 relative à l’affaire Issa Kaou N’DJIM entend-elle désormais extraire le magistrat de l’autorité de la loi pour lui soumettre à l’autorité du CNT ?
Alors que l’immunité parlementaire de l’article 62 de la Constitution qui n’est pas l’impunité, ne vise qu’à préserver la séparation des pouvoirs, la Résolution n°2021-001/CNT-RM du 4 novembre 2021 vient bafouer ce principe cardinal d’indépendance du pouvoir judiciaire des pouvoirs exécutif et législatif.
ISSA KAOU N’DJIM EN FLAGRANT DELIT
En tant que membre du CNT, Issa Kaou DJIM est poursuivi sur le chef d’accusation de l’article 167.1 du code pénal -Section IX intitulé « Des atteintes au crédit de l’Etat et du refus de payer les impositions, contributions et taxes assimilées ». Plus précisément, il est poursuivi pour « atteinte au crédit de l’Etat et des institutions de la République » se traduisant par des attaques personnelles, des dénigrements gratuits, des invectives et diatribes vexatoire et injurieuses dirigées directement ou indirectement et via les médias sociaux contre certaines personnalités et certaines actions judiciaires en cours ».
Ces chefs d’accusation ont été mis sous le régime du flagrant délit en lien avec l’article 62 de la Constitution dans ses alinéas 3 et 4.
L’article 62-3 dispose « qu’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit ». Le 62-3 signifie que pendant la durée des sessions, seul le motif de flagrant délit permet de poursuivre ou d’arrêter un membre du législatif sans autorisation préalable de l’organe.
L’article 62-4 dispose « qu’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, hors sessions, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ». Le 62-4 signifie qu’en dehors des sessions, trois motifs permettent d’arrêter un membre du législatif sans aucune autorisation de son bureau : flagrant délit, poursuites autorisées, condamnation définitive.
Le dossier Kaou N’DJIM relève constitutionnellement de l’article 62-3, puisque le CNT est en session depuis le premier lundi d’octobre dernier.
Il reste entendu qu’autant le recours à la flagrance que l’invocation de l’article 167 du code pénal en la matière ne sont exempts de critiques d’autant plus logiques qu’ils paraissent juridiquement fragiles et qu’aucune condamnation définitive n’est intervenue à ce jour. Il est vrai que l’invocation de l’article 167 du code pénal paraît assez problématique en la circonstance. On pourrait également avoir à redire sur la malheureuse impression que le pouvoir exécutif dans cette affaire, semble avoir fait manger son piment dans la bouche du judiciaire comme on dit. La justice ne doit pas servir de cheval de Troie à des batailles politiques dont les solutions ne sauraient venir des prétoires. Le CNT est toutefois mal placé pour revendiquer une telle liberté d’appréciation sous le prétexte de l’article 62 in fine de la Constitution et de l’article 44 de son Règlement intérieur.
LA COMMISSION AD HOC EN PORTE A FAUX AVEC LE REGLEMENT INTERIEUR DU CNT
Le ton attentatoire à la séparation des pouvoirs qui se dégage de la Résolution n°2021-001/CNT-RM du 4 novembre 2021, ne peut se comprendre sans s’en référer au préalable à la Décision n°0064/P-CNT du 1er novembre 2021 où le verre était déjà dans le fruit. Cette Décision portant « création d’une commission ad hoc relative à l’affaire Issa Kaou N’DJIM, 4ème Vice-président du CNT » est prise sur la base de la lecture quelque peu biaisée de l’article 44 du Règlement intérieur du CNT complétant l’article 62 de la Constitution, deux textes de bloc de constitutionnalité mis en mal.
L’article 44 du Règlement intérieur du CNT complétant l’article 62 in fine de la Constitution est ainsi libellé : « Il est constitué, pour chaque demande de levée d’immunité parlementaire d’un membre du CNT, de chaque demande de suspension de poursuites déjà engagées ou de chaque demande de suspension de détention d’un membre du CNT, une commission ad hoc dont la taille et la composition sont fixées par la plénière. La Commission doit entendre le membre du CNT intéressé, lequel peut se faire assister par un de ses collègues. Dans les débats ouverts par le CNT, en séance publique sur les questions d’immunité parlementaire, peuvent seuls prendre la parole le rapporteur de la Commission, le gouvernement, le membre du CNT intéressé ou un membre du CNT le remplaçant, un orateur pour et un orateur contre. A la fin des débats, il est procédé au vote d’une résolution sur la base du rapport présenté par la Commission ad hoc. La résolution est communiquée au gouvernement par le Président du CNT ».
