Note de lecture de l’essai « De belles Années au service de l’intégration régionale » de Soumaila Cissé (Editions Eburnie, Abidjan, Mai 2013)
« De belles années au service de l’intégration régionale ». Le titre sonne très bien, même s’il semble avoir une connotation trop personnelle, peut faire penser à un monologue de son auteur, le Malien Soumaila Cissé, ancien Président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), candidat malheureux aux élections présidentielles maliennes de 2013. Pourtant, le livre aurait pu aussi s’intituler, de manière simple « L’Uemoa contée à ses citoyens », puisqu’il s’agit d’une étude pratique, approfondie sur cette institution ouest-africaine née en 1994.
Subdivisé en six chapitres, le livre porte sur des sujets aussi variés qu’actuels, tente de répondre à certaines questions que se posent les citoyens de notre sous-région sur l’efficacité de cette institution, relate ses réalisations, analyse ses insuffisances, parle de son avenir.
L’épineuse question du franc CFA, les effets de sa dévaluation en 1994, son ancrage à l’euro et ses impacts sur l’économie de nos pays a été abordée en premier lieu. La dévaluation du franc CFA n’est-elle pas à l’origine de la dégradation actuelle de l’environnement économique de nos pays ? A qui profite le plus l’arrimage du franc CFA à l’euro ? A nos pays ou à ses partenaires occidentaux ? Nos pays doivent-ils se démarquer du franc CFA et avoir leur propre monnaie, comme le proposent de plus en plus de voix chevronnées et avisées du monde intellectuel africain ? N’est-ce pas notre régime de change qui bloque le développement économique de nos pays ?
Sans nier certaines conséquences désastreuses liées à l’arrimage du franc CFA à l’euro, la réponse du technocrate malien peut se résumer en cette phrase : « La faiblesse de la compétitivité de nos pays à l’exportation n’est pas nécessairement liée au régime de change, elle est due à une réalité difficile à entendre : une spécialisation à l’échange sur des produits peu diversifiés et à faible valeur ajoutée, aggravée par le fait que les produits exportés ne représentent pas un volume suffisant de la production mondiale pour que nous puissions peser sur la détermination de leur prix. »
On peut facilement remarquer que si le premier argument, celui de la non-diversification de nos exportations (nous exportons en majorité des matières premières et des produits bruts, comme le coton, le café, l’or, l’uranium, et presque pas de produits finis… ) peut sembler convaincant (même si on peut donner comme contre-exemple le cas de certains pays pétrolifères qui ont réussi à asseoir leur essor économique rien que sur l’exportation du pétrole brut), le second argument, celui du volume de nos exportations dans la production mondiale ne tient pas, puisque nous avons, dans notre zone Uemoa, la Côte d’Ivoire qui est le premier producteur mondial de Cacao, et le Mali qui est l’un des plus grands exportateurs de l’or au monde, mais qui ne sont jamais arrivés à faire de leurs exportations des gages de leur essor économique.
Dans les chapitres suivants, l’ancien Président de la Commission de l’Uemoa a analysé la place de l’Afrique de l’Ouest dans la mondialisation, le très crucial problème du chômage des jeunes (avec des fois plus de la moitié des jeunes de certains de nos pays au chômage ou tassés dans des emplois précaires) et le rôle de la femme dans nos sociétés.
Sur ce dernier point, celui de la femme, on retient cette phrase de l’auteur : « Pour atteindre tous ces objectifs nobles (ceux liés au développement de notre sous-région), il est impératif de prendre en compte la nécessité de l’information et de la formation des femmes et assurer leur épanouissement économique et social. » Pour nous autres qui venons de pays comme le Togo où les femmes sont omniprésentes dans toutes les activités économiques, on ne peut que trouver judicieuse cette recommandation.
L’auteur n’a malheureusement pas suffisamment mis l’accent sur les facettes politiques de l’organisation sous-régionale. Parce qu’il faut remarquer qu’aujourd’hui, l’une des plus grandes difficultés de cette sous-région, l’un des plus gros obstacles à son développement est la nature douteuse des régimes politiques dans ces pays, leur incompétence et leur inefficacité.
L’Uemoa, c’est encore trop de pays aux institutions incertaines (le Mali qui a failli sombrer après le coup d’Etat du 22 mars 2012 – et dont l’auteur vient d’être récompensé par un grade de général, la Côte d’Ivoire qui a connu une violence postélectorale en 2011, le Sénégal qui a frôlé le fiasco en 2012, le coup d’Etat en Guinée-Bissau en 2012…), l’Uemoa c’est encore des dictatures trop vieilles (comme le Togo et le Burkina Faso) avec des régimes se donnant un plaisir sadique d’appauvrir les populations, prêts à recourir à toutes les formes de violence pour garder le pouvoir. Qu’on ne se méprenne point, aucun développement durable n’est possible avec de tels régimes.
J’ai l’habitude d’affirmer que l’une des rares réussites de l’Afrique après les indépendances est l’Uemoa. Et je suis conforté dans cette affirmation, chaque fois que dans les aéroports de notre sous-région, je dépasse, comme les nationaux, les bureaux des services d’immigration sans même jeter un coup d’œil aux agents, chaque fois que je sors la nuit à Bamako, muni de ma seule pièce d’identité, tout comme les Maliens.
L’Uemoa est un trésor, un grand trésor pour nos pays et pour nous les citoyens, un grand pas vers ce panafricanisme que nous voulons tant désormais. Mais, plus qu’économiquement, cette institution est aujourd’hui malade de la situation politique de la plupart de ses pays. Une menace qui, si rien n’est fait, conduira à son implosion, dans un futur lointain. Ou même proche.
Source: KOACI