Tumultueux, surchauffé, le grand amphithéâtre de l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou est au bord de l’éruption, et le président français doit hausser le ton pour se faire entendre. « Ecoutez les questions, les amis ! » implore-t-il. Six mois après son entrée à l’Elysée, Emmanuel Macron s’est lancé dans un exercice inédit dans les annales des voyages présidentiels en Afrique : un dialogue sans filtre et sans tabou avec « la jeunesse africaine », incarnée, ce 28 novembre 2017, par huit cents étudiants burkinabés. Colonisation, franc CFA, immigration, démographie… Leurs questions n’éludent aucun sujet. Le président non plus. Oscillant entre ton professoral et plaisanterie, il semble aux anges, en dépit, ou peut-être à cause, de la houle que ses réponses provoquent.

Seul à la tribune, il préfigure un quinquennat qui veut inaugurer un « nouveau partenariat » marqué par une volonté de dialogue direct et « décomplexé » avec les sociétés civiles, court-circuitant au besoin les dirigeants. Assis en contrebas, le président du Burkina Faso d’alors, Roch Marc Christian Kaboré, assiste à la séance en simple spectateur. Humilié par une pique du président français, il s’éclipse même un moment. « Du coup, il s’en va ! » lâche M. Macron avec irrespect.

L’incident tranche avec le message de ce « discours de Ouaga » : fini les leçons données à l’Afrique, « il n’y a plus de politique africaine de la France ! », assure le président français, pour signifier sa volonté de rompre avec la vision postcoloniale et de banaliser les relations avec le continent. Emmanuel Macron affiche une contradiction qui ne le quittera pas : il prétend parler d’égal à égal avec les Africains sans pouvoir réfréner des accès de condescendance, voire d’autoritarisme. A Ouagadougou, il étrenne aussi une rhétorique qui sera récurrente : il est jeune et donc étranger à la colonisation dont les crimes, insiste-t-il, sont « incontestables » et « font partie de notre histoire ». D’où la liberté et la franchise qu’il revendique pour aborder les « sujets qui fâchent » et construire une autre relation avec un continent « central, global, incontournable » dont les réussites et les échecs, il en est convaincu, commandent l’avenir de la planète.

L’équation africaine du président Macron, que révèle son show de Ouagadougou, ne ressemble pas à celle de ses prédécesseurs. Elle n’est ni marquée par l’héritage des réseaux gaullistes comme pour Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, ni par une relative méconnaissance comme pour François Hollande, mais semble procéder à la fois de hasards et de choix successifs. Enfant des années 1980, il insiste sur son appartenance à « une génération qui a grandi avec des jeunes issus de cette diaspora [africaine en France] » (lors d’un entretien avec Antoine Glaser et Pascal Airault dans Le Piège africain de Macron, Fayard, 2021) pour expliquer sa conviction que « l’Afrique est gravée dans l’identité de la France » et que les Français d’origine africaine ont un rôle éminent à jouer dans l’image de la France en Afrique et dans le développement de ce continent.