A l’initiative de la Commission ad hoc, le Règlement intérieur semble suggérer une demande formelle qui, dans le cas d’espèce, devrait tendre expressément à la suspension de détention qui est l’objet de sa constitution. La question se pose de savoir qui sont les membres du CNT à avoir sollicité la suspension de détention de Issa Kaou N’DJIM. Cette question doit être répondue, car cette demande ou ses demandes sont censées avoir été justement renvoyées devant la Commission ad hoc. Elle balise l’objet de la procédure qui se trouve constitutionnellement circonscrite. Aussi bien la Commission ad hoc que la Résolution, plutôt que de tenter d’instruire un procès de la procédure judiciaire, ne devraient strictement se focaliser que sur la demande de levée de détention.
A cet égard, l’intitulé pour le moins flou et confus de la Décision n°0064/P-CNT du 1er novembre 2021 dite « relative à l’affaire Issa Kaou N’DJIM » ne semble pas respecter l’alinéa 1er de l’article 44 du Règlement intérieur du CNT. Et ce flou juridiquement suspect, est davantage attesté par l’article 2 relatif à son objet où il est stipulé que « la Commission est chargée d’examiner tous les contours de l’interpellation et de l’arrestation de Monsieur Kaou N’DJIM, 4ème Vice-président du CNT ». La Commission en question serait-elle de la catégories des commissions spéciales d’enquêtes prévues à l’article 83 du Règlement intérieur du CNT ?
L’objectif formellement précis d’examen de demande de suspension de détention, s’est mué en objectif général d’examen de « tous les contours de l’interpellation et de l’arrestation de Monsieur Kaou N’DJIM », comme si le CNT se mettait ainsi en tenue de combat pour en découdre avec la justice, au moment où c’est son appréciation politique qui est requise.
Cette attitude de déviance du CNT par rapport aux dispositions pertinentes de l’article 44 de son Règlement intérieur expliquerait-elle le choix du huit clos dans lequel la plénière relative à la question s’est enveloppée, loin des regards du peuple au service duquel ses membres simplement désignés, sont pourtant en mission ?
LE BLACKOUT INEXPLIQUE DE LA RESOLUTION N°2021-001 SUR LA PROCEDURE DE FLAGRANCE A L’ORIGINE DU DOSSIER KAOU N’DJIM.
La Résolution évoque gaillardement l’article 62 in fine de la Constitution, relatif à la suspension de la détention ou de la poursuite du député (membre du CNT) sur requête du législatif. Mais bizarrement, ni dans les visas de la Résolution, ni dans ses Considérants, encore moins dans la délibération elle-même, il n’est fait une quelconque allusion à la procédure de flagrance prévue notamment au 62-3 de la Constitution à l’origine de toute l’affaire. Pas un mot sur les cas de flagrant délit. Or, il est évident que la mise en branle de la Commission ad hoc et la Résolution qui en a découlé, n’ont été possibles que parce que le membre du CNT Issa Kaou N’DJIM fait l’objet d’une procédure de flagrance. D’où cette cascade de questionnements :
– le CNT manifesterait-il par ce silence sa désapprobation envers le juge ?
– les membres du CNT seraient-ils entrée en rébellion institutionnelle contre l’invocation du flagrant délit dans ce dossier ?
– le CNT serait-il plus judiciaire que législatif ?
LE « CONSIDERANT » DE TROP QUI SAPE LE POUVOIR SOUVERAIN D’APPRECIATION DU JUGE
Alors que la Résolution n°2021-001/CNT-RM du 4 novembre 2021 fait le blackout boudeur sur les articles 62-3 et 62-4 de la Constitution, elle bande ses muscles par son Considérant qui bat en brèche le principe républicain qui veut que, jusqu’à preuve du contraire à établir par voie de justice, le juge soit souverain de son appréciation de la règle de droit. Le CNT dans le manteau du juge, « considère » prétentieusement et contrairement aux pratiques républicaines que « l’infraction reprochée à l’Honorable Issa Kaou N’DJIM, « atteinte au crédit de l’Etat », est à caractère économique ».
Le caractère attentatoire au principe de la séparation des pouvoirs de ce « Considérant » se passe de tout commentaire, même aux yeux du novice de la chose juridique. Le moins que l’on puisse dire est qu’il paraît inapproprié en la circonstance, et qu’il ne sied surtout point dans la bouche du CNT institutionnellement disqualifié en tant qu’organe législatif à faire l’exégèse du Code pénal et des commentaires de décision de justice.
En sa qualité d’organe législatif, il n’appartient pas au CNT de contester officiellement un chef d’accusation objet d’une procédure judiciaire pendante. En l’occurrence, le CNT n’a pas à disserter sur le caractère économique, politique, social ou autres, d’une infraction pénale appliquée par l’organe judiciaire. Il doit laisser les avocats, commentateurs et autres juristes exceller dans ce rôle. La mission souveraine du pouvoir judiciaire de dire le droit applicable, de l’interpréter, de pallier ses angles morts le cas échéant, n’est pas à être partagée comme un gâteau de la République avec le pouvoir législatif incarné par le CNT. A chacun son rôle.
LE POINT DE TROP DE LA « DELIBERATION » QUI TEND A INSTRUMENTALISER LA JUSTICE VIA LE GOUVERNEMENT
C’est sans doute la partie la plus rocambolesque et peut-être aussi la plus « République bananière » de cette Résolution n°2021-001/CNT-RM du 4 novembre 2021. Il s’agit du premier point, superbement superfétatoire et surtout assez maladroit qui « invite le gouvernement à instruire aux autorités d’enquêtes et de poursuite au respect scrupuleux des lois de la République notamment en ce qui concerne l’immunité conférée aux parlementaires par l’article 62 de la Constitution » ! La CNT décidément au plus près de la loi quand ses privilèges personnels sont en jeux.
C’est en quelque sorte l’hôpital qui se moque de la charité quand le CNT « illégitime et illégal », invite aussi au respect scrupuleux des lois de la République ! Il est vrai que les tergiversations inexpliquées de la Cour suprême expliquent ce regain de défi mal placé lancé par le CNT au judiciaire. Il est étonnant d’entendre de tels propos de la part d’une institution qui bat tous les records de piétinements flagrants des lois de la République et qui demeure sous menace judiciaire de dissolution pour inconstitutionnalité (la Charte s’entend).
De quel droit le CNT se permet-il d’inviter le gouvernement à instruire aux acteurs privilégiés de la justice que sont les autorités d’enquêtes et de poursuite, le respect des lois de la République en rapport avec l’application de l’article 62 de la Constitution ? Ce point de trop de la Résolution témoigne de la velléité manifeste de remise en cause par le CNT d’une décision de justice souveraine mettant en application un article de la Constitution. Il a tout l’air d’un acte inadmissible de rébellion institutionnelle contre le judiciaire.
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UNE RESOLUTION DE PIETINEMENT JURIDIQUE DE L’ESPRIT DE L’ARTICLE 62-5
Dans la procédure mise en œuvre par le CNT, ce n’est finalement pas tant la demande de suspension de détention de Issa Kaou N’DJIM adressée au gouvernement qui pose problème, puisque c’est prévu par la Constitution. On fera d’ailleurs remarquer que dans certains pays, il est expressément formulé qu’une telle résolution s’impose aux autorités administratives et judiciaires. Le Règlement intérieur du CNT qui n’est pas aussi explicite, se contente simplement de stipuler en son article 44 que « la résolution est communiqué au gouvernement par le Président du CNT ». Mais à quelle fin ? Ladite résolution communiquée s’imposerait-elle en l’occurrence au gouvernement et surtout aux autorités judiciaires ?
Dans le fond, la Résolution n°2021-001 restera une triste célébrité normative dans les annales de la République par son appréhension tordue de l’article 62 in fine de la Constitution. Cette compréhension véhicule implicitement l’idée comme quoi l’article 62 in fine et même les articles 62-3 et 62-4 viseraient à faire réparer par le législatif des défaillances ou abus éventuels du judiciaire. Le mépris de la procédure de flagrance, la contestation implicite du chef d’accusation retenu ainsi que l’invitation faite au gouvernement d’instruire des acteurs de la justice, sont des faits attentatoires à l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs.
Au regard de ces faits, la demande de suspension de la détention de Issa Kaou N’DJIM apparaît comme une sorte de sanction réparatrice d’une faute professionnelle avérée du juge. L’immunité parlementaire dans sa version d’irresponsabilité devient du coup une sorte de moyen de recours informel en appel en vue de punir un juge pour mauvaise application de la loi.
Cette lecture tronquée de l’irresponsabilité parlementaire ne doit toutefois pas prospérer. Car celle-ci n’a pas pour objet de vêtir le CNT de la robe de l’avocat ou de la toge du professeur de droit qui fait la leçon au juge souverain. Au pire, elle revient à servir de prétexte à l’instruction au cœur du pouvoir législatif, d’une sorte de procès en sorcellerie contre les juges qui osent toucher à l’un des leurs.
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On ne doit surtout pas perdre de vue que le député comme le membre du CNT, demeure avant tout un justiciable presque comme les autres. Les faits à l’origine des déboires judiciaires de Issa Kaou N’DJIM n’étant pas directement liés à l’exercice de sa fonction de membre du CNT, le principe de base qui prévaut demeure plutôt celui de la liberté des poursuites.Au-delà, il faudrait même se demander en vertu de quoi, de simples personnes désignées pour simplement jouer aux députés le temps d’une Transition, se sont-ils fabriqués de toutes pièces une immunité parlementaire qui fait débat même en ce qui concerne les vrais élus du peuple que sont les députés. A méditer.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)
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